Ce pamphlet constitue la réponse que Céline fait à Jean-Paul Sartre qui publia un article intitulé Portrait d'un antisémite en décembre 1945 dans la revue Les Temps modernes (repris plus tard chez Gallimard sous le titre de Réflexions sur la Question juive*) où il déclare « Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé. ». Dans sa virulente réponse, Céline compare Jean-Paul Sartre, qu'il nomme volontairement Jean-Baptiste Sartre, à un tænia qui aurait parasité son propre corps. Ce texte a été écrit au Danemark, en novembre 1947. Céline avait été remis en liberté en juin après 18 mois d'incarcération à Copenhague où il avait trouvé refuge après sa fuite en Allemagne. C'est Albert Paraz qui lui fait part du texte de Sartre en octobre 1947. C'est le premier texte de Céline à avoir été publié depuis sa fuite de France en juin 1944.
1. (France) (Populaire) (Plus courant) Personne cinglée, farfelue (comme un agité dans sa tête, son « bocal » par dérision).
▪ Dans les journaux, d’inquiétantes nouvelles parviennent déjà d’Outre-Rhin, comme des bruits de bottes. Un agité du bocal, un caporal, sème la pagaille en Allemagne. — (Bruno Boutier, Le Vieillard.)2. (France) (Ironique) (Plus rare) Personne hyperactive, excitée (comme un poisson qui tourne dans son bocal).
▪ Pourquoi ces «incapables» se sentent-ils obligés de courir dans tous les sens comme des agités du bocal, s’ils ne trouvent rien ? — (Carlos, Jean-Michel Vernochet, L’Islam révolutionnaire, 2003)3. (Littérature) Surnom donné par Louis-Ferdinand Céline à Jean-Paul Sartre.
▪ Décembre, Céline commence la rédaction de À l’agité du bocal en réponse aux accusations de Sartre. — (David Alliot, L’Affaire Louis-Ferdinand Céline, 2007)
«Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des Nazis, c'est qu'il était payé» C'est cette phrase de Sartre écrite en 1945 dans Portrait d'un antisémite (publié dans Les Temps Modernes, et repris plus tard chez Gallimard sous le titre de Réflexions sur la Question juive) qui inspira à Céline ce pamphlet en réponse. Il l'envoya à Jean Paulhan qui ne le publia pas.
Voici le texte
«Je ne lis pas grand-chose, je n'ai pas le temps. Trop d'années perdues déjà en tant de bêtises et de prison ! Mais on me presse, adjure, tarabuste. Il faut que je lise absolument, paraît-il, une sorte d'article, le Portrait d'un Antisémite, par Jean-Baptiste Sartre (Temps modernes, décembre 1945). Je parcours ce long devoir, jette un oeil, ce n'est ni bon ni mauvais, ce n'est rien du tout, pastiche... une façon de "Lamanièredeux"... Ce petit J.‑B. S. a lu l'Étourdi, l'Amateur de Tulipes, etc. Il s'y est pris, évidemment, il n'en sort plus... Toujours au lycée, ce J.‑B. S. ! toujours aux pastiches, aux "Lamanièredeux"... La manière de Céline aussi... et puis de bien d'autres... "Putains", etc. "Têtes de rechange"... "Maïa"... Rien de grave, bien sûr. J'en traîne un certain nombre au cul de ces petits "Lamanièredeux"... Qu'y puis-je ? Étouffants, haineux, foireux, bien traîtres, demi-sangsues, demi-ténias, ils ne me font point d'honneur, je n'en parle jamais, c'est tout. Progéniture de l'ombre. Décence ! Oh ! je ne veux aucun mal au petit J.‑B. S. ! Son sort où il est placé est bien assez cruel ! Puisqu'il s'agit d'un devoir, je lui aurais donné volontiers sept sur vingt et n'en parlerais plus... Mais page 462, la petite fiente, il m'interloque ! Ah ! le damné pourri croupion ! Qu'ose-t-il écrire ? "Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé. " Textuel. Holà ! Voici donc ce qu'écrivait ce petit bousier pendant que j'étais en prison en plein péril qu'on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde, tu me sors de l'entre-fesse pour me salir au dehors ! Anus Caïn pfoui. Que cherches-tu ? Qu'on m'assassine ! C'est l'évidence ! Ici ! Que je t'écrabouille ! Oui !... Je le vois en photo, ces gros yeux... ce crochet... cette ventouse baveuse... c'est un cestode ! Que n'inventerait-il, le monstre, pour qu'on m'assassine ! A peine sorti de mon cacao, le voici qui me dénonce ! Le plus fort est que page 451, il a le fiel de nous prévenir : "Un homme qui trouve naturel de dénoncer des hommes ne peut avoir notre conception de l'honneur, même ceux dont il se fait le bienfaiteur, il ne les voit pas avec nos yeux, sa générosité, sa douceur, ne sont pas semblables à notre douceur, à notre générosité, on ne peut pas localiser la passion."
Dans mon cul où il se trouve, on ne peut pas demander à J.‑B. S. d'y voir bien clair, ni de s'exprimer nettement, J.‑B. S. a semble-t-il cependant prévu le cas de la solitude et de l'obscurité dans mon anus... J.‑B. S. parle évidemment de lui-même lorsqu'il écrit page 451 : "Cet homme redoute toute espèce de solitude, celle du génie comme celle de l'assassin." Comprenons ce que parler veut dire... Sur la foi des hebdomadaires J-B. S. ne se voit plus que dans la peau du génie. Pour ma part et sur la foi de ses propres textes, je suis bien forcé de ne plus voir J.‑B. S. que dans la peau d'un assassin, et encore mieux, d'un foutu donneur, maudit, hideux, chiant pourvoyeur, bourrique à lunettes. Voici que je m'emballe ! Ce n'est pas de mon âge, ni de mon état... J'allais clore là... dégoûté, c'est tout... Je réfléchis... Assassin et génial ? Cela s'est vu... Après tout... C'est peut-être le cas de Sartre ? Assassin il est, il voudrait l'être, c'est entendu mais, génial ? Petite crotte à mon cul génial ? hum ?... c'est à voir... oui certes, cela peut éclore... se déclarer... mais J.‑B. S. ? Ces yeux d'embryonnaire ? ces mesquines épaules ?... ce gros petit bidon ? Ténia bien sûr, ténia d'homme, situé où vous savez... et philosophe !... c'est bien des choses... Il a délivré, parait-il, Paris à bicyclette. Il a fait joujou... au Théâtre, à la Ville, avec les horreurs de l'époque, la guerre, les supplices, les fers, le feu. Mais les temps évoluent, et le voici qui croît, gonfle énormément, J.‑B. S. ! Il ne se possède plus... il ne se connaît plus... d'embryon qu'il est il tend à passer créature... le cycle... il en a assez du joujou, des tricheries... il court après les épreuves, les vraies épreuves... la prison, l'expiation, le bâton, et le plus gros de tous les bâtons : le Poteau... le Sort entreprend J.B.-S... les Furies ! finies les bagatelles... Il veut passer tout à fait monstre ! Il engueule de Gaulle du coup !
Quel moyen ! Il veut commettre l'irréparable ! Il y tient ! Les sorcières vont le rendre fou, il est venu les taquiner, elles ne le lâcheront plus... Ténia des étrons, faux têtard, tu vas bouffer la Mandragore ! Tu passeras succube ! La maladie d'être maudit évolue chez Sartre... Vieille maladie, vieille comme le monde, dont toute la littérature est pourrie... Attendez J.‑B. S. avant que de commettre les gaffes suprêmes !... Tâtez-vous ! Réfléchissez que l'horreur n'est rien sans le Songe et sans la Musique... Je vous vois bien ténia, certes, mais pas cobra, pas cobra du tout... nul à la flûte ! Macbeth n'est que du Grand-Guignol, et des mauvais jours, sans musique, sans rêve... Vous êtes méchant, sale, ingrat, haineux, bourrique, ce n'est pas tout J.‑B. S. ! Cela ne suffit pas... Il faut danser encore !... Je veux bien me tromper bien sûr... Je ne demande pas mieux... J'irai vous applaudir lorsque vous serez enfin devenu un vrai monstre, que vous aurez payé, aux sorcières, ce qu'il faut, leur prix, pour qu'elles vous transmutent, éclosent, en vrai phénomène. En ténia qui joue de la flûte.
M'avez-vous assez prié et fait prier par Dullin, par Denoël, supplié "sous la botte" de bien vouloir descendre vous applaudir ! Je ne vous trouvais ni dansant, ni flûtant, vice terrible à mon sens, je l'avoue... Mais oublions tout ceci ! Ne pensons plus qu'à l'avenir ! Tâchez que vos démons vous inculquent la flûte ! Flûte d'abord ! Retardez Shakespeare, lycéen ! 3/4 de flûte, 1/4 de sang... 1/4 suffit je vous assure... mais du vôtre d'abord ! avant tous les autres sangs. L'Alchimie a ses lois... le "sang des autres" ne plaît point aux Muses... Réfléchissons... Vous avez emporté tout de même votre petit succès au "Sarah", sous la Botte, avec vos Mouches... Que ne troussez-vous maintenant trois petits actes, en vitesse, de circonstance, sur le pouce, Les Mouchards ? Revuette rétrospective... L'on vous y verrait en personne, avec vos petits potes, en train d'envoyer vos confrères détestés, dits "Collaborateurs" au bagne, au poteau, en exil... Serait-ce assez cocasse ? Vous-même, bien entendu, fort de votre texte au tout premier rôle... en ténia persifleur et philosophe... Il est facile d'imaginer cent coups de théâtre, péripéties et rebondissements des plus farces dans le cours d'une féerie de ce genre... et puis au tableau final un de ces "Massacre Général" qui secouera toute l'Europe de folle rigolade ! (Il est temps !) Le plus joyeux de la décade ! Qu'ils en pisseront, foireront encore à la 500e !... et bien au-delà ! (L'au-delà ! Hi ! Hi !) L'assassinat des "Signataires", les uns par les autres !... vous-même par Cassou... cestuy par Eluard ! l'autre par sa femme et Mauriac ! et ainsi de suite jusqu'au dernier !... Vous vous rendez compte ! L'Hécatombe d'Apothéose ! Sans oublier la chair, bien sûr !... Grand défilé de filles superbes, nues, absolument dandinantes... orchestre du Grand Tabarin... Jazz des "Constructeurs du Mur"... "Atlantist Boys"... concours assuré... et la grande partouze des fantômes en surimpression lumineuse... 200.000 assassinés, forçats, choléras, indignes... et tondues ! à la farandole ! du parterre du Ciel ! Choeur des "Pendeurs de Nuremberg"... Et dans le ton vous concevez plus-qu'existence, instantaniste, massacriste... Ambiance par hoquets d'agonie, bruits de coliques, sanglots, ferrailles... "Au secours !"... Fond sonore : "Machines à Hurrahs !"... Vous voyez ça ? Et puis pour le clou, à l'entr'acte : Enchères de menottes ! et Buvette au sang. Le Bar futuriste absolu. Rien que du vrai sang ! au bock, cru, certifié des hôpitaux... du matin même ! sang d'aorte, sang de foetus, sang d'hymen, sang de fusillés !... Tous les goûts ! Ah ! quel avenir J.‑B. S. ! Que vous en ferez des merveilles quand vous serez éclos Vrai Monstre ! Je vous vois déjà hors de fiente, jouant déjà presque de la flûte, de la vraie petite flûte ! à ravir !... déjà presque un vrai petit artiste !
Sacré J.‑B. S.
L.-F. Céline
- J’ai longtemps
adopté le «Petite crotte à mon cul» après avoir trouvé sur les
quais le texte de À l’agité du bocal en introduction au Gala des vaches d’Albert
Paraz. En effet, refusé début janvier 1948 par Jean Paulhan à qui il avait été envoyé, À l’agité du bocal sera publié simultanément dans Le Gala des vaches, dont il constitue les dernières pages ou les premières selon les éditions, et en plaquette chez le jeune typographe Pierre Lanauve de Tartas, qui réalise ainsi sa première publication. » Céline, Lettres à Albert Paraz, Gallimard 2009
Albert Paraz a donné en titre La lettre de Céline sur Sartre et l'existentialisme, avec À l'agité du bocal, qu'il a compris comme un envoi, entre le titre et le texte. Il est donc à l'origine de l'erreur de titrage de l'édition de Lanauve de Tartas, Lettre à J.-P. Sartre qui dut être masquée par un papillon collé avec le titre exact. ChM
* et le texte de Jean-Paul Sartre tel que repris dans Réflexions sur la Question juive
« Le Juif n’est ici qu’un prétexte ailleurs on se servira du Nègre, ailleurs du Jaune. Son existence permet simplement à l’antisémite d’étouffer dans l’œuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée dans le monde, qu’elle l’attendait et qu’il a de tradition le droit de l’occuper. L’antisémitisme, en un mot, c’est la peur devant la condition humaine. L’antisémite est un homme qui veut être un roc impitoyable, torrent furieux, foudre dévastatrice : tout sauf un homme. » «Ainsi l'antisémitisme est-il originellement un Manichéisme; il explique le train du monde par la lutte du principe du Bien contre le principe du Mal. Entre ces deux principes aucun aménagement n'est concevable: il faut que l'un d'eux triomphe et que l'autre soit anéanti. Voyez Céline: sa vision de l'univers est catastrophique; le Juif est partout, la terre est perdue, il s'agit pour l'Aryen de ne pas se compromettre, de ne jamais pactiser. Mais qu'il prenne garde: s'il respire, il a déjà perdu sa pureté, car l'air même qui pénètre dans ses bronches est souillé. Ne dirait-on pas la prédication d'un Cathare? Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis, c'est qu'il était payé. Au fond de son coeur, il n'y croyait pas: pour lui, il n'y a de solution que dans le suicide collectif, la non-procréation, la mort.»
Jean-Paul Sartre
<a href="https://www.fichier-pdf.fr/2014/03/01/reflexions-sur-la-question-juive/">Document reflexions-sur-la-question-juive.pdf</a>
https://www.youtube.com/watch?v=69U6PRIGbeI |
https://www.youtube.com/watch?v=Q6xIefrQkyM |
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