jeudi 15 décembre 2016

Marcel Aymé et Léon Daudet en accord sur la «nouveauté» de Céline

Céline, résolument révolutionnaire, brise le faux-col sérieusement amidonné de la grammaire française. (Marcel Aymé)
nos lettres, sinon nos auteurs, étaient depuis trente ans, pas mal édulcorées et féminisées. (Léon Daudet)
 La nouveauté dans tous ses états. Une thèse exprimée dans Céline & Co par Pol Vandromme, qui rapproche les jugements de Léon Daudet de ceux de Marcel Aymé.


Louis-Ferdinand Céline chez Marcel Aymé à Grosrouvre en 1955.

Bardamu n'est pas Céline…

«De Céline à Bardamu, il y avait pour le moins toute la distance qui séparait Flaubert du ménage Bovary…» (Marcel Aymé)
Une thèse exprimée dans Céline & Co par Pol Vandromme, qui rapproche les jugements de Léon Daudet de ceux de Marcel Aymé.

Louis-Ferdinand Céline chez Marcel Aymé à Grosrouvre en 1955.


lundi 12 décembre 2016

Le Chevalier Céline ou la première marche de l'Atlantide

Petit-fils de Louis-Ferdinand Céline, fils de Colette Destouches, Jean-Marie Turpin, est né le 3 août 1942, et mort le 14 février 2015 à Landéda (Finistère). Il a publié Le Chevalier Céline ou la première marche de l'Atlantide, à L'Âge d'Homme en juillet 1990.


De qui Louis-Ferdinand des Touches de Lantillières, en littérature Céline, tenait-il ce don d'imprécation qui, «au monde où-il fait jour», l'a conduit à proférer «l’absolu refus d'espérer qu'il existe quelque chose comme la possibilité d’actes et de sens» ? Il appartenait légitimement à son petit-fils, et sans doute à lui seul, de remonter le courant d'une généalogie qui, aux méandres des filières bretonnes et normandes, mène très sûrement à ce chevalier chouan que rencontra Barbey d'Aurevilly à I'hospice du Bon Sauveur de Caen, en 1856, et qui «déçut d’un mélange d'insultes et d'eschatologie son mémorialiste».
Mais quand ce petit-fils s'appelle Jean-Marie Turpin, il est vain d'espérer une hagiographie propre à contenter les «célinolâtres». Pour le romancier des Runes, de Sol, ou de la Seconde Eglise, pour I'enlumineur de l'Apocalypse de Jean et des lieux du Graal, pour le métaphysicien des Nuits de I'entendement, il y a bien «quelque chose de sacré» aux racines de l’œuvre célinien, mais si le sentiment d'un «abandon absolu» prévaut douloureusement dans le voyage, et si ce sentiment participe fondamentalement de la détresse du christ au Mont des Oliviers, force lui est de constater qu'il a fallu à Céline «vautrer sa détresse avec les porcs». Pourquoi? Pourquoi cette déchéance et pourquoi, peut-être, cette prédestination au mal et à «l'irrémission» de la «haine célinienne» ? Poète et théologien ensemble, Jean-Marie Turpin ne balance pas sa réponse : Céline était un possédé dont toutes les vociférations sont «un credo silencieux à la vérité éternelle du Mal et à sa seule réalité», une «offrande insensée de la Douleur existentielle adressée au Mal absolu».
Cependant jamais le petit-fils ne condamne, le Diable fût-il à la manœuvre dans les «ensorcelleries» de l'aieul et de ses funestes héros. Au contraire, Jean-Marie Turpin qui, à l’occasion, nous révèle la profondeur pathétique des liens qui, jusqu’à sa fin,

unirent Ie chevalier Céline à sa première épouse Edith Follet, dépeint avec une compassion digne des imagiers des enclos paroissiaux bretons la tragédie d'un écrivain dont la damnation fut «d'éprouver dans sa chair la mort de la vie» et qui, en coopérant à «I'Avènement de la révélation du Mal», nous a laissé une formidable leçon de Ténèbres.

Jean-Marie Turpin (écrivain, théologien, philosophe est le petit fils de Louis-Ferdinand Céline, l'un des enfants de Colette, fille d'Edith née Follet, la première femme de Louis-Ferdinand Céline avec laquelle l'écrivain resta en contact jusqu'à la fin de sa vie ). Il témoigne: «Lorsqu'il était en prison au Danemark, ma mère m'a demandé de lui écrire, j'avais alors une dizaine d'années. Nous avons eu une correspondance suivie et très gentille pendant plusieurs années. Dans mon adolescence, ma mère s'est débrouillée pour que j'aie accès à tous ses écrits. J'ai tout lu. (...) J'étais avec un copain mais il est resté dehors. Je suis rentré dans la maison sans sonner. Je suis tombé directement sur Céline, surpris de me voir.
Il n'avait pas beaucoup de temps pour me recevoir, il était malade, submergé par la presse qui s'intéressait de nouveau à lui. Il n'avait pas envie d'accorder d'interview, il souhaitait terminer son oeuvre. J'ai débarqué là-dedans ! Il m'a interrogé sur mes études, a été surpris que j'aie lu son oeuvre et a vérifié mes connaissances en me posant des questions. L'entretien a été drôle et caustique. Céline avait un humour fracassant, une ironie féroce. C'était un grand-père comme je le rêvais. Malheureusement l'entretien fut bref et il me demanda de revenir le voir avec le baccalauréat en poche. Il devait mourir quelques mois après.» 
(In Bertrand Arbogast, J.M. Turpin termine son prochain livre à Armenonville, La République du Centre, L'Année Céline 1995, Du Lérot).

Jean-Marie Turpin, petit-fils de Céline (1942-2015)
L'écrivain et philosophe Jean-Marie Turpin est décédé, samedi, dans sa maison de Landéda. Né le 3 août 1942, il avait 72 ans. Descendant direct du docteur Augustin Morvan, député maire de Lannilis, qui a donné son nom à l'hôpital de Brest, il était aussi le petit-fils de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, auquel il a consacré un ouvrage, Le Chevalier Céline. Poète, romancier, dramaturge et encore peintre et calligraphe, Jean-Marie Turpin est reconnu pour ses écrits littéraires. Certains ont pour toile de fond la Bretagne et ses légendes où réel et fabuleux se mêlent, comme dans les récits étonnants que sont Les Runes, Augustin Morvan ou les images divines des petits garçons de Lannilis. C'était encore un métaphysicien admiré par ses pairs pour la qualité de ses recherches et pour sa pensée profonde. 

jeudi 1 décembre 2016

Céline vu par Robert Brasillach

En relisant le numéro 10 (1964) des Cahiers des Amis de Robert Brasillach, je suis tombé sur ce texte…

En page 151 de son admirable étude célinienne parue dans La Bibliothèque idéale (Céline de Marc Hanrez), l'auteur remarque avec pertinence : «… à proprement parler, Céline est rebelle à tout ordre (qui ne fût pas le sien propre et spontané), donc à tout classement. Robert Brasillach, j'estime, a été le premier à comprendre la nature de son génie. Il n'a pas cherché à le caser quelque part, mais s'est borné à souligner la parenté qui existe entre son œuvre et la littérature européenne du XVIIIe siècle.»
Nous savions que Léon Daudet, au style volontiers truculent et à la saveur presque célinienne, avait découvert et lancé l'auteur de Mort à crédit, mais il est bon de rappeler que Robert Brasillach, qui avait la prescience des valeurs littéraires et humaines, et qui par ailleurs semblait fort éloigné de l'abondance verbale du docteur Destouches ait pu reconnaître, jeune encore, la grandeur et le talent extraordinaire de Céline.
Marc Hanrez cite un texte magnifique où Robert Brasillach explique en quoi consiste l'originalité de Céline :
« C'est par le vocabulaire que le Voyage a surpris. L'argot s'y déverse avec une abondance qui choqua. Aujourd'hui que Céline est allé beaucoup plus loin dans cette voie, le langage de son premier roman nous paraît presque classique. C'est que la syntaxe aussi y est plus proche du français littéraire, elle y est plus variée, alors que dans les œuvres qui ont suivi, avec des phrases courtes, séparées par de sempiternels points de suspension, elle est d'une monotonie et d'une simplicité qui confondent parfois. Ajoutons que tout est clair dans le Voyage : peu de mots inventés, ou déformés qui abondent ailleurs et dont l'invention, souvent splendide, est aussi quelquefois inutile et abusive. Point d'épisodes saugrenus, d'un surréalisme à la canaille, point de petits ballets macabres et de fantaisie débridée comme dans Bagatelles, point de ces pages pleines de points d'exclamation et de danses du scalp un peu hystériques, qui, selon l'humeur, éblouissent ou déconcertent, comme il arrive dès Mort à Crédit, roman souvent extraordinaire et souvent épuisant, qui ne me paraît pas valoir le Voyage
L'argot est ici utilisé, avec ses raccourcis, ses mots, son naturel, mais dans un cadre plus châtié. Et, disons-le tout net : la réussite est beaucoup plus saisissante. Qu'on fasse l'expérience, et qu'on relise le Voyage : on aura l'impression un peu surprenante d'aborder un texte classique, où rien ne vous surprend dès l'abord, où tout est à la fois, dur et ténébreux. C'est la façon de vieillir qu'ont les grandes œuvres.»

Robert Brasillach Les Quatre jeudis 1944 (pp 225-226) cité par Marc Hanrez dans son Céline.

Robert Brasillach (de face) et, à gauche, Maurice Bardèche, dans les tranchées de la cité Universitaire à Madrid en 1938.

mercredi 16 novembre 2016

Céline et l'agité du trou de balle… Nicole Debrie vs Philippe Alméras

 «Alméras se mord la queue comme l'ouroboros...qui réalise tant bien que mal une sorte de circuit fermé comme ces animaux élémentaires auxquels un seul orifice tient lieu de bouche et d'anus...» «un diabolique et pervers "ouroboros" dont la cuisine des mots dégage une odeur de farce pestilentielle...»
[[[En 1987, la Bibliothèque de littérature française et contemporaine de l'université Paris VII édite cette plaquette hors commerce*
Marc Laudelout :

Cher Monsieur,
Je me permets de vous signaler une petite erreur : ce n'est pas la BLFC qui a édité ce libelle de Nicole Debrie ! Il s'agit d'une auto-édition.
Bien à vous,
En effet, mon erreur vient de la présentation ! Il s'agit bien d'une auto-édition.


Ce court pamphlet de Nicole Debrie est une réfutation de la théorie de Philippe Alméras selon laquelle Céline a toujours été raciste.


*non paginé, 24 pages, 16 X 24,5 cm, EAN13 9782950583611





Bulletin célinen 390




dimanche 13 novembre 2016

Rabelais il a raté son coup… Quand Céline parle de Rabelais (1959)

L'Equipement de la pensée est une intéressante librairie parisienne qui se fait parfois éditeur…

Louis-Ferdinand Céline parle de Rabelais 
Interview pour Le Meilleur livre du mois (1959) 









samedi 29 octobre 2016

Céline à visage humain


Dieu qu'ils étaient lourds.. ! avec Marc-Henri Lamande et en alternance Ludovic LONGELIN et Régis BOURGADE

Un article plutôt bien tourné, publié dans Le Monde !

CELINE À VISAGE HUMAIN
dans Dieu qu'ils étaient lourds... ! 
par EVELYNE TRAN, THEATRE AU VENT
Au Théâtre du lucernaire avec Marc-Henri LAMANDE

Je viens d’assister pour la troisième fois à la représentation de Dieu qu’ils étaient lourds... ! Un spectacle conçu comme une entrevue avec le célèbre écrivain CÉLINE, interviewé à la radio par un journaliste, à la fin des années cinquante.

Ce qui stupéfie tout d’abord, c’est l’incroyable résonance actuelle des propos de cet homme, de sorte que si nous devions le retrouver à la sortie du théâtre pour lui dire un mot ou simplement lui manifester notre présence, nous ne serions pas étonnés.
Le journaliste qui représente les médias, censés informer la foule des humains, ou des lecteurs dont se moque Céline, aurait pu devenir un personnage de roman, pêcheur, sans d’autre hameçon que quelques questions affligeantes, témoignant de l’extraordinaire décalage entre l’univers d’un artiste, un travailleur de mots, et les profanes qui ne comprennent pas que sortie de son contexte, la littérature devient un cygne noir, ou l’Albatros de Baudelaire, en ces vers :
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Pourtant, nous avons beau avoir les oreilles bourdonnantes d’actualités malignes, il nous arrive parfois de rentrer dans un musée, à la recherche de beautés, d’émotions, qui nous permettent d’échapper, un moment, au quotidien. Ce spectacle c’est un peu comme si vous entriez dans l’atelier d’un écrivain, l’atelier de sa création. Les propos de Céline nous font comprendre qu’un écrivain n’est pas autre chose qu’un artisan des mots, proche d’un forgeron, d’un menuisier, d’un peintre.
Alors évidemment, lorsque le journaliste se fait l’écho de certains lecteurs qui s’indignent du langage cru de Céline, comment ne pas applaudir intérieurement Céline qui affirme : « je suis un être très raffiné », en évoquant sa mère qui était dentellière.
Le journaliste se fait aussi l’écho des personnes qui reprochent à Céline, ses antécédents antisémites. La question du mal est posée, comme une gifle. Se peut-il que le mal avec un grand M se trouve chez cet homme Céline, qui raconte sa vie devant nous, un peu, comme dans un rêve. Peut-on se complaire dans le mal ? La haine est pathologique. Les hommes sont destructeurs, pense Céline, sinon ils ne feraient pas la guerre. La souffrance, dit-il, rend les gens méchants. De tels propos dans la bouche d’un homme, se déclarant l’ennemi du genre humain. En disent long sur les affres de la psyché. Céline qui vient de faire deux ans de prison et qui n’est pas sorti de la misère, répond qu’il a payé, qu’il a été dépassé, qu’il aurait dû se taire. Mais c’est désormais un homme à bout, qui ne peut plus se déchainer.
Le spectateur, le lecteur de journaux à sensation fonctionnent comme des voyeurs, ils recherchent le mal, mais est-ce vraiment pour l’extirper d’eux-mêmes, ou simplement pour se rassurer en disant : il est là, on va pouvoir l’anéantir, le supprimer, et nous serons saufs, nous serons lavés de toutes nos souillures.
Cependant, le journaliste ne joue pas le rôle de juge, il ne fait que poser les questions. Céline les accepte, mais n’y répond pas. Sans doute parce que le journaliste et lui ne parlent pas la même langue. À l’heure où nous l’écoutons, il s’est retranché derrière la seule chose qui ait compté pour lui, son travail. En substance, il dit qu’il n’avait pas d’autre prétention que d’être médecin et écrivain, que le reste de sa vie ne représente que « des turpitudes qu’un peu de sable efface »
Il s’agit du portrait d’un homme au seuil de sa vie, qui nous touche à cause d’une sorte de passion qui l’anime, indéfinissable et rayonnante.


Le comédien poète Marc-Henri Lamande, également artisan de mots, fait si bien étinceler la langue de Céline, ses aphorismes, ses exclamations, ses emportements qu’à la fin de la représentation, nous nous interrogeons encore sur cet homme qui a tant vécu, étrange, humble, violent et fascinant à la fois.

Le spectacle, intimement orchestré par le metteur en scène Ludovic LONGEVIN, est construit un peu comme une symphonie, portée juste par la faconde de Céline, qui donne l’impression de ne pas se prendre au sérieux. Il est vrai « qu’il envoyait chier tout le monde » sans distinction.
Dans ce spectacle, il ne s’agit pas de débattre pour ou contre Céline. Il s’agit d’écouter un homme, un écrivain. Il parait qu’il a écrit « Voyage au bout de la nuit ». C’est un livre qui mérite le détour comme ce spectacle surprenant qui nous conduit dans les chantiers de la création, aussi simplement et justement que si nous devions gravir une échelle pour toucher le jour.

Le 23 Mai 2011, Evelyne Trân


Dieu qu'ils étaient lourds.. ! avec Marc-Henri Lamande et en alternance Ludovic LONGELIN et Régis BOURGADE
Conception, adaptation, mise en scène de Ludovic LONGELIN
THEATRE DU LUCERNAIRE 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS du 4 Mai au 23 Juillet 2011 le Dimanche à 17 h jusqu’au 19 Juin 2011

vendredi 28 octobre 2016

Céline, le pérégrin

Céline, le pérégrin par Lucien Combelle
Préface à 
Le style contre les idées : Rabelais, Zola, Sartre et les autres
PÉRÉGRIN, -INE, adj. et subst.
A.− DR. ROMAIN
1. Adj. Qui concerne l'étranger libre, lequel ne jouissait ni du droit de cité ni du droit latin. À côté du droit civil et du droit latin, il se constitua à Rome un droit pérégrin (...). En 241, on institua pour eux un préteur spécial, le préteur pérégrin(Lavedan1964).Toutes les cités pérégrines s'administraient elles-mêmes (Pell.1972).
2. Subst. masc. En 212 ou 213 ap. J.-C., les pérégrins de l'Empire romain obtinrent la citoyenneté romaine (Pell.1972).
B.− P. ext., littér., subst. masc. Voyageur, nomade, étranger. Ils me tombèrent tous sur le dos, raillant, disant qu'on connaissait mon goût, et me nommant vieux fou, Brugnon bouge-toujours, le pérégrin, l'errant, Brugnon frotteur de routes... (Rolland, C. Breugnon,1919, p. 100).
− En partic. Pèlerin. Mais j'avais peu de goût pour ce pèlerinage qui contraignait le pérégrin à loger chez l'habitant (Colette, Apprent., 1936, p. 111). Le clerc ne voulut s'y rendre qu'à pied, toujours en pérégrin (La Varende, Curé d'Ars,1957, p. 57).
Date de parution janvier 1999 Editions Complexe 
Collection Regard Littéraire (12cm x 18cm, 160 pages)
Depuis 1932, avec Céline si vous avez choisi de lui être fidèle compagnon, on voyage. Mais il faut être prudent, ne pas partir sans biscuit. De marin, si possible. En 1932, je n’avais pas vingt ans. Né dans un port, un des plus importants de France à l’époque, je rêvais d’impossibles voyages, surtout quand je déchiffrais Singapour à la poupe d’un cargo. Et je lisais. A l’âge où l’on peut aimer la verve d’un Léon Daudet. Et c’est comme ça que « le voyage » commence ! Bien sûr « la nuit » m’échappe si me séduit déjà le nihilisme. Et si je tente sur mon pont à moi qui s’appelait Corneille d’apprendre par coeur : « De loin, le remorqueur a sifflé ; son appel a passé le pont, encore une arche, une autre, l’écluse, un autre pont, loin, plus loin… Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu’il emmenait, la Seine aussi, tout, qu’on en parle plus. » Comme je regardais toujours vers l’aval, cette sirène du remorqueur m’appelait moi aussi… Bientôt Paul Valéry, le poète du Cimetière marin et du « vent qui se lève » qualifiait Céline de « criminel ». Agréable frisson pour un adolescent. Vétilles. Broutilles. Ce que contient ce livre. 
Mais l’important est dit par un M. Fourmont, organisateur d’une exposition consacrée à Céline à Houilles après la publication en 1969 de Rigodon. Je cite :« Nous n’avons pas abordé le problème de l’antisémitisme, ni de la prétendue "collaboration" car 
1° nous avons tous de vingt à vingt-cinq ans. Donc notre jugement ne pouvait être correct. 
2° notre seul but était : faire lire Céline avant tout. » 
Un encadré dans Le Monde, inséré dans le feuilleton de Pierre-Henri Simon, de l’Académie Française, chroniqueur littéraire rendant compte de Rigodon : « Vais-je conclure que Rigodon aurait pu rester dans le tiroir des papiers médiocres. Non. Céline représente un cas assez extraordinaire dans notre littérature pour avoir droit à une attention totale, il a un souffle qui, même fatigué, peut encore soulever sa prose à de belles hauteurs. » 
Le manuscrit de Rigodon est annoncé chez Gallimard les derniers jours de juin 1961, Céline meurt le 1er juillet. La tombe au cimetière de Meudon est basse et plate, avec un petit voilier gravé dans la pierre. Lui reste dressé tel un vaisseau de haut bord, voiles carguées, chargé d’explosifs sur la Mer des Sarcasmes. Et de partout, de tous les continents partent à l’abordage avec des grappins plus ou moins solides du grand navire que j’ai baptisé « L’Imprécator ». L’approche n’est pas facile.Vagues géantes ou clapotis selon les talents : Céline, un fou, un parano, un tout, un rien, le sabbat commence, prophète, barde, visionnaire, la nuit de Ferdinand, sa misère, ses mensonges, on ne sait pas lire Céline, la poétique de Céline, Lili sa femme, Bébert son chat, son ami La Vigue, sans oublier la divine Arletty, en vrac, comme ça, à l’infini. 
Déjà en 1952, Roger Nimier écrit : « il est très naturel de ne pas aimer Céline », en 69, Le Clézio déclare : « On ne peut pas ne pas lire Céline ». Au fait ! fasciste ou pas ? Et le voilà en chemise noire ou brune, de surcroît avec des « idées politiques » dès 1972 selon la thèse de Jacqueline Morand, doyenne de la faculté de Droit. Antisémite depuis toujours selon Philippe Alméras, professeur en Californie… A hue, à dia… Et on pose la question : où est Céline ? Qui est Céline ? Et qui n’a pas lu Céline ? Moi ! répond un romancier dont je préfère taire le nom. Poursuivant cette préface, je dis à Pierre Assouline : Pierre, Céline est une auberge espagnole, on y trouve ce qu’on y apporte… Plus que ça me répond-il, Céline, c’est l’Unesco…
Réponse justifiant le monument de Jean-Pierre Dauphin : La bibliographie des écrits de Louis-Ferdinand Céline, extraordinaire travail sur l’œuvre, ses traductions, le cursus du monstre, de 1932 jusqu’à nos jours. Et si on ajoute à ce livre que tout Célinien devrait posséder les trois volumes de la biographie de Céline de François Gibault, réunissant avec rigueur et dévotion tout ce qui explique, éclaire une vie aussi exceptionnelle que l’œuvre, eh bien ! qu’y ajouter ? Des livres thématiques, antithématiques, des synthèses, des mauvaises humeurs, des haines recuites, des critiques revanchardes, des cautions bizarres, un peu de snobisme, beaucoup de curiosité, comme si Céline restait un mystère créant un malaise… Bibliophiles fidèles d’un écrivain, ces gens connaissent les truffes. On truffe un livre comme on pique de clous de girofle l’oignon du pot-au-feu. Tous mes Céline sont truffés d’articles découpés au hasard des lectures se rapportant souvent au volume concerné. Ainsi ai-je pu pour cette préface que je voulais quelque peu intimiste, retrouver des textes surprenants, celui de Xavier Grall par exemple, publié dans Le Monde ; du Grall merveilleux évoquant un Céline amoureux de la mer : « la seule tendresse durable de Louis-Ferdinand ». Ça s’intitule « Céline blues », Saint-Malo en toile de fond, deux sous-titres que j’eusse aimé trouver : « Le voyage au bout de la mer » et « Meudon maudit », la Tamise du « Pont de Londres », sloops, barques, cargos, voiliers et tous les marins du monde… Et j’en rajoute, du «Guignol’s Band», les entrepôts, les himalayas de sucre en poudre, les trois mille six cents trains d’haricots, les mille bateaux d’oignons, du café pour toute la planète, des allumettes à frire les pôles, des mammouths truffés comme mes bouquins, je suis comme Grall, je m’exalte, les Docks que j’ai visités, « Pont de Londres » sous le bras, la mer, l’estuaire, mon pont Corneille sur la Seine, sister
de la Thames River, c’est vrai, ce bougre d’homme m’a toujours fait rêver même si, m’accompagnant au portillon de la route des Gardes à Meudon, et la Seine, là, c’était Billancourt, Céline me disait : « Ne bois pas d’alcool, petit lapin, des nouilles, de l’eau… » Mais la truffe de Grall m’a permis une belle escapade à laquelle n’échappe pas le plus benoît des agrégés. Encore une poignée de truffes sous la forme de lettres écrites de Copenhague à son ami d’enfance Georges Geoffroy. Son ami a quelque soucis matrimoniaux, Céline lui écrit : « Bien sûr gros baffreux c’est pour ça qu’Hélène est partie, à cause de ton ventre… il te coûte des millions ton ventre, et tant d’illusions ! et la vie bientôt si tu ne te mets pas enfin au régime net, et non à un régime cafouilleux pour clients de villes d’eaux qui ont les moyens… affreux tu dois maigrir de 10 kilos…» Une autre lettre au même en 47-48. « Ne bois pas une goutte de vin du tout ni d’alcool du tout. Ne fume pas du tout. Mange peu. Maigre. Tu as un bide ridicule – tu es frais de teint et solide – tu vivras cent ans et heureux si tu n’écoutes pas ces médecins optimistes, ils sont endormeurs et ils s’en foutent. Sois sévère pour toi. Couche-toi de très bonne heure. Maigre… mort au bide ! Pas de brioche – maigre – pas de vin, de l’eau… » Et pour finir avec ce divertissement hygiénique : « Profite au contraire de ce déchirement. Attache-toi à une toute jeunette, bien sportive, bien libérale, tu vois ce que je veux dire et jolie… il faut avoir de la jeunesse autour de soi. » Une autre : « Le rêve serait de n’avoir jamais plus de 60 ans à deux… » 
Pour finir et changer de tempo : « Regarde cette Europe imbécile, pourrie, bâtarde ! et paumée… » Pour échapper aux maléfices, charmes, facilités universitaires, je butine de fleur en fleur, cherchant avec mes historiettes, nouilles à l’eau et pas d’alcool, un enchaînement sur Semmelweiss, petit livre admirable qui a droit à un ex-voto dans l’église célinienne. Mais voilà, comment faire ? Le livre commence très simplement par cette phrase : « Mirabeau criait si fort que Versailles eut peur. » Suit l’histoire dramatique du toubib hongrois. Avec Céline, se méfier des choses simples ; l’histoire commence en réalité par une présentation de l’auteur dont voici le dernier alinéa : «Supposez qu’aujourd’hui, de même, il survienne un autre innocent qui se mette à guérir le cancer. Il sait quel genre de musique on lui ferait tout de suite danser ! ça serait vraiment phénoménal ! Ah ! qu’il redouble de prudence ! Ah ! il vaut mieux qu’il soit prévenu. Qu’il se tienne vachement à carreau ! Ah ! il aurait bien plus d’afur à s’engager immédiatement dans une Légion étrangère ! Rien n’est gratuit en ce bas monde. Tout s’expie, le bien,comme le mal, se paie tôt au tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément ». Ne rien négliger, ni préface, présentation, exergue, une m’a toujours plu : «Dieu est en réparation». Cherchez-là, le reste en vaut la peine… Une phrase d’introduction à ce qui va suivre, elle est de Frédéric Vitoux, l’auteur du pertinent Céline, misère et parole : « Céline est un écrivain déraisonnable. » Pascal Pia ajoute : « L’art de se mettre dans son tort. » Nous sommes en 1973. Deux truffes, l’une du journal Le Monde (Paul Morelle), l’autre du journal Combat (Michel Bourgeois). Ce dernier présente trois ouvrages parus simultanément : d’un Canadien, André Smith : La nuit de Louis-Ferdinand Céline ; d’une Américaine, Erika Ostrovski : Céline, le voyeur-voyant ; d’un Français, Frédéric Vitoux : Misère et Parole, auxquels s’ajoutent deux autres dans Le Monde : Les idées politiques de Louis-Ferdinand Céline de Jacqueline Morand, docteur es-sciences politiques et Drieu la Rochelle, Céline, Brasillach et la tentation fasciste du finlandais Tarmo Kunnas. Titre du Monde : Céline et les universitaires ou la fin d’un purgatoire, qui annonce d’autres ouvrages. Dans les "papiers" de la même époque, on trouve ici et là, citations ou réflexions taillées dans le granit, celles de Céline : « Il faut mentir ou mourir. » – « Notre voyage à nous est imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. » Et l’inévitable « A quoi bon ? »… Celles des chroniqueurs : « Echecs, révolte sans avenir, absence d’illusion, folie et mort composent la toile de fond de l’univers célinien » (Smith). « Refus de toute transcendance, de tout espoir qui prolonge la misère matérielle et morale de l’homme sans Dieu, sa faiblesse et son néant dans le sentiment aigu et constant de son inutilité, de sa mort » (Vitoux-Morelle). Enfin, à Combat, ce bilan : « Voué aux insultes, à la malédiction, à la haine féroce, Céline, l’homme, a connu de profondes humiliations, de sanglantes antipathies, de virulentes attaques, des haines de premier ordre » (Michel Bourgeois). Avant, pendant, après ces signes de renaissance du maudit, cinq tomes « haut-de-gamme » chez l’éditeur Balland, trois Cahiers de L’Herne, deux volumes de la Pléiade, le démarrage des Cahiers chez Gallimard (aujourd’hui sept volumes). Sans oublier la précieuse biographie en trois volumes de Gibault et la monumentale bibliographie de Dauphin et Fouché. Comme disait Céline : « Et voilà tout ! » Pour l’instant… 
Oui, pour 1973 mais en 1987, quoi de nouveau ? Je retrouve mon auberge espagnole qu’Assouline, du moins en ce qui concerne Céline, appelle l’Unesco ! Premier semestre : trois volumes importants et non des opuscules. L’un pour refuser à Céline le dignus est intrare dans la cathédrale fasciste qui est sans doute gothique ; l’autre, qui le veut antisémite depuis le berceau ; enfin, le troisième qui avec "celtitude", situe le génie de Céline dans la tradition des chevaliers du Graal en le faisant chevaucher un peu à la manière de Don Quijote… Trois livres, trois auteurs de qualité universitaire et eux-mêmes hommes de qualité ! Alors ? Où allons-nous avec ces quelques milliers de pages nouvelles ? Mais finalement, qui est Céline ? D’où vient-il ? A quelle époque appartient-il ? Médecin. Ecrivain. Prophète. Visionnaire. Banalités dites, redites. Je ne sais pourquoi je retrouve à cet instant cette phrase de Cioran : « Seul un monstre peut se permettre le luxe de voir les choses telles qu’elle sont » (Histoire et Utopie). Céline, me dit un ami, libertaire lettré, c’est l’écriture d’hier, d’aujourd’hui, de demain, écriture parlée, langage de la vie ; à la fin de la guerre, mes copains de lycée lisaient tout Céline – j’ai eu moi même une faiblesse pour Semmelweiss – nous avions enfin le langage, le style littéraire que nous attendions… Savaient-ils le lire ? Sait-on le lire ? Quinze lecteurs – quinze pour ne pas dire dix mille – quinze lectures, quinze émotions différentes, quinze perceptions de la musique des mots et aussi du non-dit, alchimie comme une autre, langue vivante et forte, vieillie sans âge depuis des années ; celle de demain encore, qui sait ? Nombreux sont les jeunes lecteurs venus me demander par quel livre commencer la lecture de Céline. J’ai toujours conseillé le Voyage… si vous suivez, vous marcherez… N’avais-je pas écouté la chanson, ne provoquais-je pas à la première occasion la lecture à haute voix, histoire de me casser la voix d’émotion, les adieux à Molly : « Bonne, admirable Molly, je veux si elle peut encore me lire, d’un endroit que je ne connais pas, qu’elle sache bien que je n’ai pas changé pour elle, que je l’aime encore et toujours, à ma manière, qu’elle peut venir ici quand elle voudra partager mon pain et ma furtive destinée. Si elle n’est plus belle, eh bien tant pis ! Nous nous arrangerons ! J’ai gardé tant de beauté d’elle en moi, si vivace, si chaude que j’en ai bien pour tous les deux et pour au moins vingt ans encore, le temps d’en finir. Pour la quitter il m’a fallu certes bien de la folie et d’une sale et froide espèce. Tout de même, j’ai défendu mon âme jusqu’à présent et si la mort, demain, venait me prendre, je ne serais, j’en suis certain, jamais aussi froid, vilain, aussi lourd que les autres, tant de gentillesse et de rêve Molly m’a fait cadeau dans le cours de ces quelques mois d’Amérique. » Mon premier Voyage, 1932, il est là, 623 pages, Denoël et Steele ; annoncé en préparation, du même auteur : « Tout doucement. » Mon premier Mort à crédit, 1936, 697 pages, même éditeur. Total : 1 320 pages. Plus tard, beaucoup plus tard, pour la valise et le chevet, la Pléiade 1962, préface d’Henri Mondor ; un seul volume VoyageMort à crédit. Total : 1 090 pages… Merveilleux pour les pérégrins. 1981 : même collection, mêmes titres : 1 582 pages ! 500 pages de plus, les deux oeuvres préfacées, annotées – notices, notes, variantes,répertoire, vocabulaire, le tout signé d’Henri Godard, professeur d’Université qui doit, j’imagine, aimer et faire lire Céline. Ma déférence lui est acquise. Et j’ai lu Henri Godard, avec crainte d’abord, les rêves sont fragiles de même que les enthousiasmes d’adolescents, les complaisances ou les inappétences de l’adulte, ensuite avec un plaisir si vif que j’éprouvais le besoin de noter à mon tour : « La terre est abhorrée : elle est la matière même, lourde,collante, jamais plus atroce que quand elle est devenue boue, et pour cette raison montrée de préférence sous cette forme, des boues de Flandres au début du Voyage au bout de la nuit, à celles de la côte anglaise autour de Brighton dans Mort à crédit ou du Brandebourg dans Nord. Elle est, humus, faite de la décomposition et de la pourriture de ce qui est revenu à elle après en avoir été un moment détaché : végétaux, cadavres ; ce corps, le mien, s’y fondra un jour. La terre pour Céline est image de mort. A l’opposé, mers et fleuves, ciels, nuages et brouillards lui présentent toute la féerie du monde par visions brèves. Tout ce qui s’y rattache, ports, bateaux, du bateau-mouche à la péniche et au trois-mâts goélette, est occasion de lyrisme… » Voilà pourquoi, Monsieur le Professeur, je n’aime pas le cimetière de Meudon. Ni les autres. Enorme paradoxe que cette œuvre visionnaire, sombre comme notre époque, écrite à l’encre noire du nihilisme mais aussi transparente comme eau de source, scintillante souvent d’une certaine joie de vivre, écrivain sachant faire rire, sa tonicité est là, il bouffonne, rigole, ment, triche, avec lui c’est la santé et avec Ferdinand, couché sur un lit d’hôpital militaire, si on refuse les oranges de Clémence c’est, puisqu’on a faim, pour brouter le bouquet de violettes de l’infirmière. Un glossaire célinien ne donne pas la recette, seule, la lecture, le chant des mots, comme un cantique en latin pour un intégriste à Saint-Nicolas-de-je-ne-sais-quoi ! Allons bouffonner ensemble par 3472 mètres de fond, à proximité de Terre-Neuve, là où se situe le Palais de Neptune et de Vénus aux Abysses. Les soubrettes sont des sirènes, fort girondes mais Neptune fait pépé ; quand à Vénus, malgré les bains de lait de Baleine, ses seins divins n’ont aucune tenue alors que ceux de Pryntyl, la jolie sirène que Neptune a rapatriée de chez ces chiens terrestres, dardent sous la caresse d’un espadon. Et dans le Palais se prépare un banquet de 492 000 couverts pour fêter le retour de la Lolita des Abysses alors que là-haut hurlent sourdement les cornes de brume. L’histoire de pépé Neptune, mémé Vénus et la jolie Pryntyl, ce trio célinien, sans oublier le capitaine Krog commandant de l’Orctöström, ce nom que Céline invente en rêvant peut-être d’un fjord, a été publiée par son ami Pierre Monnier en 1950, alors que Ferdinand tremblait de rage et de froid sur les rivages danois. Mais il y aura toujours des pisse-froid qui jamais ne sauront que Céline fait rire ceux qui aiment le lire. « Je jure que j’avais ce poison en ma possession depuis 1944. Ni mes avocats, ni mes gardiens, ni ma famille ne sont coupables de me l’avoir procuré » (page 513 du Laval de Fred Kupferman, édité chez Balland, 1987). Cette ultime déclaration manuscrite de l’homme d’Etat concerne 1° son suicide manqué, 2° son effroyable exécution. Mais l’auteur de cette excellente biographie de Pierre Laval émet une hypothèse en ces termes : « Ce poison éventé, ou mal pris, vient-il de la pharmacie personnelle de Louis-Ferdinand Céline, qui en aurait fait cadeau à Laval lors de ses visites à Willflingen ? » Voilà la chronique célinienne évoquée, sans référence précise certes mais dans cette apocalyptique trilogie (D’un château l’autre, Nord, Rigodon – Pléiade, tome II), Laval est présent, réelles les rencontres avec Céline… Fred Kupferman répète : « Le suicide manqué de Laval conserve son secret. » Mais Céline, lui, est mis par un historien – sinon par l’Histoire – en situation shakespearienne. Une dimension qu’il me plaît de choisir pour terminer cette préface.
Lucien Combelle

Lucien Combelle, écrivain et journaliste, est né le 4 août 1913 à Rouen. Il y est mort le 20 janvier 1995. Ami de Paul Léautaud2, de Claude Roy, de Louis-Ferdinand Céline, secrétaire d'André Gide avant-guerre, il fut aussi membre de l'Action française. Il collabore en écrivant dans La Gerbe et en participant à la fondation de Révolution nationale comme rédacteur en chef et directeur. Il fut témoin du suicide de Pierre Drieu la Rochelle dont il était proche. Signataires du manifeste collaborationniste : Déclaration commune sur la situation politique du 5 juillet 1944, portant les signatures d'Abel Bonnard, Bichelonne, de Brinon, Déat et de 29 personnalités parisiennes, il est condamné le 28 décembre 1944 à quinze ans de travaux forcés, il fut amnistié en 1951.
Dans les années 1960-1980, sous divers pseudonymes (Lucien Dauvergne, Lucien François, Monsieur Larousse, Oncle Lulu), il travaille au journal Pilote et à Europe 1. Il est aussi chroniqueur au Progrès, à Combat, à Absolu et à Art up.

Pierre Assouline, Le Fleuve Combelle, 1997, Calmann-Lévy. 
(Intéressante biographie par son ami Assouline)
Chronique de L'Express à la sortie du livre : Qu'étaient-ils donc l'un pour l'autre? Des amis d'abord. Sans complaisance ni ambiguïté. «Remonte le fleuve», conseille Lucien Combelle à Pierre Assouline, lui suggérant que son existence n'avait été qu'une dérive, depuis les quais de Rouen jusqu'au tribunal qui le condamne, en 1945, à quinze ans de travaux forcés, à la dégradation nationale et à la confiscation de ses biens - cette peine ayant dû paraître ironique à celui qui n'a jamais rien possédé.
La puissance de ce petit livre ne vient toutefois pas de la dissection d'une aberration politique. Elle vient de cette passion de la littérature, le meilleur de Lucien Combelle, sa vocation intime, laquelle habite également son ami juif. Il réussit même à le réconcilier avec la part maudite du solitaire de Meudon, les essais et les pamphlets antisémites qu'on s'obstine à opposer à ce qui serait le «bon» Céline. «Céline est un bloc, écrit Assouline. Si on lui trouve du génie, on ne peut faire l'économie de l'abjection, des vomissures, de la haine.»

Après la guerre, Lucien Combelle présentera naturellement un profil nettement moins tranché. Ainsi, lors de l’émission Apostrophes (1978), il évoqua le « jeune fasciste sincère, de bonne foi et naïf » qu’il fut. C’est seulement chez le juge d’instruction, ajouta-t-il, qu’il découvrit ce qu’est la responsabilité des intellectuels. Philippe Alméras, qui l’avait rencontré, lui aussi, dans les années quatre-vingts, garde le souvenir de sa grande prudence : « Comme tous les ébouillantés de la Libération, il craignait l’eau froide ». Céline entretint avec lui une relation du même type (un peu paternelle) que celle qu’il noua avec Henri Poulain, le secrétaire de rédaction de Je suis partout. D’une vingtaine d’années leur aîné, il ne craignait pas de les morigéner dès que paraissait dans leur journal respectif un article qu’il désapprouvait. Ainsi, à propos de cet éditorial sur (ou plutôt contre) Maurras : « Combelle fait l’enfant. Il sait aussi bien que moi l’origine de l’horreur de Maurras pour l’Allemagne – le Racisme. » Ou à propos d’un compte rendu du livre, Pétition pour l’histoire, d’Anatole de Monzie : « Tu dédouanes Monzie à présent et son histoire ? La merde est à ton goût ! Rien de plus pourri que ce vieux pitre – membre de la Ligue des Droits de l’Homme – membre de la Lica – grand ami de Lecache et Jean Zay ! ». Les exemples sont nombreux… Contrairement à Poulain, exilé en Suisse, Combelle reverra Céline. C’est seulement à la parution D’Un château l’autre qu’il reprit contact. « Tout ceci ne nous rajeunit pas ! », lui répond Céline, une dizaine d’années après la tourmente qui les vit embastillés l’un à Copenhague, l’autre à Fresnes.
Marc Laudelout
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lundi 17 octobre 2016

The way in which our words are formed and uttered / La façon par exemple dont sont formés et proférés les mots

Journey to the End of the Night
"When you stop to examine the way in which our words are formed and uttered, our sentences are hard-put to it to survive the disaster of their slobbery origins.The mechanical effort of conversation is nastier and more complicated than defecation. That corolla of bloated flesh, the mouth, which screws itself up to whistle, which sucks in breath, contorts itself, discharges all manner of viscous sounds across a fetid barrier of decaying teeth—how revolting! Yet that is what we are adjured to sublimate into an ideal. It's not easy. Since we are nothing but packages of tepid, half-rotted viscera, we shall always have trouble with sentiment. Being in love is nothing, its sticking together that's difficult. Feces on the other hand make no attempt to endure or grow. On this score we are far more unfortunate than shit; our frenzy to persist in our present state—that's the unconscionable torture.
Unquestionably we worship nothing more divine than our smell. All our misery comes from wanting at all costs to go on being Tom, Dick, or Harry, year in year out. This body of ours, this disguise put on by common jumping molecules, is in constant revolt against the abominable farce of having to endure. Our molecules, the dears, want to get lost in the universe as fast as they can! It makes them miserable to be nothing but 'us,' the jerks of infinity. We'd burst if we had the courage, day after day we come very close to it. The atomic torture we love so is locked up inside us by our pride."
Louis-Ferdinand Céline, Journey to the End of the Night
«Quand on s’arrête à la façon par exemple dont sont formés et proférés les mots, elles ne résistent guère nos phrases au désastre de leur décor baveux. C’est plus compliqué et plus pénible que la défécation notre effort mécanique de la conversation. Cette corolle de chair bouffie, la bouche, qui se convulse à siffler, aspire et se démène, pousse toutes espèces de sons visqueux à travers le barrage puant de la carie dentaire, quelle punition ! Voilà pourtant ce qu’on nous adjure de transposer en idéal. C’est difficile. Puisque nous sommes que des enclos de tripes tièdes et mal pourries nous aurons toujours du mal avec le sentiment. Amoureux ce n’est rien c’est tenir ensemble qui est difficile. L’ordure elle, ne cherche ni à durer, ni à croître. Ici, sur ce point, nous sommes bien plus malheureux que la merde, cet enragement à persévérer dans notre état constitue l’incroyable torture.
Décidément nous n’adorons rien de plus divin que notre odeur. Tout notre malheur vient de ce qu’il nous faut demeurer Jean, Pierre ou Gaston coûte que coûte pendant toutes sortes d’années. Ce corps à nous, travesti de molécules agitées et ba-nales, tout le temps se révolte contre cette farce atroce de durer. Elles veulent aller se perdre nos molécules, au plus vite, parmi l’univers ces mignonnes ! Elles souffrent d’être seulement « nous », cocus d’infini. On éclaterait si on avait du courage, on faille seulement d’un jour à l’autre. Notre torture chérie est en-fermée là, atomique, dans notre peau même, avec notre orgueil.»
Voyage au bout de la nuit

Le Pont de Londres vu par François Nourissier


Trois années après la disparition de Louis-Ferdinand Céline (1961), voici Le Pont de Londres, "roman inédit". Jusqu'à nouvel ordre, l'histoire littéraire n'est pas très bien renseignée sur la chute de ce météore. On nous explique dans une note assez brève que Mme Marie Canavaggia, qui fut la secrétaire de Céline, a retrouvé en nettoyant des placards (les siens ? ceux de l'écrivain ?) un texte dactylographié. La veuve de Céline, Mme Lucette Destouches, y "reconnut le ton et les personnages de Guignol's band" (roman paru en 1944) et confia à M. Robert Poulet le sort de ces papiers. Celui-ci nous dit avoir découvert là, enchevêtrées, trois versions d'une même histoire, dont l'une, incomplète, paraissait la mieux achevée. C'est donc elle qu'il a décidé de publier, lui ajoutant la fin de la version terminée, se contentant de faire quelques corrections ("fautes de frappe, lapsus, ponctuation") et de donner son titre au livre.
[...]
Le Pont de Londres est moins un roman picaresque, une aventure où le délire verbal le dispute au délire tout court, qu'une étrange histoire d'amour et d'érotisme noyée dans un désordre de scènes de violence, de cocasserie, de grossièreté et de dérision. Le seul lien véritable entre les épisodes extravagants du livre, c'est le désir de Ferdinand, la folie ou la rêverie amoureuse de Ferdinand, sa poursuite dans les rues, les parcs, les corridors, les pubs, sous la pluie, des quatorze printemps acidulés, moqueurs et passablement vicieux de Virginia.
Je l'avoue : un malaise ne m'a guère quitté pendant que je lisais ce livre. Sans même parler du malaise moral (car elles manquent de fraîcheur, cette enfançonne et cette histoire d'amour...) la seule réflexion littéraire suffirait à m'embarrasser. Il me semble que tous les fidèles de Céline (j'entends : fidèle pour de bonnes raisons) seront déçus par Le Pont de Londres. Le lyrisme de l'écrivain, son invention, ses explosions, sa fureur, employés au simple déroulement d'une intrigue, donnent l'impression d'une énorme machine qui patine, s'emballe, ronfle en vain, sans que le livre, immobile, embourbé, avance d'un pouce. De ce torrent encore prodigieux, soudain, c'est une certaine pauvreté qui nous frappe. Nous remarquons les tics d'écriture, dénombrons les mots inlassablement répétés. La préciosité nous gêne. Ce n'est plus toujours éblouissant, et c'est gratuit. Au fond, l'histoire nous ennuie, et le style célinien, quand il n'est plus sous-tendu par la révolte ou l'émotion, tourne à l'autopastiche.
Il faut entendre ces réserves, il va sans dire "au niveau le plus élevé". C'est un de nos plus grands écrivains que nous déplorons de ne retrouver ici que par éclairs. Car les éclairs existent. Ils ne sont pas, selon moi, dans les grandes scènes, les morceaux de bravoure sur lesquels la publicité du dos du livre attire notre attention, mais dans tel et tel passage où le vrai Céline perce sous l'écrivain que ses propres tempêtent dévoyent et affolent. C'est ainsi, pour avoir envie de lire Le Pont de Londres, qu'on cherchera, par exemple aux pages 307, 308 et 309, un des plus beaux morceaux qui se puissent lire ici : le Céline fou, tendre, déchiré, presque rien — l'évocation d'un bistrot de marins et de voyoux, des bateaux dans le port — mais une poésie truculente et désespérée dont l'écho, seulement l'écho, qui passe parfois sur ce livre, nous fait quand même un devoir de le lire."
François Nourissier, Le Pont de Londres de LF Céline, in Les Nouvelles littéraires, 9 avril 1964.