Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation inévitable de Féerie pour une autre fois) présente :
Normance et sa femme (André et Delphine)… et Hortense dans les décombres
« Depuis leur édition originale, respectivement en 1952 et 1954, et jusqu'à la publication, en 1993, du tome IV des Romans de Céline dans la Bibliothèque de la Pléiade, (les deux parties de Féerie pour une autre fois ) avaient été éditées à part, la seconde, qui plus est, sous le titre de Normance, alors que c'est aux épisodes qu'elle raconte que le titre Féerie pour une autre fois avait été plus spécialement destiné.[…] À cette publication échelonnée et à ce décalage des titres, la première partie avait perdu sa véritable nature de prologue, la seconde l'élan qu'elle doit tirer de ce prologue, et cette allure de féerie ambiguë imprimée par le titre, dont les mésaventures de Normance ne sont qu'un aspect mineur. » (Henri Godard)
– André ! André ! me lâche pas !...
Elle a peur quand même !... ils s'entendent admirablement !... y a pas de question qu'il la lâche ! ils font qu'un, comme nous deux Arlette... mais lui autre chose comme carrure ! je voudrais avoir son ampleur, son poids, sa panne ! ça fait plus de 160, c'est certain ! 180, je dirais !... peut-être 200... il avoue pas, il bouffe comme dix !... comme vingt !... il est comme tous, ils mentent tous ! lui il ment pour 200 kilos ! ah, 160 ?... 166 ? pour qui qu'il me prend ? je le vois, je le regarde... il est mandataire... broum !... aux Halles ! alors ?... aux volailles !... mais pas que la volaille qu'il s'empiffre !... c'est sa femme sa petite volaille !... lui il engloutit sûrement deux gigots par jour ! trois gigots ! le poids ! vous pensez ! « mandataire » ! je voudrais pas qu'il nous carambole ! ça serait fini, Lili, moi... même sa femme tremble...
– André bouge plus !... André bouge plus !
Elle est loin d'aux anges !
C'est pas lui qui bouge, c'est l'immeuble ! même mettons 200 kilos ! qu'il pèse les 200... il peut pas lutter !... il remonte, il rebrousse ! il est pris en tempête comme nous... y a les éléments ! c'est autre chose qu'un hippopotame ! 1 000 kilos, fétu, pour les éléments ! il prend mal la houle... il va foutre !... cet affolement de sa petite conne !...
– André, bouge pas !
C'est pas pas bouger qu'il faut ! c'est prendre le choc juste !
– Bouge plus chéri ! bouge plus chéri !
Elle croit que c'est lui qui fait l'orage !... il tamponne les murs, c'est tout !... faut que je la détrompe ! niaise mauviette !
– C'est pas votre lard ! c'est l'autre là-haut ! c'est le Jules en l'air ! regardez-le !
Qu'elle le voye là-haut, agiter !... comme il attire les aravions !... comme c'est lui le tout responsable... et vrrrang ! l'immeuble entier incline... un choc !... y a du syphonnage... une tornade d'en haut... le vent engouffre du haut à présent !... le toit doit être crevé... Normance rebondit ! ah contre nous ! tout contre ! sa fluette ! ce cri ! : « André !... André !... » ils allaient nous rentrer dedans ! dur !... ils sont renvoyés !... un tremblage de tout l'édifice ! bénédiction ! c'est un avion qui passe au ras... siffle ! piaule ! béni aravion ! il nous sauve la vie !... on prenait les Normance en plein ! écrabouillés minces !
« Je vois plus les Normance ?... ah, ils sont enfermés ! enclos ! le palier au-dessus !... deux trois armoires en travers... « André ! André ! »... c'est Delphine ! je vous ai oublié son nom : Delphine... plein d'objets leur rabattent dessus ! quelles verreries ! cascades !... ils sont bien lotis ! enfermés entre les armoires ! les trois logements du palier dégorgent leurs ustensiles... les portes ballent bringuent, bing !... l'espèce de fureur d'air que c'est !... « André ! André ! » et les avions au-dehors !... chaque fois qu'ils nous frôlent... d'autres cascades !... et plein de meubles ! et encore ! heureusement qu'ils nous font barrage, l'énorme et sa femme ! tout nous retomberait ! on est égoïste, un moment ! du bacchanal tel, si féroce, c'est la révolution des nerfs... Je comprends Delphine... mais moi j'ai Lili, pardon ! pas que ma tronche !... ce que je suis plus dévoué qu'égoïste ?... je sais pas... je sais pas... mais il y a de l'indéniable : les shrapnels !... ils éclatent en chrysanthèmes... ils font même sauter le vitrail !... encore des petits pans de vitrail... toujours l'éblouissement dehors... le versant Millet... je vois la rue Berthe... le Sacré-Cœur... les obus éclatent rouge dessus !... sur le géant œuf !... et rejaillissent fusées ! jusqu'au Gaumont !... cette voltige d'air !... en vert !... en violet... « André ! André ! »... ils voltigent pas eux les Normance, mais qu'est-ce qu'ils prennent comme dérouille... ils se battent vraiment ! forcément ! « Hi ! Han ! » les armoires !... « André ! André ! » il pousse de ces « hi ! han ! » l'André ! ah, faut de l'hercule ! qu'est-ce qui lui déboule !... tous les mobiliers des « 5e » !... « 6e » !...
« Je crie à Lili... elle esquive ! ça suffit pas : esquive... esquive... faut pas être emportés au flot !... ah, ma commode ! notre lit ! deux chaises ! tout ce qui reste d'en haut, de chez nous... tout ça en lutte avec Normance !... Delphine ! en pleine lutte !... Normance porte une armoire sur lui ! sur son dos ! et tourbillonne !... dans la grille... dans le mur...
– André ! André !... bouge pas André !
– Ta gueule !
Ils sont au-dessous de nous... au « 2e »... en plein dans les bassines, vaisselle... casseroles... ils luttent plus
que nous !... ils se battent avec de grosses pièces... au moins trois tables et un bahut ! « Hihan » ! pas de répit ! il repousse ! il balance ! je vous fais grâce des vrooob !... ça arrête pas...
« – Docteur ! docteur !
Delphine m'appelle... ils sont à la fête aussi !... les meubles s'entrecognent, s'emmêlent, se chassent autour d'eux... le palier-dancing ! tout entier il soulève aux chocs le palier-dancing... cabre à la houle ! et les mobiliers !... ah, « hihan !... » Delphine ! les vaisselles !
– Docteur ! docteur !
Vloaf ! vloaf ! les canons recommencent !... encore d'au-dessous des Millet !... enfin, je crois... de leur jardin... non ! je fais erreur...
– Eh, Normance ! Normance ! Je l'appelle... je lui hurle.
– D'où ils tirent ?
Mastodonte idiot il sait pas !...
« Pas de poésie ! Normance lutte ! au maximum ! « Hi ! han » !... quel pancrace ! il roule avec le guéridon, je le vois, il a deux grosses armoires sur lui... deux !... maintenant.
– André ! André ! Bouge pas ! bouge pas !
– Hou ! Haa ! Yrrââ !
Il râle.
– Me lâche pas, André ! me lâche pas !
Vrromb ! un de ces ressauts !... vrramb ! dans le mur !... – Han ! han
Tous les deux... elle fait « Han » aussi...
« – Luna-Park, Lili ! Luna !
Je suis toujours espiègle ! et le mot ! enfin quand je suis pas en colère...
– Allez Lili hop ! ensemble !...
Je veux faire comme Normance et Delphine... prendre une armoire... descendre avec... mais pas dessous nous ! dessus !... qu'elle nous porte ! l'élancer ! lancer ! et yop ! glissade !... Lili hésite...
« on est renvoyés regrimpés presque un étage !... ça finit pas ! encore au palier plein de meubles... on retrouve les Normance !... on se retrouve !... ah, pas long... un autre coup d'air... on redéboule... le « coup de bélier », le contre-souffle !... ça, là, je vous dis, c'est de l'épreuve !...
« on bascule, rabat, les uns dans les autres... encore les Normance !... ils roulent en remontée... je ne sais pas... ah, il est à éviter, lui !... il reste pas ! il dégringole !... un contre-choc... l'énorme Normance fait ballon !... balle !... toute sa viande ! caoutchouc ! voilà un coup d'air ! encore le syphon ! et nous voilà sous la voûte ! pêle-mêle !...
« parce que comme Hercule, Ottavio ! quelqu'un ! Hercule, nerfs et muscles ! pas qu'une outre à viande comme Normance !
« Brrroum ! la loge entière hausse, hoque, incline !... un tremblement de terre et de plancher !... et la table et le Normance en dessous ! tout se soulève ! s'enlève ! et le buffet ! tout rabat ! culbute ! tout le poids... Ah, ils étaient au moins vingt-cinq ! cinquante... femmes... enfants... ratatinés... recroquevillés !... ça s'ébroue debout... bute... titube... l'énorme Normance se retrouve plus... il échoue assis sur une chaise... sa femme l'étreint... et le quitte pas ! blottie sur ses genoux... heureusement, le buffet est redressé... ils l'ont redressé... ils le calent !... pas le buffet entier... le demi !... l'autre moitié est partie au vent ! à l'avenue !... fendu l'Henri III !... fendu !... mais ce qui reste c'est encore du meuble !
– Bouge plus André ! Bouge plus !
Elle pleure.
« Sur la chaise, sur les genoux de l'énorme, Delphine a pas fini : « André ! André ! »
« – Vous voyez pas que les cieux crèvent ?...
– Bouge pas André ! bouge pas André !
– Charmoise ! Charmoise ! ils broyent tout !
Je l'avertis, je l'avertis quand même !
– Delphine ! Delphine ! tu m'étrangles !
Lui, étranglé !
– Le gros égout qu'est étranglé ! corniauds ! trouilleux !
Je les engueule.
« « An ! An ! André ! » Oh, mais André, au fait ! André ! il est plus aux Halles ! je vous ai dit aux Halles ! maldonne ! pardon ! plus aux Halles ! le chroniqueur consciencieux se reprend !... errare... humanum !... chroniqueur à une bourde près !... dans les « papiers » qu'il est Normance !... plus dans les volailles !... il a changé de bavelles fonctions !... et « Répartiteur » s'il vous plaît !... Ah, crotte de bique ! moi, l'attardé !... qu'elle me l'avait dit vingt fois au moins, Mme Toiselle !... « Il est plus dans les volailles »...
Voyez la chierie des époques, des temps et catastrophes, les bévues que ça vous introduit ! vous avez une idée d'un homme, d'un jour à l'autre il change de blase ! le voilà ailleurs ! muté de blot ! et pour la corpulence le même ! plus énorme peut-être ? plus gras ? dans les « papiers »... dans les « papiers » !... moi qu'avais tant besoin de papier ! où j'avais l'esprit ?... au lieu d'écouter mes tambours, de m'apitoyer sur mes malaises, je l'aurais attaqué à la panne, là, gras cochon ? Delphine sur ses genoux ! « Papier, Normance ! papier ou meurs ! »
Il prenait le buffet sur le rabe s'il acceptait pas !... je lui faisais rebasculer !
Mes chers manuscrits en souffrance ! trois chefs-d'œuvre, lyriques, ironiques, là-haut !... Légendes et soucis... Le Roi Krogold... Casse-Pipe... Guignol's... en rade !... plus de papier !
Éberlué par les fulminates ! picrates ! hanté par la jalousie, je laissais l'occasion s'envoler ! il partirait Normance l'énorme ! je resterai, moi, con, là ! avec sa Delphine sur les genoux !... Ah, foutaises en branche ! pantois moi ! il partirait Normance l'énorme ! avec le buffet, les casseroles, vingt-cinq locataires ! et la voûte !... et la porte en fer ! aux nuages ! moi, là, défait, ma gloire en berne !
– Eh, monsieur Normance ! du papier !
« Comprimé, pressuré, râlant, là sous la table, je pense quand même ! c'est le stoïcisme, oui ou zut ?... je pense que j'ai loupé ! je suis pas prêt de me le pardonner ! loupé le Normance « répartiteur » ! – Papier ! Papier ! Broum !
– Eh, Normance !
Ça tonne trop en l'air ! en dessous ! il peut pas m'entendre !
– Buffet ! demi-buffet !
– Bouge pas, André !
Mme Toiselle m'avait prévenu, bien prévenu, que c'était fini sa « volaille » !... moi grotesque abruti
bourdonneux j'avais raté le coche ! je pouvais glapir « André ! André ! » moi aussi... brroum ! laissé passer la fortune ! que Denoël, cher Robert, pouvait plus m'imprimer rien ! que c'était le coup de buis ! les clefs sur la porte ! Paméla, ma femme de ménage, m'avait prévenu de son côté... deux fois !... trois fois !... que les « Halles » c'était fini ! qu'il était autre chose !... ah, là ! là ! je l'avais pas volé d'être poudroyé à Dache et pire ! infâme cucul ! une relation telle ! en porte à porte ! et je roupille ! canons, pas canons ! « Papier monsieur ! Papier ! je vous prie ! » mes povoïmes ! je cause ! plus la moindre rame ! plus une feuille !... plus de Muses !... plus de clients ! voguez doulos ! Ah, ma nature ratée toute ! je pouvais déplorer !
Zalas ! Zalas ! Yorrick, l'autre ! Un os sec et mots !
« Cette Delphine est insupportable avec son « André ! André ! »...
« – Eh, Répartiteur ! bordel !
Normance que je m'adresse !... il pourrait m'entendre lui un peu !... il est pas dans la compression, dans
les viandes de dessous !... sur sa petite chaise là, il domine... Popotam !
– Papier ! Nom de Répartiteur !
« a sera la fin des immeubles !... rien que des commotions des sous- sols !... le nôtre, pourtant un sérieux, quelque chose en briques, fers et moellons... il déchausse, soulève !... il va basculer sur l'avenue !... oscille comme le buffet sur Normance !...
« – Eh, patapouf ! je m'adresse au gros... eh, sous la table !... les ailes ! les ailes ! Qu'ils regardent quelque chose !
– Bouge pas, André ! Bouge pas André !
– Papier cartonnade mandataire con !
J'ajoute... faut que je l'insulte !
« J'incrimine Jules ?... mais peut-être que Normance est pire !... avec ses deux femmes sur les genoux...
Delphine et Hortense... ils calent le buffet à trois... le demi-buffet... il fait rien Normance, il ronfle... ronfler, ronfler, c'est pas cynique ?... surtout si fort ! pas croyable ! que même là à travers les bombes, moi qu'ai qu'une oreille je l'entends !... « vrromb !... rrarra !... » il racle de la gorge... il est un petit peu enrhumé... voyez, je suis précis... je vous agace par les menus détails ? ah, tans pis ! tant pis !... je fais pas l'artiste, l'à-peu-près-iste ! « j'étais là, telle chose m'advint » voilà ma loi !
Jules pirouettait sur le moulin, les pêcheurs sur les cheminées ferraient les ablettes... moi, je regardais avec Lili à la croisée, Piram entre nous, et les locataires sous la table, et le gros Normance calant le buffet... Moins ou plus, ça serait vous mentir. Tel fut le Déluge.
Le gros, bien cajolé, peloté... pas à omettre !... ses deux cocottes sur les genoux... non ! pas cocottes !... sa
femme, sa belle-sœur !... Normance ronfleur, ronflant, grouinant !... ah, tout l'immeuble peut branler, fricasser, les plafonds descendre ! je vous paye des guignes si ça le réveille ! les autres sous la table sont émus... brailleurs étranglés... « Au secours ! »
« Chûûût » La belle-sœur !... que je me taise !... elle a raison... si le patapouf remue, ronfle plus, le buffet recroule ! le demi-buffet... alors ? bouillie sous la table !...
« Broum ! on est tous renvoyés l'autre bord contre le gros Normance... sa chaise... ses deux femmes... et ça le réveille pas du tout... du tout ! il ronfle et voilà... voilà... brroum !...
« Normance aussi, extraordinaire !... mais lui d'énormité ronfleuse ! séisme, pas séisme ! avions tout berzingue, phosphores à torrents, cieux qui crèvent, métro qui défonce ses ballasts, traverse les voûtes ! s'enfonce on ne sait plus... tonnerre dessus, dessous, dedans, Normance ronfle pas moins !... ça c'est de la physiologie forte, pas des natures de mazettes comme sous la table !... combien de familles ? chevrotantes là, étranglantes, chiasseuses... lui l'impassible, l'espèce sérieuse, Normance ! du lard et énorme, et du somme ! la confiance voilà ! la confiance !... Sa femme sa belle-sœur l'adorent... elles y auraient pas quitté les genoux pour un empire ! pour trente-six foudres !
– André, bouge pas !
« Belle histoire !... satané guignol !... à moi de rire un peu !... flûte !... je veux !... et nous qu'on cahote ramponne s'écrase ! tant ! plus ! il nous plaint ? brang ! broum !... dans Normance ! dans la croisée !... je veux plus avertir personne !... ils peuvent roustir... croustir... tous !... à chaque bombe Normance grogne grouine... plus fort !
– Ronfle ! ronfle André ! Bouge pas André !
« Grrong !... Brrôôô ! » il répond... les locataires sous la table savent plus comment geindre...
« vous êtes disjoint ! con ! tête ! épaules ! pieds ! disloqué du bzzim !... Eh bien, vous croirez pas, le Normance ronfle !... il grouine, il mugit, chaque bzimm ! deux trois forts coups... « mouââ ! rouââ ! » et il se rendort.
– Bouge pas, André ! Bouge pas, André !
Il se réveillerait... tout basculerait ! le buffet capoterait ! il le cale le buffet ! Il veut que dormir... voilà, dormir !... ronfler !... sa femme, sa belle-sœur l'embrassent fort... fort...
– Bouge pas André !
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Bombardement des Batignoles |
« y a que l'énorme Normance qu'est peinard !... « tout monstre » !... j'y vois trois têtes ! l'effet qu'il me fait... un seul cou... tellement ils sont collés les trois... sa belle-sœur... sa femme... une seule tête !...
« C'est pas le mandataire qui m'aidera !...
– Normance !... Normance !
Il aurait qu'à se soulever un peu... vlang !... la table basculerait !... c'est leur carapace la table, ces viandes ! – Bouge pas André !
Elles le contraignent qu'il reste assis, sa femme, sa belle-sœur !...
– Pipi chéri ! pipi !
Elles lui font faire pipi tel quel... « pss ! pss ! pss ! » assis... je vous passe les détails... mais c'est
extraordinaire à voir, l'habileté des dames maternelles, qu'elles lui font faire pipi dormant, ronflant... chaque choc du parquet il urine... elles lui font : « pss ! pss ! pss ! »
– Bouge pas André !...
Une giclée ! deux !... rafales ! rafales ! le tout c'est que ça le réveille pas... que rien le réveille... et qu'il fasse pipi... l'immeuble entier incline... houle, vogue... et l'immeuble d'en face pire que nous !... tout un balcon lui pend, balance... un obus y a arraché sec ! j'ai vu ! rigodon ! cette trépidation, vous pensez ! plein fouet ! Normance a secoué, haussé dur ! retombé ! pas réveillé ! pas déronflé pour !
– Pipi ! pipi ! bouge pas André !
Il fait pipi et même beaucoup... à la flaque, tout ! j'allais, tant pis, patauger dedans !... fallait que je passe ! brroum !
« – Eh saloperies ! je leur crie sous table, votre faute que Jules a crevé le Ciel ! et toi, Normance ! lard ! paupiette ! t'iras voir aux Halles, tes saindoux ! beurres salés ! rillettes ! papiers ! papiers ! gélinottes ! testicules fumés ! droit à un croc que tu auras ! mon compte, moi, pépère ! et je t'emmerde ! je tremperai plus ma plume jamais ! salut noircissages ! rames ! cédilles ! salut migraines ! salut zéditeurs de mon cul !... salut blalalecteursave ! Baradadrang ! le Destin gagne !
« Une bourrasque s'engouffre dans la loge... en plein ! et avec grenaille ! ce souffle !... le buffet est soulevé... vogue ! et le Normance et ses deux femmes... et tout ça retombe ! pile !... le buffet et tout ! les trois sur la chaise... pas réveillé le gros ! il grouine double ! plus profond... « rrroug ! rrog ! »
– Bouge pas André !
« Du coup que le Normance grouinait double, les autres aussi sous la table... concours de porcs ! – Fainéants ! fainéants !
C'est pas un monde ? et une qui chante !
Ô mon bel amant je te jure Titti... ta ! ta ! ta !... ta ! ta !
C'est plus Hortense... c'est de sous la table... la chanteuse est interrompue... Brrong ! brrang !... elle reprend...
Je te juréâ... Que je t'aîmea !...
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Bombardement sur l'Ile Seguin et les usines Renault. |
« S'en fout de Renault ! du grand cratère, des rejaillissements, des hauteurs deux fois, trois fois la tour
Eiffel !... et l'incandescence ! si ça chauffe ! vous dire comme intensité ? le papier de la loge ourle, détache... Je secoue le Normance, je l'attrape aux genoux.
– Renault ! Renault !
– Rrrouah !
Il me répond... un grognement d'égout... et reronfle !...
Ah, une tête qui passe... dépasse... la tête à Cléot ! c'est lui !... et une autre tête !... sa femme !...
« qui c'est comme bébés ? je connais tous ceux de la maison... les Cléot ont pas d'enfant... ni les Normance... ni les Brécolle... ni les Xantippe au « 4e »... y a qu'au « 7e » les Espagnols, les Zoulagas, qu'ont eu une petite fille, récente... je la connais pas... elle serait là-dessous ?
« Ils étaient pas avec nous vos olibriûûs ! vous les citez pour votre cause ! ils ramponnaient pas sous la table ! ni dans le buffet ! demi-buffet ! ils entendaient pas Normance ronfler grouiner, ni les charges du creux Marcadet !... ils étaient dans les égouts tous, vos olibriûûs !
« une bombe, une seule, brang ! en plein !... ça les ferait lever les « dessous de table » ! ça ferait peut-être envoler le Normance ! et le buffet ! et la belle-sœur ! et nous avec !...
« – Eh, Normance ! ta cave ?
– Rrôô ! Rrrôn !...
Il peut ronfler, porc ! « rrong ! rrôô ! » Mme Toiselle garde toutes les clefs ! et les clefs de Normance ! elle a la confiance face d'omelette !...
– Où vous les avez mis, bignolle ?
« le plafond peut crouler s'il veut et la suspension et le buffet !... et le Normance et ses deux bergères !... ça sera fini et puis c'est tout !... on est victimes de Jules-la-caisse !
« ou grimper sur les genoux du gros ?... avec Hortense et Delphine... ouiche ! ouiche ! c'est vite dit !... l'Hamlet perplexe, j'aurais voulu le voir dans la loge, là, not to be ! les foudres au-dessus, les bombes en dessous, la gueule qu'il aurait fait un peu ! not to be ! si il serait sorti de ses complexes ?... s'il aurait grimpé sur Normance ?... j'y pensais, remarquez, j'y pensais...
« – Docteur ! docteur ! vite !
De l'autre côté... vers le buffet... je rampe... brrroum !... je rampe... avec Piram... je vois Mme Normance basculée ! Delphine !... à la renverse ! la tête en bas !... et Hortense la belle-sœur, aussi !... les deux évanouies en même temps... les deux dames ! à la renverse !... des genoux du gros... elles se sont trouvées mal en même temps...
« s'il veut relever ses cocottes, qu'il se baisse, Popotame, qu'il les hisse !
– Et hop ! Normance !...
Il s'ébroue... il va m'obéir... il prend un appui... après le buffet... mais le buffet ? demi-buffet ?... j'y pensais plus !...
– Stop Normance ! Stop ! Stop !
– Piquez-les docteur ! piquez-les !
Je veux pas qu'il remue, monstre ! je veux pas ! le buffet !... le buffet !...
– Bougez pas Normance ! bougez pas !
Je rampe vers lui... il m'hurle tout contre... qu'il hurle, mais nom de Dieu, assis !
Il me beugle dans l'oreille...
– Elle est sujette, docteur ! sujette ! ça lui arrive avec ses règles !
Et Hortense, alors ? la belle-sœur ? elle a aussi ses règles Hortense ? elle gît aussi là ventre en l'air ! il s'en fout d'Hortense !
– Delphine, docteur ! pour ma Delphine ! un petit cordial, madame Toiselle ! un petit rhum ! Qu'est-ce qu'il réclame ? un petit rhum ! il a des idées Popotame !
– Tu veux pas du champagne, Normance ? plus une goutte d'eau dans la maison ! d'abord y a plus de clefs ! plus de clefs ! tu comprends ? plus de clefs !...
« et je disparais dessous !... une énormité sur le rabe !... le poids ! le buffet ? non !... c'est un corps !... c'est pas l'ascenseur ! c'est le mari ! c'est lui ! Normance ! moi qu'avais eu peur dans le trou ! Normance, tout son poids ! je suis dessous ! tout son poids ! je disparais dessous !...
– Docteur ! docteur ! je vous en prie !
Il m'a rattrapé d'une façon ! il me couvre entièrement ! que je me sauve plus ! rampe plus !... et qu'il crie !...
– Une piqûre, docteur ! Sauvez-la ! une piqûre ! ma femme ! ma Delphine !
Il ronfle plus maintenant, il parle... il ronflait profond tout à l'heure, il parle maintenant, mais d'une façon si fluette !... vous diriez qu'il chevrote, ce gros !
– Dôôôôôôcteuur !... je vous ên... ên... ên... ên...
Oh, mais il chevrote pas des mains ! il me tient le cou... c'est tous leur manie, tous ! m'étrangler !... en plus il faut que je les sauve !... il me crie des détails en même temps qu'il me tortille le cou... et qu'il me soulève !... et qu'il me reécrase ! je l'ai de tout son poids sur le thorax, Normance... et il se fait rebondir !
– Sauvez-la docteur ! Sauvez-la ! c'est son cœur qu'est faible ! c'est son cœur ! sauvez-la !
« Providence ! broum ! bramm ! l'immeuble prend une bande ! incline ! juste ! à dame tout le paquet ! Normance, moi dessous !... culbutés ! et toutes les viandes !
« Je respire ! je respire !... on est séparés !... ma tronche contre le radiateur... brang ! et dong ! dans la porte... la petite resserre basse... les « balais » !...
– J'en ai pas, monsieur Normance ! j'ai rien ! j'ai rien ! je lui hurle... j'ai pas une seringue !... pas une aiguille !
Je veux pas qu'il refonce ! je veux qu'il sache... n'importe quoi qu'il me foute la paix ! oh, mais ! basta !... il rarrive ! pire !... me rattrape au quiqui !... la fureur !
– Sauvez ma femme ! sauvez ma femme !
Il me resecoue que je retourne à la malade ! il me fait reramper avec lui ! houle la houle !
– Delphine ! Delphine !
La belle-sœur a repris connaissance... elle chevrote comme lui à présent... « Delphine !... Delphine !... » ils
chevrotent ensemble !... ça doit être l'effet des bombes !... Hortense, la belle-sœur, vous savez... qu'a culbuté ?... elle est allongée à présent... contre la malade... d'autres locataires sont là... crafouillent, farfouillent... tout chevrotants... ils chevrotent tous...
– Elle vit docteur ? Elle vit ?
C'est le moment que je fasse quelque chose !... mais j'ai foutrement peur du gros !... pensez, penché pendant que j'ausculte ! ah, et il attend pas, vache ! il m'attrape au bras... mon bras blessé !... comme Raymond ! faut qu'ils me torturent ! c'est leur rage !
– Laissez-moi, Normance, que j'écoute !
Il me laisse.
Je me penche donc sur l'évanouie... j'écoute au sein... je vais pas rien dire !... non !... j'ausculte et je me
tais... je bigle le gros... lui il m'épie dur ! j'écoute le cœur de Delphine... je suis incliné, là... tête penchée... j'écoute d'abord au sternum... cœur droit... puis à gauche... je moufte pas... « Chutt » ! je fais... j'écoute... j'ai une oreille qui vaut rien mais l'autre d'une finesse !...
– Elle vit ?... elle vit ?
– Chutt !... chutt !...
Pour tout vous avouer à présent, j'étais pas sûr... les résonances des chocs de fond, des bombes de loin,
donnent des impressions acoustiques, des échos de sous-sols si doux, si adoucis, que c'est à se méprendre... et puis en plus n'est-ce pas, fourbu ! roué corps et âme ! et l'autre colosse qui me reniflait !
– Elle vit ? elle vit ?
Et les locataires en pleine transe ! et la belle-sœur !
– Delphine ! Delphine !
Que je la réausculte !...
– Elle vit docteur ? Elle vit ?
C'est lui ! il se fâche !...
– Oui ! Oui ! je lui crie... qu'il me tue pas... il avait déjà les mains nouées... oui nouées !... en nœud !... et
des mains géantes !
« – Elle est morte, docteur ? elle est morte ?
Et vrromb ! il se rejette sur moi ! toute sa masse !
– Non ! non !
Pensez, s'il m'entend !... il me charge !... un éléphant qu'aurait des mains !... il me recherche la glotte... ça y est !... il me soulève tel quel... par le cou ! suspendu ! à bout de poignes ! Mme Toiselle a un sursaut ! un bond ! elle lui fonce entre les jambes ! s'accroche à ses jambes !
– Il peut pas respirer, voyons ! il peut pas parler !
Elle raisonne... elle se rend compte !
– Laissez-le ! laissez-le ! quand même ! c'est du vulnéraire qu'il faut ! du vulnéraire !
La seule personne de bon sens !... et qu'a plus de voix que tous les autres ! tous les autres ! plus fort que
tous !... elle chevrote pas Mme Toiselle !... le Normance chevrote, il voudrait répondre... il peut pas... il bégaye « Vu !... vu !... vu !... » il a l'entendement comme saisi !... « Vu !... vu !... vu !... » Elle, elle hurle bien : « Vulnéraire » !... il me lâche le cou... elle, les pieds !... brroum !... je retombe de haut !... je m'attends pas ! Normance m'a desserré la glotte ! si je rampe !... repte !... ce qu'il me reste de force !... tout !... au couloir !... au couloir, vite ! je sais ! je crie !
– Elle a raison ! elle a raison !... vulnéraire ! vulnéraire, madame !
« c'est Normance que je crains... je suis entre Piram et le buffet... tout de mon long... tout doucement j'appelle : « Lili... Lili... » moi qui vous parlais d'entracte !... que ça allait mieux !...
« Je ris... je ris... je me fous à rire !... Normance m'entend... et de tout son poids ! vrromb ! encore !... je connais son poids ! il me refonce ! je crois que mes poumons sortent ! en plus il rebondit ! il me sursaute dessus ! il me pilonne ! Broum ! Bonheur ! il dérape... roule !... on est reprojetés dans la loge !... arrière !... valdingue !... moi ! lui !... ce qu'il pèse !... il me laisserait un petit bout de poumon... pas du tout ! il s'assoit en plein...
« c'est une autre voix... c'est Normance !... Normance encore ! il
est plus à se fouiller la tête, s'arracher des éclats de verre... il est au-dessus de moi... ah, mais il a comme changé de voix !... je vous remarque... c'est plus sa petite voix aigrelette... chevrotante... c'est une grosse voix rauque, à sa corpulence !... il a rechangé de voix, il a mué !... je vous note... c'est intéressant ! oh, mais ce fut maintes fois noté ces mues de voix sous l'émotion !
– Il est dans la Lune ? qu'il demande... et tout de suite : prang ! il m'attaque à coups de poings dans le dos !... Je me retourne !... deux coups de poing dans le ventre ! il sait lui, comment on me stimule !... il m'étranglait tout à l'heure maintenant il me défonce ! il me beugle en même temps...
– Docteur ! docteur !
– Lili ! Lili !
Je peux plus crier, moi !... je vagis... mugis... « bouah ! »... chaque coup qu'ils me shootent ! parce que Normance les rallie ! « Allez ! Allez ! » qu'ils l'aident ! bang ! ping ! en fureur qu'ils sont !... dix... douze ?... quinze ?... ils me bottent en chœur !... vlang ! vlang ! que je rampe le long de la crevasse... entre le mur et la crevasse...
– Sauvez-la docteur ! Sauvez-la !...
« Je me révolte ! qu'est-ce qu'il m'assomme, ce chienlit !
– Il laisse mourir Mme Normance !
Mimi qui l'excite !... elle m'aime plus...
« combien ils sont ? trente ?... cinquante locataires ? enfants... vieilles personnes... et quelques hommes forts... mais pas un seul du poids de Normance !... il dort, lui... il redort... ah, il est plus auprès de sa femme... il est contre la cage d'ascenseur... il dort assis... il ronfle... lui, qui devrait enfoncer la porte ! il a la force !... mastodonte fainéant ! merde, c'est sa Delphine après tout !... c'est la Delphine qu'on doit sauver ! pour elle qu'on cherche le vulnéraire !
« à dix... quinze... vingt... ils tirent sur le gros... ils le font basculer... brang ! le gros s'écroule ! il dormait contre l'ascenseur, le dos contre la cage... sa tête a cogné ! réveil ! faut plus qu'il se rendorme !... ils le pincent ! le dardent d'épingles ! plein son gros cul, là ! ils lui piquent le cul !... il ronfle ! il ronfle... il s'est rendormi !... c'est un phénomène !... ils se mettent à dix... douze... ils l'épaulent !... ils le relèvent ! oh ! hisse !... ils l'étayent, qu'il se tienne à quatre pattes !... la tête en avant !... en butoir ! son gros bide traîne presque au tapis... vraiment c'est du l'hippotam !... vous diriez sans exagérer ! tête première ! si il veut vraiment là... et vrang ! coincée pas coincée... la porte cède ! il crèvera tout !... mais qu'il veuille ! ils reculent un peu... tout l'amalgame... ils le réépaulent... ils le rattaquent au fias !... là... dix... douze... contre ! vous dire cette croupe !... je comprends leur idée... ils ont vu comment je m'y prenais... comment je vainquais les résistances ! saisir la houle ! et vrrang ! lui, bien la tête contre la lourde ! et tous à son fias ! et hardi ! ils sont trente... quarante à le maintenir soutenir et hop ! la stratégie agglutinée... ils prennent bien le roulis... ils reculent... le moment juste !... vas-y ! pang ! sa tronche !... « ôooô ! » sa tronche !... « rrrâh ! » il râle !... la lourde gode... fend pas !... la lourde les renvoie encore !... en ressort !... tous ! le gros ! eux ! ils s'étalent ! s'affalent !
– Bordel de bon Dieu de limaces ! autant ! et en chœur !
« qu'ils aient le moral ! l'enthousiasme !... pas de grands exploits sans enthousiasme !... je m'agglomère à cette rude phalange... je me force dans les corps... et tous au cul du gros ! et vramb ! et pas de travers !... je m'agrippe bien... j'étreins ce que je trouve... une petite poitrine... des petits nénés... et hop ! et yop !...
« c’est défoncer la porte qu'il faut !... sacrée crémière !... Élise Nanton ! l'énorme fias à Normance est là !... qu'elle pousse ! on pousse nous ! on pousse !...
« – Poussez-le docteur ! voyons !...
Elles me redonnent du « docteur » soudain, que je fonce bien au cul du gros ! que ça soye moi qui y éclate le crâne ! plus fort que tous ! ah ! mais je veux pas ! je suis pas dupe ! je veux pas ! c'est l'instinct de la méchanceté ! haineux, mais roublards ! la haine qu'ils me vouent ! au corps à corps ! c'est pas à dire, c'est à ressentir ! je veux bien pousser, mais pas plus fort ! pas plus fort que les trente-six, là ! la musique est déjà écrite ! et le scénario ! qu'on y ouvre la tête, ça sera moi ! qu'ils crèvent le battant ça sera eux !... qu'ils sauvent la Delphine, ça sera eux !... qu'elle meure, ça sera moi !... y a pas de justice ici sur terre, y a que des comploteries... des bourbes de vices... ah, puis flûte et la Delphine !... évanouie, oui !...
« Raymond... « Ça va ! ça va ! » qu'il criait... en fait, je l'avais entre les jambes... dans mon entrejambes... on faisait qu'un au cul du gros... la peur le reprend !... Raymond, je veux dire... « C'est lui docteur ? c'est bien lui ? » il est plus sûr du cul de Normance... que c'est pas un derrière d'un autre ?...
– Mais oui, c'est lui ! hardi ! fonce !
« Son tour qu'il saigne !... qu'est-ce qu'il a d'ébréché Normance ? j'y attrape le crâne à deux mains... je palpe... je palpe... l'emplâtre !... tout le peignoir plein de sang... j'y palpe la figure... cramoisie, bouffie... presque grosse comme son derrière ! et en plus il parle !... il me parle !...
– Docteur ! docteur ! je vous prie !...
Je vous note qu'il est aimable maintenant...
« – Vous lassez pas ! vous lassez pas !
Je suis comme Normance, je deviens poli !...
« y a les coups de pied, y a les ruades !... y a du nerf !... Ah, faut se défendre !... mais Delphine ?... où est Delphine ? et Lili ?... et Bébert ? où c'est tout ça ?... c'est pas commode à se souvenir, après tant de bombes... de rien, d'ailleurs !... surtout moi, déjà choqué depuis des ans !... flûte !... ça là, putain de Déluge en plus !... où qu'était Armelle ?... ah, mais le vulnéraire ?... ce gros porc popotam Normance il s'était peut-être fendu la tête ? mais le battant tenait toujours !... il avait pas fendu la porte !...
« Ce Normance a pas de caractère ! la porte a tenu ! et comment ! pourtant on l'avait bien placé lui ! d'aplomb ! d'équerre ! mais peut-être pas assez
poussé ?... fallait peut-être pas trop l'accuser ?...
« Ils poussent ! ils poussent tous ! crrrac !
Ça, c'est unique ! à peine placés ils ont poussé comme un seul ! quarante comme un seul ! crevé la porte !
le gros dans la brèche ! sa tête ! le cou dans la brèche ! encore un effort ! une autre houle ! ça y est !... « hoorrou ! » ils grognent tous ! ça y est !... le cou ! le corps !... le cul ! tout ! dedans ! tout passe !... tout le gros ! les autres avec, à son cul ! tout s'engouffre ! dix ! vingt ! trente-six corps ! une autre houle ! tout dans le local ! tous chez Armelle ! à la culbute ! quelles culbutes !... y a de la douleur, je vous le dis ! oui ! ça hurle ! mais ça y est !... comment il a crevé le panneau ?... le gros ? Normance ? où il est d'abord, lui ? où il est ? sa tête ? sa tête ?...
« comment il a crevé le panneau ? je l'ai vu le cou dans la brèche... Popotam ? le cou !... mais le reste ? son fias ? et nous tous ? on est répandus dans le local... sous les tables, sous le lit... mais le gros, sa tête ?... là ! sa tête ! devant la vitrine... il a roulé jusque-là... il gît dans son sang... il bouge plus... ventre en l'air...
« J'appelle... rien répond... Le Normance qu'était ventre en l'air, le voilà qui bascule, se retourne, et dégueule... dans son turban !... à même son turban... le peignoir à Raymond ! tombé de sa tête ce turban de sang tout caillots... il vomit dedans !...
– Tu veux pas de vulnéraire, mari ?
« Où qu'elle l'avait planqué cette garce ?... le vulnéraire ! Je me butais la tête contre Normance... j'avoue... j'avoue... à cause de mes yeux... ce qu'ils me faisaient mal !... les éclairs de phosphore déjà c'est dur !... mais les magnésiums !... le gros, son bide, me faisait écran !... il dégueulait, il bougeait plus...
« je palpe Normance... la tête à Normance... je le recoiffe... j'y remets son turban... il a quelque chose sur la tête ! ce caillot ! vous diriez la proue d'un remorqueur !... Il dégueule plus... il a comme coulé dans sa flaque, sa tête au tapis... sa propre flaque... il ronfle plus, je vais l'ausculter ? Non !... c'est la malade qui m'intéresse... pour elle qu'on a crevé la porte !... qu'on a poussé le mastodonte !... on a pas qu'un petit peu de mérite ! zut, alors ! y a qu'à réfléchir ! lui, il s'est fait pousser, c'est tout ! et le vulnéraire ? ils le trouvent pas ?... plus question du tout de la malade !... c'est pas honteux ?
« Le trottoir brûle... qu'il pisse là !... d'abord le Normance obstrue tout... presque tout... il nous tasse contre
le mur de gauche... oh, mais les autres ont rebroussé, rampé arrière...
« – Normance ! Normance ! le vulnéraire !
Il est là ! vous vous rendez compte ?... il ronfle... il grouine... il laisse faire... les autres saccagent... et sa femme ?...
– Ta femme ! ta femme ! bon Dieu d'ours !
Pas à le remuer !... j'y empoigne encore son turban, il l'a remis, j'y resecoue... va foutre !
– Vulnéraire, Normance !
« Je peux raisonner !... Ils se réacharnent contre la vitrine !... ils la désossent !... ils retranspercent le sofa... à
dix... quinze couteaux !... ils reniflent !... ils reniflent ! ah, et l'édredon ! un énorme !... presque comme la moitié du Normance ! tout plumes ! ils le fendent ! le découpent ! un nuage en échappe ! un nuage de plumes !... Ah, et une fiole !... ils me la montrent... « C'est ça ! c'est ça ! »... ils me la brandissent... et une cruche !... à étiquette verte... « C'est ça ! c'est ça ! »... qu'est-ce qu'ils savent ?... piafs, incohérents ! oui, c'en est... je vois !... « Vulnéraire »... l'étiquette ! c'était trop beau...
« furax, le Rodolphe ! ping ! pang ! il se défend ! la bignolle qu'était juste contre, se jette dans ses jambes !... elle m'avait sauvé du Normance en un moment aussi tragique... maintenant, elle se jetait dans le Rodolphe !... je sais pas ce qu'arrivait... l'état où vous l'auriez vu !... l'ébullition !... sa femme qu'implorait le ciel pour Jules !... le mari, fou de rage ! l'intolérable affront ! voilà ! le pugilat !...
« il tord le chignon de la concierge ! oh mais elle, lui tord les burnes !... je vois... elle sait se battre !... ils peuvent pas sortir du coin où le Normance les tient pilés !... la masse du gros !... entre le gros et le mur !...
« Normance est là aussi tout contre... entre le mur et nous, gros outre !... son turban colle à la paroi... sa tête est retenue.
– Eh, mandataire, t'as pas de papier ?
Le souci qui me revient, subit !... je lui hurle... broum ! et bram ! qu'est-ce que ça fout ?... j'ai pas de papier !... je veux qu'il sache ! il dort ? il ronfle ? bombes ! pas bombes ! il est pas poli, c'est tout ! il a voulu m'assassiner ! comme Jules ! il me doit du papier je suis certain ! je veux qu'il sache ! très joli, sa femme ! et la mienne ? elle compte pas la mienne ?...
«– Normance ! Normance !
J'y rampe, j'y vais, je secoue Normance... il tient collé par la tête... par son turban... son énorme corps
vogue au roulis... il fait bouée, il vogue à la houle du couloir... il est amarré au mur... par son turban !... il ronfle ? il dort ? je l'entends pas... ah, il fait : « Buâââ » !... c'est pas une preuve ! c'est rien du tout ! c'est peut-être moi : « Buâââ » ?... de mes propres oreilles !...
Je m'en fous du Normance après tout !
« ils me réclament : « Venez ! venez ! ouvrez-lui la bouche ! la malade étouffe ! sauvez-la ! » très jolis conseils ! mais le mari, le gros là, l'énorme, il y va pas !... il bouge pas lui !... il pourrait nous aider un peu ! il pourrait remplir, combler la crevasse !... comment qu'il pourrait ! rien qu'avec son corps ! diantre ! diantre !... on lui passerait dessus !... il reste amarré au mur par son turban... par le sang, le caillot... il est contre moi, il ronfle... mais il est utile par sa masse, j'admets... tous les éclats de la chaussée, les escarbilles des feux d'en face y arrivent dessus ! ricochent sur sa panse... on serait peut-être perforés sans lui... criblés de part en part !
« – Venez l'ausculter, au moins !
Jolis merles je vous écoute !... le gros qu'il me faut dans la crevasse ! d'abord ! tout entier ! qu'ils le roulent, eux ! dans la crevasse !... toute sa bidoche !... alors je lui passerai sur le bide ! je risquerai le coup !... il comblera la crevasse... mais là comme il est, houlant dans sa flaque, il sert à rien !... qu'est-ce qu'il a perdu comme sang !... je vois là... je vois... y a pas que de la gniole, y a son sang !... et pas que du sang... une gadoue ! de tout !... une poisse !... on patauge...
« Je voudrais bien que Normance y roule ! mais elle ouvre et referme la crevasse ! avec les explosions des fonds ! chaque explosion je dis : ça y est ! faudrait choisir le moment juste !
« ah, si Ottavio était là, ça durerait pas une minute !... pas une minute qu'il me le ramène ! sous son bras ! c'était autre chose que Normance, Ottavio, comme homme, comme courage, comme tout ! pas qu'un tas de viande comme Normance !... Normance était fort, je veux !... mais fort à quoi ?... à branler les murs !... crever les portes ! tandis que la vraie force, la vraie, c'est autre chose !...
« Alors ? que foutre avec le gros Normance ? que je le pousse seul à la crevasse ? le verse au trou ?... il avait le volume je veux !... je regardais sa panse... mais pour l'ébranler tel quel, faudrait qu'on soit au moins dix !...
« on est tous ensemble ! à l'étroit ! ah, bien étroit ! contre le mur... pressés contre le mur, avec moi, et le gros Normance et Mme Toiselle et Piram... y a plus que l'évanouie de l'autre côté, sous la table...
« Moi, je la ferai boire la Delphine !... moi, j'y forcerai les quenottes ! avec dix ! vingt ! vingt-cinq cuillers s'il faut ! Ah, contracturée ! l'énorme là, le mari, le Normance, s'il s'en fout que sa femme boive pas ! qu'elle se réveille ou réveille pas ! lui, franchira pas la crevasse ! il gît dans sa flaque, contre le mur ! il renifle dans sa flaque, il ronfle... y a qu'un qui m'en débarrasserait, me le ferait basculer au trou, monstre !
« je suis là, je parle, je parle... un peu, j'oublierais Delphine ! Elle est sous la table, Delphine... en face !... vous, vous franchiriez la crevasse ! pardi ! bien sûr ! votre coup de rein irrésistible !...
« je veux m'élancer du bide à Normance ! je veux sauter ! de son bide ! voyez ça ! mon tremplin son bide ! mon élan ! je rassemble tout ce qui me reste d'énergie ! je me contracte ! je survolerai !
« – Docteur ! docteur !
Ensemble ! ensemble ! ils veulent pas que je survole tout seul ! Pardi ! mais le mari, alors ? le gros ? il peut pas nous aider ce mammouth ?... même avec sa tête éclatée ?... non ?... comment qu'il a crevé la porte ! il nous a prouvé sa force ! il peut basculer le guéridon ! je l'ai entendu fendre le battant ! ptaff ! mais plus un seul locataire s'intéresse à lui ! qu'à Delphine ! qu'à Delphine !... j'ai beau faire la remarque que le mari ronfle, roule, saigne, ils s'en foutent ! s'en foutent ! y a que Delphine qui les intéresse !... et ils veulent surveiller mes actes... qui doit lui ouvrir les mâchoires ? moi ! d'abord ! qui doit lui faire boire le vulnéraire ?
« Ils doivent vouloir me pousser au trou en fait d'arracher le guéridon ! J'ai le droit de me méfier...
– Si ! si ! si ! si !
– Prenez Normance ! Je veux qu'ils le mettent en route ce poussah !
– Non ! non ! non !
Ils refusent ! ils s'intéressent qu'à Delphine ! ils ont du cœur que pour Delphine ! et que je bondisse la
secourir !... que j'arrache le guéridon en passant ! d'abord ! d'abord !... une autre idée !
– Allons docteur ! venez docteur !
« je m'affale ! je rugis !... rugissant, je regarde Delphine... Delphine, là... évanouie, là... sous la table... elle a rien senti, elle, Delphine !... moi je souffre et j'hurle... la preuve !... « Normance ! Normance !... » je l'interpelle ! il est resté dans sa flaque de l'autre côté, c'est le mari, lui !... il répond pas !...
« nous on est mieux dans la loge, en somme !... y a moi dans la loge, Piram, Rodolphe, Mimi, Mme Toiselle contre le buffet, le dos au mur, et Mme Normance, l'évanouie, sous la table... le gros, son mari, en face... de l'autre côté du couloir, en face ! pas décollé de la bourbe de sang ! toujours dans la flaque... la tête qu'il a ! vraiment énorme ! elle est plus qu'un caillot sa tête ! son turban a gonflé encore !... de sang !... un pâté de sang toute sa tête !... juste qu'un petit trou pour la bouche !... il ronfle par ce trou... il ronfle !... oh, damné gros outre, qu'il dorme ! ça vaut mieux ! nom de Dieu !... il m'a assez écrabouillé ! pilé, injurié, parce que je m'occupais pas de sa femme ! sa chérie Delphine ! s'il s'en fout maintenant de sa Delphine ! Il a perdu tout sens moral ! Il ronfle ! et moi, faut que je m'évertue ! que je lui sauve sa femme ! au vulnéraire ! sa Delphine ! le vulnéraire ! faudrait que je retrouve le flacon ! et que je réausculte sa femme ! où est-elle la malheureuse ? où est-elle ? mais là, tout près !... je la voyais plus ! j'ai qu'à me pencher !... zut ! je me cogne le front !... contre un rebord ! sous la table elle est !... corniaud !... peut-être je suis un peu flou des yeux ? j'avoue... heureusement, Piram renifle bien... il la renifle !... Delphine ! Delphine !... elle est là... elle gît...
« oh, mais le gros était pas parti ! je vous le disais parti !... je le voyais pas !... il était simplement en face... contre l'autre mur, couché dans sa flaque !... son caillot le retenait au mur... il collait au mur... et il ronflait !... je vous l'oubliais !... il ronflait pourtant assez fort ! on aurait bien pu le culbuter quand y avait encore la crevasse ! au trente-sixième dessous qu'il serait ! il ronflerait aux Catacombes ! il obstruerait plus le couloir ! pas faute qu'on l'avait pas poussé ! tous les locataires à son cul, je peux le dire !... mais son turban l'avait sauvé ! le peignoir à Raymond plein de sang ! ce turban avait fait caillot ! qu'un caillot ! un pâté de sang !... on s'était acharnés pour rien !... il adhérait trop dans sa flaque... collé ! et il grognait et rugissait de plus en plus fort !... et il gonflait en plus ! gonflait ! enflait encore ! mais oui !... je croyais pas possible... mastodonte !...
– Normance ! Normance va éclater !
Je leur hurle là-haut... ces olibrius indécents !...
– Delphine ! Delphine est mourante !
«– Obscènes, que je leur hurle, vous voyez pas Lili, là-haut ?
Je peux pas entendre ce qu'ils me répondent, Normance ronfle trop fort... la voûte répercute ! la voûte en tremble ! de lui ! oui, positif !... de lui !
« le mari Normance qui s'est relevé ! l'énorme !... il s'est décollé du mur !... je vois sa tête !... sa tête entière... elle fait qu'un caillot sa tête, je vous ai déjà dit, un pâté de sang... on lui voit plus du tout les yeux... qu'un trou pour la bouche !... dans son caillot de tête un trou !... il grogne par là... il respire par là... il grogne plus fort que Piram ! oh, quel énorme être ! pas à croire ! la carrure qu'il a !... presque aussi large que l'entrée ! que toute la voûte ! et il gonfle encore ! et grogne ! grogne ! il se met en branle !... il va traverser... c'est vers nous qu'il vient !... il titube, grognant... il grogne plus fort que Piram !... plus fort !... il doit pas savoir où il va... le pâté de sang lui recouvre la face... il a que le trou pour grogner... un coup, il aboye ! il grogne plus !... il aboye si fort qu'il chavire presque... il s'épaule au mur et redandine !...
«– Eh, monsieur Normance ! et, Normance, votre femme !
Je veux l'attendrir !... il titube et il avance ! il va nous écraser, nous deux Piram et moi... il m'a déjà presque étranglé... une fois !... et Mme Toiselle est plus là !
– Arrière, Normance ! Arrière, mari !
« je m'enfonce sous la table... qu'ils se déchiquettent donc le clebs et le mari !... mais ils se grognent... c'est tout !... je recolle mon oreille à Delphine, contre son sein... je veux entendre son cœur !...
– Eh, Normance ! Normance ! votre femme !... Broum ! en plein ! bramm ! juste ! de tout son poids sur nous deux le chien ! et sur la table ! il a pas besoin que je l'appelle !... il s'est abattu sur la table... de toute sa masse ! moi dessous !... « aaah ! rooh !... » toute sa masse ! je suffoque ! je suis pris dessous ! il perd pas de temps il m'attrape le cou, il me le serre ! d'une main !... comme l'autre fois ! ça y est ! comme l'autre fois ! et Mme Toiselle est plus là !... plus personne ! elle me défendait, malgré tout ! « rooah !... » je peux étrangler ! il me tord le cou !... et il m'extirpe de sous la table !... par le cou !... et il me monte dessus ! il me piétine, il se dandine ! il se couche sur moi ! je le prends en plein ! qu'est-ce qu'il pèse ! ah ! aaah ! de son autre main il me cherche le bras ! mon bras qu'est à vif !... il l'a ! il le tortille !... j'hurle !... j'hurle !... forcé d'hurler ! il hurle avec moi ! plus fort que moi ! comme je l'ai là contre ma figure, son gros caillot me bouche la bouche ! j'étouffe ! et c'est lui qui se plaint !
– À boire ! à boire !
C'est lui qui réclame !...
– À boire, docteur !
Pour ça qu'il s'est jeté sur moi !... pour ça qu'il me garrotte ! « À boire ! »... s'en fout de sa Delphine !
– J'en ai pas !
« j'ouvre un œil, je vois trouble... je vois des gens... plein de gens... je vois Normance en face, qui peut plus du tout revenir... adossé au mur il se dandine, il fait un pas, il recule... le sang lui dégouline de partout... en plus de son jet de l'œil droit...
– À boire ! à boire !
Qu'il réclame !...
« qu'il ait rallié les « Emmureurs », et Murbate, et la « Bibici » ?... comme Cléot !... la Toiselle !... comme Normance !... comme tous ! ça se pouvait ! mais lui, Ottavio, attention ! autre chose que le Rodolphe comme athlète ! force ! promptitude ! autre chose que le mari mastodonte saignant !... ah, je décide que je me relève pas !... que je murmure même pas... que je reste allongé contre Delphine tel quel !...
« le Normance dandinant s'en va !... ma parole ! il sort ! dans la rue !... il avait soif... il est parti chercher à boire !... il est peut-être sorti pour sa femme ? chercher sa femme ?... non ! elle est là !... et puis trop cochon égoïste !... il ira pas loin toujours !... la façon qu'il saigne... je rampe, je sors de sous la table... je rampe vers la flaque de l'autre côté... où il ronflait tout à l'heure... je patauge dans sa flaque...
« entre eux aussi !... ça a commencé par moi, à propos de moi, maintenant c'est à propos du gros, ils s'intéressent à lui soudain... « Où est Normance ? »... ils le connaissent ? ils sont d'ici ?... ils le cherchent... « Il est parti ! » je pourrais leur dire... mais je vais pas me manifester !...
« je leur hurlerais : « le gros est sorti ! sa femme est morte ! elle est sous la table sa femme morte ! »... ça serait pas long qu'ils rappliquent, qu'ils me massacrent !... y a qu'à les entendre !...
« Normance, quel monstre !... je vais pas le crier haut !...
« Si à ce moment-là il m'avait renié, s'il m'avait plus trouvé son pote, c'était la fin ! ils me dépeçaient !... fallait voir cette meute enragée !... ils fumaient de fureur ! ils crachaient plein de bulles !... le Normance m'avait pas eu, pourtant lui véritable ogre ! ni les deux harpies... mais eux là, à quinze... vingt... trente !... ils me dépiautaient rouge !
« … je vacille, je tangue, je tiens pas à genoux... comme ça, dans cette position, si Normance me revient à la charge ? ah ? si il me fonce ?... il peut revenir !... rentrer subit !... il est capable !... il est plus dangereux que les deux sœurs !... pourtant deux carnes abominables, perfides jocrisses !... je le dis ! mais Normance ?... le poids du Normance !... et s'il charge Ottavio en plus ?
– Ottavio ! Ottavio !
Je voudrais le prévenir... « Normance ! Normance ! » j'ai beau hurler il m'entend pas !... il se fout de moi, parole !... je me raplatis dans ma flaque... je rentre sous les plâtras une fois de plus !... je recroqueville...
« c'est pas qu'une barbaque comme Normance !... bien qu'une barbaque ça soit redoutable ! je veux !... un hippopotame comme Normance ! je peux causer !... ça vous écrase tout !... entendu !... qu'est-ce qu'il m'a mis, moi !... je crois que j'ai plus de côtes !... en plus que j'y ai servi de football ! sous la table ! de toute sa force !... comme ça : brim ! phlam ! Vas-y ! il m'a somme toute plus défoncé qu'écrasé ! voilà le genre de monstre ! et s'il rapplique ? si il me déniche sous le tas de plâtras ?... j'ai peur j'avoue...
« qu'est-ce qu'ils beuglent ?... du vulnéraire ?... d'Armelle ?... de sa porte ?... de Normance ?... de Delphine sous la table ?... de moi ?... je sais pas... sûr ça se dérouille !... et pas que des coups sourds... des coups à vif !... en plein !... ces cris ! et des autres cris, d'égorgés !...
« « Là ! là ! ça va ! » La grosse panse en l'air !... elle frottait dur la voûte la panse !... c'était le Normance !... pas un autre !... sa panse !... je voyais... ils l'apportaient de la rue Lepic !... à bout de bras !... au haut des bras ! où ils allaient le mettre ?... dans la loge ? le fourrer dans la cave ?... s'ils allaient le verser au trou ?... au trou de l'ascenseur ?... ils passeraient sûrement par ma flaque !... dans ma flaque... tout contre moi... au ras du mur... c'était le Normance sûr et certain ! en pavois, la bedaine en l'air ! il était chouette la grosse bidoche !... « Mandataire ! attends Mandataire ! » je sentais que fallait que je l'interpelle ! lard des Halles !
– Normance ! eh ! Normance !
Je voulais savoir... qu'il me réponde ! il avait voulu me tuer ! comment ! Normance des Halles !... il flottait là-haut, à présent !... à bout de poignes !... son gros corps penchait inclinait... qu'ils faillaient tous verser avec ! hi ! hi !... oh ! oh !... crouler avec ! même à petits pas... s'ils avaient du mal « en avant ! hiss ! » ils avançaient... je voulais que ce soit vraiment lui !... Patapoum Normance ! pas un autre !... qu'ils l'aient assommé pour le compte... qu'ils l'aient crevé Popotame !... zut !... qu'ils aillent foutre sa charogne au trou !... ils approchent... c'est lui ! oui, c'est lui !... tout à fait lui !... Normance ! son turban ! je reconnais ! le pâté de sang de sa tête !... c'est lui, à bout de bras !... en pavois !... et c'est Ottavio qui commande !...
– Allez ! fainéants ! au trou ! au trou !
« Ils disparaissent... je les entends encore... leurs cris du fond ! l'énorme reste en travers du trou ! son corps bouche la fosse !... tout le monde l'hurle !
– Corniauds ! empaffés ! betteraves !
Ottavio s'indigne !... et comment qu'ils s'y reprennent !... faut qu'ils reculent encore... c'est de leur faute que le Normance reste là ! en travers !... qu'il descend pas !... faut qu'ils le saisissent par les pieds... le rehissent !... et le refoutent au gouffre ! tête première !
– Malagaufres ! abrutis ! assassins !
« Assassins, qu'il les appelle !... faut qu'ils recommencent ! ça y est !... ils le rehalent au-dessus de leurs têtes, l'énorme bidoche !... maintenant c'est de le reprécipiter... pas de cafouillis ! à son commandement !... à bout de bras !... voilà la manœuvre délicate !...
– Avancez ! avancez ! et ôô ! ôôôô !
Ottave ordonne... qu'ils aient bien le gros au-dessus de la fosse... bien au-dessus ! juste !... juste ! ils l'ont bien remonté à bout de bras, boyasse et tête, mais ils sont plus d'aplomb eux-mêmes ! ils vacillent, je les vois, les quinze... vingt... trente... je vois le Normance en haut des poignes et sa tête qui pend... ils lui ont arraché un œil !... l'œil tient à un bout de paupière !... je vois cet œil !... et les quinze porteurs s'emmêlent... s'emberlifiquent ! gougnafes ! ils s'écrasent les pieds « nom de Dieu ! sale con ! » ils se traitent... ils vont reculer...
– Empaffés ! Cornichons ! Une ! deux ! zoust !...
Ils forcent... ils appuient... un madrier leur barre la fosse... un autre incident ! Ottavio saisit le madrier ! et vroomb ! au gouffre ! toute la maison branle du choc ! à présent, zut ! qu'ils avancent ! ils tanguent... ils osent pas... ils reculent !... le poids du Normance va les emmener !... « aaaah ! aaaah ! » qu'ils font... devant le trou !... de peur !... la bedaine a plus de poids qu'eux !... l'énorme corps la tête première, le paquet de sang... ils lâchent tout !... au gouffre !... et bing ! ding ! boum !... carambole !... cogne !... je croyais pas la fosse si profonde... la maison entière répercute... quel écho !... le corps finit pas d'arriver... et ding ! et vlang ! dans les parois... broum ! boum ! comme une bombe il fait !... une bombe molle... une bombe de viande...
« – Qui c'est qui l'a balancé ?
Mais nom de Dieu ! mais c'est eux-mêmes ! je pourrais leur hurler... et d'abord qu'est-ce qu'il a fait ?... ils veulent savoir... il, c'est le gros !... eux savent pas ! ils ont rien vu... il a voulu m'estourbir ! « Il a crevé la porte d'Armelle ! » je leur crie... ils m'entendent pas !... « avec sa tête ! »... la bignolle non plus !... la bignolle qu'est au-dessus de moi avec sa clochette !... ah, la recherche des responsables ! elle crie en même temps :
– Est-ce qu'il est mort ?
Elle crie aux autres... elle hésite... elle veut pas frapper un mort !... Rose dit que non... Camille dit : si ! Ça va mal !... mais la question de Normance prime tout ! si ils s'engueulent sujet de Normance ! si c'est lui qu'a crevé la porte ?... avec sa tête ?... avec ses pieds ?... est-ce que c'est lui qu'a tout bu ?... une autre question !... ils veulent pas entendre ce qu'ils se répondent !... c'est un vrai meeting à présent !... qui c'est qu'a tout bu ?
« Ottave !... vous jugez... et tout en muscles !... élancé : un tigre !... autre chose que le Normance, pardon ! c'est pas le poids lui, la masse barbaque !... non ! c'est la force nerveuse, le déclic !... ils le balanceront pas au trou, lui !... qu'ils seraient cent cinquante locataires, enragés, beugleurs, prêts à tout !...
« – Non, c'est pas moi !... mais dites ? mon peignoir !
Il réclame ! c'est le moment !... son peignoir ! le turban à Normance ! il est dans la fosse son peignoir !
– C'est de votre faute ! c'est de votre faute !
« ma tronche brinqueballe sur son ventre !... pas si grosse ma tête que celle du Normance, mais quand même !... pas comme la sienne, qu'un paquet de sang ! non !... mais j'ai pas le peignoir à Cléot, moi !... pardon !... putain ! que j'ai mal !... que j'ai mal... j'ai pas de turban, moi !
– Ottave, tu me fais mal !
Vraiment, à parler véridique, je perdrais connaissance si il me faisait pas si mal... surtout de deux, trois côtes ! trois ? j'ai le flanc en miettes ! Voilà ! en miettes ! qu'est-ce qu'il m'a placé le Normance !... il peut être calanché, grosse vache !... Ottave prend pas plus de précautions !... si il me chahute !... il prend son élan pour franchir un « à jour » comme ça... au moins de six marches !... moi sur son épaule, besace !... vous voyez ?... vous vous rendez compte ?... il attaque !... il peut y aller que par tronçons de marches... par à- coups de jarret !... par détentes !... « Aï ! aï !... » vous vous rendez compte ? moi, besace !... je réagis, je crie... une autre enjambée !... quatre marches !... « yop ! yop ! » c'est le vide au bout des tronçons de marches et tel quel retourné, tête en bas, je vois toute la cage de l'escalier... en haut, en l'air !... et les tréfonds en même temps ! la fosse !... s'il dérape, s'il loupe, je plonge avec lui !... on ira retrouver le Normance !... et les tronçons de marches tiennent pas lerche !... à chaque foulée, grincements, craquements !... krrr ! krrr !... ça oscille ! ça y est ! je me dis ! ça cède ! non !... Ottave attaque en souplesse... d'une souplesse ! le jarret d'acier ! du félin !... c'est ce qui nous sauve !... comme ça, pendeloque, en besace, jambes d'un côté, tête de l'autre, je peux dire que c'est prestidigieux la façon qu'il nous escalade !... il attaquerait brutalement, les marches telles quelles, à moitié cuites, effriteraient ! salut ! oh, pas qu'il lambine ! il active !... un palier déjà !... un autre ! je me dis : on va se retourner ! guedouille ! va te faire foutre !... on s'envole !... un autre étage !... mais je vois les vides de plus en plus larges !... j'ai la tête qui enfle !... je note... je vous note ! pas si gonflée que celle à Normance, mais quand même !... c'est la position tête en bas... et avec les plaies, les bourrelets... oh, je vais pas crier !... non ! non... encore un palier !... le « 3e » ?... celui-ci qu'est-ce qu'il lui manque comme lattes !...
« J'avais toujours mal à la tête... elle savait... si je lui avais parlé de mes côtes !... comment le Normance
m'avait botté !... défoncé... vrai dire !... je me taisais... – Tu saignes, Louis !
« C’est entendu, je saigne, je pisse le sang, mais pas tant que Normance !... lui, qu'est-ce qu'il pissait comme
sang !... et pas que par la verge ! par la tête aussi ! la tête !... toute la robe de chambre du Cléot... trempée ! bien plus que moi ! pas à comparer ! un paquet de sang !... absolument, une éponge...
« un moment donné, c'est simple, dans les catastrophes de l'Histoire, y a plus qu'un seul linge utile : la serviette-éponge ! mais « épaisse » !... attention !... épaisse... la serviette-éponge boit le sang, réchauffe le corps, vous sauve l'homme !... tenez, Normance était parti avec le peignoir à Cléot, je vous ai raconté ! sur sa tête ! moi, je m'étais servi autrement ! pardon !... vous m'auriez vu un petit peu !... j'allais mieux du froid... mais la soif ! absolument rien pour la soif !... horriblement soif !
« elle est sous le tas ta bonniche ! laisse-la roupiller ! tape-toi la vioque, pendant que tu y es !... et la Delphine qu'est sous la table ? je t'en ai dit un mot, moi ? et le Normance qu'est englouti, son mari ? que t'as fait basculer à la fosse ! je t'en parle ?
« l'escalier indemne ! qu'ils y tâtent ! mignons ! qu'ils y tâtent !... j'avais vu le Normance comme poids mort ! j'avais vu ! pardon !... comment qu'il s'était engouffré ! ah, culbute ! j'avais vu ! je ferais pareil !... mortel, cet escalier indemne !...
« – Oui ! oui, docteur ! mais en bas, dites, Mme Normance sous la table ?
Qu'est-ce qu'elle me parle de ça, la folle !
– Taisez-vous vieille peau ! ridée infection !... je veux entendre que votre cloche ! je vous parle pas de
Mme Normance ! je vous parle pas de son mari bedaine !...
« je rassemble mes idées... voyons !... y avait Mme Gindre... là-haut, et Delphine... et la bonne... mais M. Normance ?... je savais plus... M. Normance...
en bas ?... au diable ?...
« – Ah tu ris ? et Normance ? dis donc ? bougresse ? assassine ?
Je vais y arrêter le rire, moi !
– Qu'est-ce qu'est arrivé à Normance ?
Je veux qu'elle revienne ! que je lui explique !...