De tous les personnages maudits qu'a pu générer l'histoire contemporaine, Jean Boissel, le Boisnières dit Neuneuil de D’Un Château l'autre de Louis-Ferdinand Céline, est certainement l'un des plus méprisés, sinon méprisables.
Le fondateur du Front Franc, national-socialiste enthousiaste dès 1935, antisémite frénétique, ami intime de l'odieux Julius Streicher, co-fondateur de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme, n'a certes rien fait pour s'attirer une quelconque sympathie, voire une certaine compréhension de la part des tenants officiels de la "mémoire" collective.
Pestiféré, même parmi les "ultras" de la Collaboration qui le jugeaient trop. extrémiste, comment Jean Boissel en est-il arrivé là ?
Il avait pourtant été un héros de la Grande Guerre, plusieurs fois décoré, mutilé à 100 %, titulaire de la Légion d'Honneur, architecte talentueux et renommé à la réussite rapide. Il finira, ayant mis sa peau au bout de ses idées, dans la solitude la plus totale et le mépris le plus absolu. Paul-Louis Beaujour, à travers ce destin original, retrace les soixante années de la IIIe République, avec ses scandales à répétition, son immoralité assumée, sa Franc-maçonnerie omniprésente, et ses groupes de pression agressifs, qui n'est pas sans rappeler, évidemment, notre triste conjoncture actuelle.
Alors? Neuneuil? Qui était-il vraiment? Un galeux à furoncles? une misérable canaille? un fléau? un choléra? un sale traitre? un pur salaud? un hystéro de la délation? Pas si simple.
Parce que dans le même temps: c'est lui l'homme de confiance que Celine a choisi pour protéger ses "allaitantes" des centaines de "mâles" désoeuvrés ; convaincu de son fait, il ne se montre pas vraiment intimidé par l'autorité toute "Pilatienne" de Raumnitz, et il n'est pas particulièrement impressionné par la foule hostile qui l'attend en bas de l'escalier. Enfin, reconnaissons qu'il affiche une certaine dignité quand il prend la route de Berlin (!). On pourrait donc dire que malgré tout, Neuneuil reste droit dans ses bottes...
On apprendra donc, dans ce modeste ouvrage, que Jean (Anselme) Boissel, c'est son vrai nom, n'était pas seulement la caricature qu'en a fait Celine (le Chateau est un roman!), mais qu'il fut un héros plusieurs fois médaillé de la Grande Guerre, un architecte doué et reconnu dont les créations sont aujourd'hui classées, un des rares français à avoir discouru à Nuremberg (en mai 1935), un journaliste extrêmement combatif plusieurs fois emprisonné (dès 1938), un des fondateurs de la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme (le 18 juillet 1941), enfin, et surtout, un furieux théoricien de l'antisémitisme dit biologico-raciste: c'est, entre autre, ce qui le fera condamné à mort en 1946.
Un homme de conviction, donc, qui mourra pour ses idées, en prison.
Historika Site historique sur les volontaires français de la Waffen-SS
Boisnières dit Neuneuil
dans Dictionnaire des personnages de Gaël Richard (Du Lérot 2008)
Boisnières-Neuneuil
Garde à la pouponnière des allaitantes du Fidelis, à Sigmaringen, ce policier borgne, « galeux à furoncles, et "service-service" tient son fichier serré sous son bras. La lettre de dénonciation à Hitler qu'il écrit contre Raumnitz lui vaut une gifle en présence de Céline. Ce personnage de collaborateur fanatique et borgne serait une transposition du journaliste et militant d'extrême droite Jean Anselme, dit Boissel (1891-1951) : architecte, mutilé de la Grande Guerre, cet ancien combattant antisémite fasciné par le nazisme avait fondé en 1936 le Racisme International Fascisme, qu'il dota d'un hebdomadaire Le Réveil du peuple. Arrêté sur ordre de Daladier en octobre 1939 avec Laubreaux et Lesca, libéré le 10 juillet 1940, il reconstitua son mouvement, le Front franc, et participa aux grandes manifestations racistes de la collaboration parisienne. Arrêté à la Libération, il fut condamné à mort par la cour de justice de la Seine le 28 juin 1946. Sa peine est commuée en emprisonnement: il meurt la veille d'être libéré le 19 octobre 1951. Comme Céline, il fut pressenti par Abetz pour le poste de Commissaire aux Questions juives, comme l'atteste
une note de 1941 adressée au conseiller de légation Zeitschel, produite au procès de Nuremberg. Le Réveil du peuple publia le 1er mai 1942 une lettre de Céline à Jean Drault, auteur d'une Histoire de l'antisémitisme qui mentionne favorablement les pamphlets et deux critiques mitigées de Guignol's band en 1944.
Bibliographie: Céline 2 - Cointet.
D'un château l'autre 199-204.
Il y tient !... je regarde d’ abord la signature... Boisnières... je connais ce Boisnières, il a la garde des « allaitantes » au Fidelis... la pouponnière du Fidelis... c’est lui qu’empêche qu’il se passe des choses, que ça se tienne mal, entre femmes à mômes et
les « bourmans » du Fidelis... ils sont au moins trois cents flics répartis en quatre chambrées, deux étages du Fidelis, flics de toutes les provinces de France, qu’ont absolument plus rien à foutre, repliés de toutes les Préfectures... Boisnières dit Neuneuil est « de garde à la pouponnière »... policier de confiance !... « que personne pénètre ! » Neuneuil et ses fiches !... il a un fichier: trois mille noms! il y tient comme à sa prunelle !... les fifis lui ont pris l’autre œil, combat au maquis ! vous dire s’il peut être de confiance !... je veux pas lire sa lettre, J’ai pas le temps !... je connais un peu le Boisnières-Neuneuil ! sûr il dénonce encore quelque chose... quelqu’un ! peut-être moi ?... je le connais ! un fastidieux !... borgne, galeux à furoncles, et « service-service »...
« Il dénonce encore quelqu’un ? — Oui, Docteur ! oui ! moi ! — À qui ? — Au Chancelier Adolphe Hitler! — Tiens ! c’est une idée !...
— Qu’il m’a vu partir en auto ! oui ! moi ! partir aller pêcher la truite au lieu de surveiller les Français... je ne nie rien, Docteur ! remarquez ! c’est un fait ! je suis coupable ! Neuneuil a raison ! mais vous ne voulez pas lire cette lettre ?
— Vous m’avez tout dit Commandant !... l’essentiel !
— Non ! pas l’essentiel !... votre compatriote Neuneuil a trouvé encore bien plus grave !... c’est son idée!... son idée ! que je sabote la « Luftwaffe » !... que je flambe vingt litres de «benzin» pour aller pêcher ma truite !... et c’est vrai ! tout à fait exact ! je ne dis rien! tout à fait raison, votre compatriote Neuneuil !
— Oh ! il exagère, Commandant ! — Il a raison d’exagérer ! » C’était pas le moment de le contredire!...
dialectique, mon cul ! tous dans le même sac ! tous ! et leur damnée Luftwaffe ! pour ce qu’elle servait ! j’allais pas lui dire non plus !
« Attendez, Docteur !... attendez ! je l’ai fait venir ! »
Son insistance que je lise cette lettre... que reste là... Neuneuil qu’il voulait me montrer !...
« Docteur, je vous prie !... excusez-moi !... assoyez-vous ! »
Il renfile sa culotte... remet ses bottes... son dolman...
Il va à la porte, il l’ouvre... il va à la rampe, il se penche... et à voix forte...
« Hier !... Monsieur Boisnières ! Monsieur Boisnières n’est pas là ?
—Si! Si! Commandant! me voici!... je monte... »
En fait, il arrive !... il est là...
« Entrez !... vous êtes bien Boisnières dit Neuneuil ?
— Oui, Commandant !
—Regardez-moi alors en face! bien en face!... vous avez bien écrit cette lettre ?
— Oui, Commandant ! — Vous reconnaissez ? — Oui, Commandant ! — À qui vous l’avez envoyée ? — Vous avez l’adresse, Commandant ! » Oh ! pas intimidé du tout !...
« Je n’ai fait que mon devoir, Commandant !
— Eh bien moi, monsieur Boisnières, je vais faire le mien !... dit Neuneuil !... regardez-moi bien en face ! là ! bien en face ! »
Pflac !... Pflac !... deux alors de ces sérieuses baffes que le Neuneuil en est comme soulevé !... son bandeau vole !... arraché !
« Voilà moi, ce que je pense !... Monsieur Boisnières dit Neuneuil!... en plus, et j’ajoute, je pourrais vous faire corriger bien plus !... et vous le savez !... et je le fais pas !... vous corriger une fois pour toutes! misérable canaille!... ah! je gaspille l’essence?... ah! je sabote la Luftwaffe!... je ne gaspillerai pas une petite balle pour vous faire taire, monsieur Neuneuil ! pas un nœud de la corde !... vous valez pas un nœud de la corde ! rien ! sortez ! sortez ! foutez-moi le camp ! et que je vous revoie plus ! plus jamais ! si je vous revois jamais ici, je vous fais noyer ! je vous fais aller voir les truites ! partez ! partez ! et au
galop ! tout de suite ! à Berlin !... prenez votre lettre!... Neuneuil!... la lâchez pas! Neuneuil!... vous la ferez lire au Führer lui-même ! à Berlin ! au galop ! Monsieur Neuneuil ! los ! los ! et que je vous revoie jamais ici ! jamais !... los ! los !... »
C’était la colère...
Neuneuil rajustait son bandeau... « Si je vous revois jamais ici, vous serez fusillé ! et noyé !... je vous le dis ! les motifs manquent pas ! »
Neuneuil, ce vatelavé salé !... l’avait tout de même assez ému... il vacillait... il remettait son bandeau, mais mal...
« Bon, Commandant ! vous me donnez l’ordre ! » Il s’en va, il referme la porte...
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