jeudi 23 octobre 2025

De Zola à Céline : Un “Lamanièredeux” dans Fantasio du 16 septembre 1933

Dans Fantasio : magazine gai du 16 septembre 1933. 

Ce périodique "coquin" de haute tenue offre à ses lecteurs de nombreux hors-textes de dessins en couleur signés des plus grands illustrateurs de l'époque tels Dignimont, Chas Laborde, Oberlé ou Roubille qui signe la couverture. 

Dans la rubrique La Potinière, Jean Marigny livre un article apocryphe (un “Lamanièredeux” assez minable) du texte que Céline devrait prononcer à Médan  en l'honneur de Zola et dont il a obtenu l'exclusivité !

DE ZOLA A CÉLINE... 

Pour l'anniversaire de la mort de Zola, M. D. F. Céline (sic) va prononcer un discours. Avant de la réunir en volume, comme sa préface au “Voyage au bout de la nuit” il en a donné la primeur à “Fantasio”.


Messieurs,

Je devrais dire mes potes que je vous dis, parce qu'on peut bien dire qu'ici nous sommes des affranchis et qu'au moment de tirer notre galurin devant la mémoire du gars Emile Zola, on se sent un peu pris aux tripes.

Celui-là était un maître. Ah ! il ne batifolait pas avec la mousseline, ce n'est pas lui qui a mis du sucre sur la galette amère de l'existence. Il était nature, comme moi-même, messieurs.

Il y a deux manières de tirer sa révérence, toutes deux s'expriment en cinq lettres : la première fit la gloire de Cambronne, le seconde le succès de Michelin. Entre M… et Merci, vous n'hésitez pas. Lui non plus.

Il avait fait le tour de toutes les saletés, flairé toutes les poubelles, piétiné tous les étrons lâchés par une civilisation en colique ; il nageait dans les égouts, se gavait de déchets ; se complaisait dans l'inceste, se mirait sur le zinc des assommoirs ; coïtait avec des Nanas de bas étage ; il plaçait son idéal à la hauteur des chasses d'eau ; et pourtant, il fut grand. 



C'était mon maître. Et c'est un devoir pieux que j'accomplis, que je vous dis.

Céline… Zola ! On dirait le titre d'un de ses livres. Parfois quand j'ai des digestions difficiles et que mon sommeil est truffé de borborygmes, je me plais à imaginer ce qu'il aurait écrit sous ce titre de Céline-Zola !

Et je vois une radeuse dépucelée à douze ans par un curé évadé du bagne. Impubère et vérolée, elle se donne à tous les gamins du quartier et l'école laïque devient un dispensaire, où l'on injecte à toute une génération de pourris, des doses de 606 – comme jadis des 1515 et des 1805 qui étaient des dates de boucheries. A quinze ans, Céline est mère des œuvres de Son Excellence Rougon-Macquart. 

Alors, c'est une vie de grande putain… Mais, messieurs, vous n'avez qu'à relire la “Terre” ou “Germinal” pour y faire une moisson de vices !

Il voyait noir. Moi aussi. Avant nous, la littérature était à dégueuler de fadeur. Il y avait des gens bons, des vierges ; des honnêtes hommes… Toute une faune abolie… une race perdue.

Ah ! s'il avait pu vivre jusqu'à nous ! Il eût écrit ce “Charnier” auquel vous pensez tous et dont les cent premières pages de mon livre ne donnent qu'une vision affadie et, dirai-je, presque tendre.

Nous vivons parmi des hystériques, des névrosés, des cochons décorés, des filles en fourrure !

Voilà l'humanité ! Qu'y puis-je ? Le monde pue ; la terre grouille de vermine. Les journaux sont pleins de cette publicité accablante qui met le public en garde contre les métrites, les poux et le retour d'âge. Ce n'est tout de même pas moi qui ai inventé la salpingite, l'ovariectomie, les pertes blanches, la goutte militaire, toutes ces choses qui naissent de l'amour, comme les jumeaux ophtalmiques et les dégénérés…

Voilà où nous en sommes ! Et l'on appelle ça le règne de l'intelligence ! Des meurtres et des sérums ! Du sang d'homme et du sang de cheval ! depuis Attila, le besoin des mortels n'a pas changé. Ah ! s'il avait connu une Violette Nozière, un Landru, un Mestorino, un Gorguioff, tous ces échantillons d'une race putréfiée, de quelles sombres flammes, n'eut-il pas illuminé le ciel noir et crachouillant de ses pensums tristes !

Il manquait un Zola, à ce siècle avachi, et je me suis dressé. Je n'ai pas encore atteint le Bout de la Nuit ! Mais je vous dis que vous n'avez pas fini d'en baver, de suivre Bardamu dans les bouges ignobles où se vautrent mes héros !

Des ivrogne et des poitrinaires ; des assassins et des faiseuses d'anges, voilà le quatuor qui servira de base à ma symphonie nauséabonde. Que les timides se bouchent le nez, j'écris avec de l'urine et des excréments ; la vérité ne sort plus des puits, mais des fosses d'aisance !

Il est temps de vidanger le monde !

Si vous songez, messieurs, que notre langue est pauvre en mots orduriers, en onomatopées pestilentielles et que j'ai depuis dix minutes usé d'un vocabulaire faisandé comme un perdreau pourri, vous ne pourrez que nous admirer, Zola et moi, d'avoir, lui en cinquante volumes, et moi en six cent quarante-quatre pages,étalé tous les adjectifs puants, tous les substantifs glaireux du vocabulaire, sans une défaillance. Je sais bien que c'est un truc ; mais les lecteurs aiment se faire engueuler, les femmes du monde adorent le langage des marlous, elles ont été servies.

Qu'attendiez-vous de moi, messieurs ? Ça : pas autre chose. Un bon petit laïus plein d'insanités, mais râpeux aux oreilles comme une pomme rossée. Vous voilà servis. Ça vous remonte un peu des boyaux aux gencives ! Bah ! ce n'est rien. Ça soulage au contraire. Mais, avant de finir, je dois vous faire un aveu : l'attitude d'un Zola ou la mienne ne représente aucun courage. Mais quand tous les seuils du rêve, de la grâce, de la beauté, de la tendresse et de l'amour sont occupés, il ne reste plus à celui qui arrive que des latrines.

Tant qu'il a vécu et tant que je vivrai, il est inutile d'insister, le loquet sera fermé : et vous lirez sur la petite porte : occupé. J'y suis, j'y reste… Le tout est de se soulager avec talent. 

P.P.C. Jean Marigny. 

     

dimanche 21 septembre 2025

Discours de Louis-Ferdinand Céline à Médan, le 1er octobre 1933 en hommage à Zola

Discours de Louis-Ferdinand Céline à Médan, le 1er octobre 1933 

en hommage à Zola

Les hommes sont des mystiques de la mort dont il faut se méfier.

En pensant à Zola, nous demeurons un peu gêné devant son oeuvre; il est trop près de nous encore pour que nous le jugions bien, je veux dire dans ses intentions. Il nous parle de choses qui nous sont familières... Il nous serait bien agréable qu'elles aient un peu changé.
Qu'on nous permette un petit souvenir personnel. A l'Exposition de 1900, nous étions encore bien jeunes, mais nous avons gardé le souvenir quand même bien vivace, que c'était une énorme brutalité. Des pieds surtout, des pieds partout et des poussières en nuages si épais qu'on pouvait les toucher. Des gens interminables défilant, pilonnant, écrasant l'Exposition, et puis ce trottoir roulant qui grinçait jusqu'à la galerie des machines, pleine, pour la première fois, de métaux en torture, de menaces colossales, de catastrophes en suspens. La vie moderne commençait.

Le trottoir roulant de l'Exposition universelle de 1900

Depuis, on n'a pas fait mieux. Depuis
L'Assommoir non plus on n'a pas fait mieux. Les choses en sont restées là avec quelques variantes. Avait-il, Zola, travaillé trop bien pour ses successeurs ? Ou bien les nouveaux venus ont-ils eu peur du naturalisme ? Peut-être... Aujourd'hui, le naturalisme de Zola, avec les moyens que nous possédons pour nous renseigner, devient presque impossible. On ne sortirait pas de prison si on racontait la vie telle qu'on la sait, à commencer par la sienne. Je veux dire telle qu'on la comprend depuis une vingtaine d'années. Il fallait à Zola déjà quelque héroïsme pour montrer aux hommes de son temps quelques gais tableaux de la réalité. La réalité aujourd'hui ne serait permise à personne. À nous donc les symboles et les rêves ! Tous les transferts que la loi n'atteint pas, n'atteint pas encore. Car, enfin, c'est dans les symboles et les rêves que nous passons les neuf dixièmes de notre vie, puisque les neuf dixièmes de l'existence, c'est-à-dire du plaisir vivant, nous sont inconnus, ou interdits. Ils seront bien traqués aussi les rêves, un jour ou l'autre. C'est une dictature qui nous est due.
La position de l'homme au milieu de son fatras de lois, de coutumes, de désirs, d'instincts noués, refoulés est devenue si périlleuse, si artificielle, si arbitraire, si tragique et si grotesque en même temps, que jamais la littérature ne fut si facile à concevoir qu'à présent, mais aussi plus difficile à supporter. Nous sommes environnés de pays entiers d'abrutis anaphylactiques; le moindre choc les précipite dans les convulsions meurtrières à n'en plus finir. Nous voici parvenus au bout de vingt siècles de haute civilisation et, cependant, aucun régime ne résisterait à deux mois de vérité. Je veux dire la société marxiste aussi bien que nos sociétés bourgeoises et fascistes. L'homme ne peut persister, en effet, dans aucune de ces formes sociales, entièrement brutales, toutes masochistes, sans la violence d'un mensonge permanent et de plus en plus massif, répété, frénétique, "totalitaire" comme on l'intitule. Privées de cette contrainte, elles s'écrouleraient dans la pire anarchie, nos sociétés. Hitler n'est pas le dernier mot, nous verrons plus épileptique encore, ici, peut-être. Le naturalisme, dans ces conditions, qu'il le veuille ou non, devient politique. On l'abat. Heureux ceux que gouvernèrent le cheval de Caligula !
Les gueulements dictatoriaux vont partout à présent à la rencontre des hantés alimentaires innombrables, de la monotonie des tâches quotidiennes, de l'alcool, des myriades refoulées : tout cela plâtre dans un immense narcissisme sadico-masochiste toute issue de recherches, d'expériences et de sincérité sociale. On me parle beaucoup de jeunesse, le mal est plus profond que la jeunesse. Je ne vois en fait de jeunesse qu'une mobilisation d'ardeurs apéritives, sportives, automobiles, spectaculaires, mais rien de neuf. Les jeunes, pour les idées au moins, demeurent en grande majorité à la traîne des R.A.T. bavards, filoneux, homicides.
À ce propos, pour demeurer équitables, notons que la jeunesse n'existe pas au sens romantique que nous prêtons encore à ce mot. Dès l'âge de dix ans, le destin de l'homme semble à peu près fixé dans ses ressorts émotifs tout au moins; après ce temps. nous n'existons plus que par d'insipides redites, de moins en moins sincères, de plus en plus théâtrales. Peut-être. après tout. les "civilisations" subissent-elles le même sort ? La nôtre semble bien coincée dans une incurable psychose guerrière. Nous ne vivons plus que pour ce genre de redites destructrices. Quand nous observons de quels préjugés rancis, de quelles fariboles pourries peut se repaître le fanatisme absolu de millions d'individus prétendus évolués, instruits dans les meilleures écoles d'Europe, nous sommes autorisés certes à nous demander si l'instinct de mort chez l'homme, dans ses sociétés, ne domine pas déjà définitivement l'instinct de vie. Allemands, Français, Chinois, Valaques. Dictatures ou pas. Rien que des prétextes à jouer à la mort.


Je veux bien qu'on peut tout expliquer par les réactions malignes de défense du capitalisme ou l'extrême misère. Mais les choses ne sont pas si simples ni aussi pondérables. Ni la misère profonde ni l'accablement policier ne justifient ces ruées en masse vers les nationalismes extrêmes, agressifs, extatiques de pays entiers. On peut expliquer certes ainsi les choses aux fidèles, tout convaincus d'avance, les mêmes auxquels on expliquait il y a douze mois encore l'avènement imminent, infaillible du communisme en Allemagne. Mais le goût des guerres et des massacres ne saurait avoir pour origine essentielle l'appétit de conquête, de pouvoir et de bénéfices des classes dirigeantes. On a tout dit, exposé, dans ce dossier, sans dégoûter personne. Le sadisme unanime actuel procède avant tout d'un désir de néant profondément installé dans l'homme et surtout dans la masse des hommes, une sorte d'impatience amoureuse à peu près irrésistible, unanime pour la mort. Avec des coquetteries, bien sûr, mille dénégations : mais le tropisme est là, et d' autant plus puissant qu'il est parfaitement secret et silencieux.
Or les gouvernements ont pris la longue habitude de leurs peuples sinistres, ils leur sont bien adaptés. Ils redoutent dans leur psychologie tout changement. Ils ne veulent connaître que le pantin, l'assassin sur commande, la victime sur mesure. Libéraux, Marxistes, Fascistes, ne sont d' accord que sur un seul point : des 
soldats ! Et rien de plus et rien de moins. Ils ne sauraient que faire en vérité de peuples absolument pacifiques...
Si nos maîtres sont parvenus à cette tacite entente pratique. c' est peut-être qu'après tout l'âme de l'homme s'est définitivement cristallisée sous cette forme suicidaire.


On peut obtenir tout d'un animal par la douceur et la raison, tandis que les grands enthousiasmes de masse, les frénésies durables des foules sont presque toujours stimulés, provoqués, entretenus par la bêtise et la brutalité. Zola n'avait point à envisager les mêmes problèmes sociaux dans son ouvre, surtout présentés sous cette forme despotique. La foi scientifique, alors bien nouvelle, fit penser aux écrivains de son époque à une certaine foi sociale, à une raison d'être "optimiste". Zola croyait à la vertu, il pensait à faire horreur au coupable, mais non à le désespérer. Nous savons aujourd'hui que la victime en redemande toujours du martyr, et davantage. Avons-nous encore, sans niaiserie, le droit de faire figurer dans nos écrits une Providence quelconque ? Il faudrait avoir la foi robuste. Tout devient plus tragique et plus irrémédiable à mesure qu'on pénètre davantage dans le destin de l'homme. Qu'on cesse de l'imaginer pour le vivre tel qu'il est réellement... On le découvre. On ne veut pas encore l'avouer. Si notre musique tourne au tragique, c'est qu'elle a ses raisons. Les mots d'aujourd'hui, comme notre musique, vont plus loin qu'au temps de Zola. Nous travaillons à présent par la sensibilité et non plus par l' analyse, en somme "du dedans". Nos mots vont jusqu'aux instincts et les touchent parfois, mais, en même temps, nous avons appris que là s'arrêtait, et pour toujours, notre pouvoir.
Notre Coupeau, à nous, ne boit plus tout à fait autant que le premier. Il a reçu de l'instruction... Il délire bien davantage. Son delirium est un bureau standard avec treize téléphones. Il donne des ordres au monde. Il n'aime pas les dames. Il est brave aussi. On le décore à tour de bras.

Dans le jeu de l'homme, l'instinct de mort, l'instinct silencieux, est décidément bien placé, peut-être, à côté de l' égoïsme. Il tient la place du zéro dans la roulette. Le casino gagne toujours. La mort aussi. La loi des grands nombres travaille pour elle. C'est une loi sans défaut. Tout ce que nous entreprenons, d'une manière ou d'une autre, très tôt, vient buter contre elle et tourne à la haine, au sinistre, au ridicule. Il faudrait être doué d'une manière bien bizarre pour parler d'autre chose que de mort en des temps où sur terre, sur les eaux, dans les airs, au présent, dans l'avenir, il n'est question que de cela. Je sais qu'on peut encore aller danser musette au cimetière et parler d'amour aux abattoirs, l'auteur comique garde ses chances, mais c'est un pis aller.
Quand nous serons devenus normaux, tout à fait au sens où nos civilisations l'entendent et le désirent et bientôt l'exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On ne nous aura laissé pour nous distraire que l'instinct de destruction. C'est lui qu'on cultive dès l'école et qu' on entretient tout au long de ce qu'on intitule encore : La vie. Neuf lignes de crimes, une d'ennui. Nous périrons tous en choeur, avec plaisir en somme, dans un monde que nous aurons mis cinquante siècles à barbeler de contraintes et d' angoisses.
Il n'est peut-être que temps, en somme, de rendre un suprême hommage à Émile Zola à la veille d'une immense déroute, une autre. Il n'est plus question de l'imiter ou de le suivre. Nous n'avons évidemment ni le don, ni la force, ni la foi qui créent les grands mouvements d'âme. Aurait-il de son côté la force de nous juger ? Nous avons appris sur les âmes, depuis qu'il est parti, de drôles de choses.
La rue des Hommes est à sens unique, la mort tient tous les cafés, c'est la belote "au sang" qui nous attire et nous garde.


L'oeuvre de Zola ressemble pour nous, par certains côtés, à l'oeuvre de Pasteur si solide, si vivante encore, en deux ou trois points essentiels. Chez ces deux hommes, transposés, nous retrouvons la même technique méticuleuse de création, le même souci de probité expérimentale et surtout le même formidable pouvoir de démonstration, chez Zola devenu épique. Ce serait beaucoup trop pour notre époque. Il fallait beaucoup de libéralisme pour supporter l'affaire Dreyfus. Nous sommes loin de ces temps, malgré tout académiques.

Céline en pèlerinage à Médan.
L'Intransigeant
 du 3 octobre 1933 Une et page 6.

Selon certaines traditions, je devrais peut-être terminer mon petit travail sur un ton de bonne volonté, d'optimisme. Mais que pouvons-nous espérer du naturalisme dans les conditions où nous nous trouvons ? Tout et rien. 
Plutôt rien, car les conflits spirituels agacent de trop près la masse, de nos jours, pour être tolérés longtemps. Le doute est en train de disparaître de ce monde. On le tue en même temps que les hommes qui doutent. C'est plus sûr.
Quand j'entends seulement prononcer autour de moi le mot "Esprit" : je crache ! nous prévenait un dictateur récent et pour cela même adulé. On se demande ce qu'il peut faire, ce sous-gorille, quand on lui parle de "naturalisme" ?
Depuis Zola, le cauchemar qui entourait l'homme, non seulement s'est précisé, mais il est devenu officiel. A mesure que nos "Dieux" deviennent plus puissants, ils deviennent aussi plus féroces, plus jaloux et plus bêtes. Ils s'organisent. Que leur dire ? On ne se comprend plus. L' École naturaliste aura fait tout son devoir, je crois, au moment où on l'interdira dans tous les pays du monde.
C'était son destin.






lundi 8 septembre 2025

Hebdomadaire satirique "L'œil de Paris" 1933 - Brèves et filets parlant de Céline

L'œil de Paris 1933 Brèves et filets parlant de Céline

L’œil de Paris, samedi 7 janvier 1933 (4e année n° 218) 

au samedi 30 décembre 1933 (5e année n°269)

Hebdomadaire satirique de gauche dont le slogan était “Pénètre partout”, qui parût de 1928 à 1938. Céline y est souvent cité mais l’on constate que le journal est de plus en plus critique avec l’auteur du Voyage. Cette année-là, son rédacteur en chef François Albert meurt.




(Dans la rubrique Glanes & Gloses du n°220 du samedi 21 janvier 1933)

Les projets de Céline

M. Céline, qui rentre d'un voyage en Allemagne, n’a pas encore bien réalisé la célébrité que lui vaut son Voyage au bout de la Nuit.

Il s'est même plaint, à son éditeur, de la publicité faite autour de son nom. L'éditeur, devant ce reproche, resta stupéfait. C'était bien la première fois, certes, qu'un auteur se déclaralt mécontent du succès de son œuvre.

Pour se venger. M. Céline – pseudonyme, on le sait du docteur Destouches – aurait décidé de remettre à son éditeur, très prochainement, le manuscrit d'une œuvre, qui fait au moins deux fois le volume du «roman-fleuve» qui obtint le prix Théophraste-Renaudot. Ôn peut croire que l'éditeur ne s’en plaindra pas, ni le lecteur non plus – si tant est qu'on puisse faire deux fois un pareil Voyage...

 

(Dans la rubrique Choses et gens de lettres du n°221 du samedi 28 janvier 1933)

Conjonction des extrêmes

Le roman de M. Céline a, comme on sait, séduit l'extrême droite en la personne de M.Léon Daudet. Voici qu'à l'extrême gauche (ce qui est naturel), M. Auffray, le jeune député-maire de Clichy, déclare tout net à ses collègues du Conseil général que le Voyage au bout de la nuit est un monument littéraire impérissable et il est entrain d'en faire adopter l'acquisition par le département pour les bibliothèques communales.

 

(Dans la rubrique Mitre, Crosses, Trône, etc.. du n°223 du samedi 11 février 1933)

Le Croisé pense à tout

L'abbé Bethléem poursuit sa campagne d'épuration en librairie et il faut lui rendre cette justice qu'il pense à tout. N'avait-il pas en effet oublié, jusqu'à ce jour, l'étalage des grands magasins? L'idée lui en vint soudain l'autre jour. Il se rendit au rayon des livres de l'un d'entre eux, dont la direction ne passe cependant pas pour animée d'idées subversives. Il y vit le dernier ouvrage de M. Céline, poussa un cri d'horreur, s'indigna, tempêta et mit en émoi tout le personnel des vendeuses… qui, bien entendu, vont maintenant se précipiter sur l'ouvrage ainsi boycotté et en faire leurs délices sans désemparer.

 

(Dans la rubrique Les lettres du n°227 du samedi 11 mars 1933)

Flair

Les éditeurs de Céline ont vraiment mis dans le «mille», et ils s'en réjouissent – ce qui est naturel. Le directeur de leur firme, M.Dorian, s'attribue volontiers le mérite d'avoir retenu le manuscrit, ceci, si c'est exact, dénote un flair heureux chez ce jeune homme. Mais l'on dit que le docteur Destouches – alias L.-F. Céline – a participé aux frais de l'édition et qu'on lui avait refusé un contrat. 

Si c'est vrai… le flair commercial de M.Dorian est encore plus prononcé. A moins qu'il ne s'agisse, comme c'est possible, que d'un flair à retardement.

 

(Dans la rubrique Choses et gens de lettres du n°231 du samedi 8 avril 1933)

Le Prix du roman populiste

Ce prix, fondé par une généreuse amie des lettres et de l'école populiste créée par MM. André Thérive et Lemonnier, va bientôt être décerné. Les bons romans qui peuvent se recommander de ce genre ne manquent pas, certes, et les jurés n'auront que l'embarras du choix. 

Mais il court un bruit étrange… Ne dit-on pas que l'on songerait à décerner le prix à M. L.-F. Céline ? Ce serait évidemment là, dans l'esprit des jurés, une manière de réparer l'erreur des Goncourt et aussi un véritable défi lancé aux académiciens du «Grenier».

Ce serait également une maladresse, à notre sens du moins. Car le rôle de tout prix littéraire doit être, avant tout, de révéler un auteur nouveau, et Céline, dieu merci, n'a plus besoin de personne pour être célèbre. On risquerait d'ailleurs de se heurter, de sa part, au même refus poli que M. Jules Romains opposa naguère à ceux qui, croyant le glorifier, avaient surtout l'air de le découvrir, ce qui est vexant pour un écrivain de sa classe. Mais au fait, ce bruit n'est peut-être qu'un bruit…

Bardamu se lance...

Il faut reconnaître que le Dr Destouches – alias L.F. Céline – ne s'est point laissé griser par son succès foudroyant. En vain les journalistes, et notamment les spécialistes de l'interview littéraire… chronométrée, s'étaient-ils mis à sa recherche. Nul ne put, au lendemain du prix Théophraste Renaudot, en retrouver le lauréat : celui-ci était déjà parti pour un long voyage à l'étranger. A son retour, il trouva à son domicile des monceaux d'invitations, d'offres diverses. Il n'y répondit point, au grand désespoir des «Mme Geoffrin » du Faubourg, qui auraient bien voulu l'exhiber dans leurs Salons. Puis, un jour, on apprit que Céline offrait à dîner aux rnodestes jurés du prix Renaudot. Des photographies nous le montrèrent alors aux cotés de Mlle Odette Pannetier, qui ne passe pas précisément pour professer les idées de Bardamu – si tant est qu'elle en professe de quelconques. La semaine suivante, l'auteur du Voyage au bout de la Nuit publiait son premier article…dans un hebdomadaire d'extrême droite, ce qui ne laissa pas de surprendre ses admirateurs. 

On dit que Céline va rectifier son tir…

Souhaitons-le, souhaitons-le.

 

(Une petite allusion dans la rubrique Les lettres du n°234 du samedi 22 avril 1933)

Une victime 

Les romans policiers de M. Georges Simenon connaissent un grand succès. On les lit dans toutes les classes en France, on les traduit pour l'étranger, on les adapte au cinéma. Sans doute on a vu déjà Maurice Leblanc enlever des suffrages inattendus, mais le cas de M. Simenon est unique en ceci que ses ouvrages font vraiment les délices des littérateurs les plus difficiles et les plus subtils. Le don qu'il a de créer une atmosphère comme en se jouant lui est envié par ses plus graves confrères. C'est à cause de ces mérites que le jury du prix Théohraste Renaudot songea en décembre dernier à le couronner, lorsque la carence des Goncourt devant le Voyage au bout de la nuit les obligea en dernière heure à lui préférer M. Céline. […] Et depuis M, Simenon s'applique a faire très littéraire. Il voudrait satisfaire ces messieurs du Renaudot, car il ne lève pas encore les yeux jusqu'au Goncourt. 

Fatalement, ses derniers ouvrages sont moins bons que ceux qu'il ne faisait que bâcler.

 

(Dans la rubrique De la Coupole aux livres du n°242 du samedi 17 juin 1933)

Qui l'eût cru ? 

A un écrivain fasciste, récemment de passage à Paris, un journaliste demanda quel était le littérateur français le plus lu, actuellement, en Italie.

– Céline, répondit-il.

C'est au moins inattendu. Et cela prouve que les Italiens ne sont point tellement «conformistes» qu'on veut bien le dire.

S'ils pouvaient parler !…

 

(Dans la rubrique Branle-Bas du n°254 du samedi 9 septembre 1933)

M. Céline, homme de lettres

On s'était trop hâté d'identifier Louis-Ferdinand Céline, avec Bardamu, le héros, si l'on peut dire, du Voyage au bout de la nuit. Après avoir, tout d'abord, dédaigneusement écarté les hommages que lui avaient valus son prodigieux succès, M. Céline s'est finalement décidé à quitter sa tour d'ivoire. On l'avait vu, non sans surprise, donner son premier article à un hebdomadaire de droite, lui, l'anarchiste cent pour cent. Voici qu'il vient de publier un second livre, L'Eglise, cette pièce qu'aucun directeur de théâtre français ne s'est senti le courage de monter et qu'on va jouer…à Prague. Le docteur Destouches est donc décidément devenu «M. L.-F. Céline, homme de lettres». C'est en cette qualité, désormais affichée, qu'il va participer à une cérémonie littéraire : celle qui se déroulera demain à Médan, à l'occasion du trente et unième anniversaire de la mort d'Emile Zola. Il sera curieux d'entendre le jugement de l'auteur du Voyagesur celui de L'Assommoir, auquel il s'apparente incontestablement par divers côtés.

 

(Dans la rubrique Coups d'œil en coulisse du n°255 du samedi 16 septembre 1933)

Deval et Céline

M. Jacques Deval était ténu jusqu'ici pour un auteur charmant et les pièces qu'il nous a livrées depuis douze ans sont surtout jolies. L'amertume et l'âpreté de sa Prière pour les vivants ont surpris. Faut-il voir là une influence de M. Louis-Ferdinand Céline ? L'auteur d'Etienne et celui du Voyage au bout de la nuit se fréquentent beaucoup depuis quelque temps, et M.Deval ne cache pas sa profonde admiration pour le roman passionné et tumultueux de son nouvel ami. Celui-ci de son côté ne dissimule pas qu'il est énergiquement intervenu.

– Il faisait toujours des pièces à l'eau de rose… Alors je lui ai dit : Pourquoi que vous donnez toujours dans la pâte de guimauve ? Sortez-nous donc un peu ce que vous avez dans le ventre ! Et vous voyez, hein, termine Céline, ça a servi à quelque chose.

«L'Eglise»

La pièce de M. Louis-Ferdinand Céline, L'Eglise, a été offerte à Louis Jouvet qui n'en a pas voulu. «Injouable», a-t-il dit. Cependant les amis de M. Céline ne se découragent pas et ils cherchent un théâtre où la pièce serait montée à leurs frais. Ils ont déjà la principale interprète : Melle Karen Marie Jansen, à qui L'Eglise est dédiée, et qui tiendrait le rôle de Janine. Si vraiment l'oeuvre de Céline voit les feux de la rampe, ce sera le plus beau four de la saison. Ni le nom de l'auteur, ni la renommée du Voyage au bout de la Nuit ne réussiront à imposer au public parisien cette longue diatribe verbeuse, dépourvue de toute action dramatique. Louis Jouvet l'a bien dit : L'Eglise est injouable.

(Dans la rubrique Les Lettres de ce même n°255)

Et Céline a parlé (Dans la rubrique Les Lettres de ce même n°255)

Jamais la cérémonie annuelle de Médan n'avait connu pareille affluence. Plus de six cents pèlerins se sont pressés dans le jardin de la propriété illustre où furent écrits La Faute de l'Abbé MouretRome,Lourdes,Paris

Il y avait là Léon Frapié, Lucien Descaves, Paul Brulat, Georges Pioch, Sirieyx de Villers, Pierre Ligarde, Batillat, Mateï Rôussou… Bien d'autres encore. Tout ce monde était-il venu pour honorer la mémoire de Zola ? N'en doutons pas. Mais il s'agissait, d'abord, de voir enfin, et d'entendre, l'inquiétant auteur du Voyage au Bout de la Nuit…On a donc écouté d'une oreille impatiente le discours en trois points de Jean Vignaud. Puis Céline a surgi. Pas académique pour deux sous, Céline. Il a parlé comme il écrit. Carrément,–salué de très bien ! et d'applaudissements. Il a dit son fait à notre temps, à nos âmes, sur lesquelles, depuis la mort de Zola, on a appris «de drôles de choses»… Fait curieux, il a exactement le débit de Louis Jouvet. Le Dr Knock aurait-il donné des leçons de diction au Dr Destouches ?… 

L'auditoire est demeuré calme, en tout cas. Il ne s'est pas davantage enfiévré lorsque Me Joseph Hild a exhumé quelques pièces inédites du dossier de l'Affaire Dreyfus. Ce premier dimanche d'octobre était si doux, si doux…

  

(Dans la rubrique Les Lettres du n°257 du samedi 30 septembre 1933)

Un nouveau Céline ?

Les éditeurs Denoël et Steele qui, l'an passé, lancèrent avec le succès que l'on sait le Voyage au bout de la nuit, ont définitivement accepté de publier un roman qui, par sa violence et son nihilisme, laisserait loin derrière lui le fameux ouvrage de Céline. 

Un de ceux qui ont lu le manuscrit n'a-t-il pas déclaré que Bardamu n'était qu'un révolutionnaire à l'eau de rose à côté du héros qui va être proposé à notre admiration?

L'ouvrage paraîtra dans deux semaines et prendra le départ dans la course au Goncourt. Quant à l'auteur, loin d'avoir connu l'aventureuse destinée de Céline, il occupe au ministère de la rue Royale un poste surtout honorifique, sa fortune lui assurant par ailleurs une situation indépendante. 

Note : Le journaliste s'égare, le livre à paraître n'est pas de Céline et la description de l'auteur correspond à Charles Braibant, voir «Le roi dort» ci-après. 

 

(Une petite allusion dans la rubrique Les Lettres du n°258 du samedi 7 octobre 1933)

«Le roi dort»

Le roman du nouveau poulain des éditeurs Denoël et Steele, que nous avons annoncé la semaine dernière*, est sorti hier. C'est Le Roi dort de M. Charles Braibant. L'auteur est archiviste au ministère de la Marine et c'est la première fois qu'il tâte de la littérature. […] Le roman est conçu comme une âpre satire des moeurs de la bourgeoisie française. On a déjà rappelé le roman de Céline à propos de celui de M. Braibant. En fait, les deux auteurs ne se rejoignent que dans la crudité de langage. M. Braibant n'a pas hésité à placer dans la bouche de son héros les plus vertes expressions populaires. Cette circonstance assurera-t-elle au Roi dort un succès de scandale ?On ne sait, mais en tous les cas on peut s'attendre à une levée en masse des boucliers des «bien-pensants»!

*Note : le roman n'a pas été annoncé dans le numéro précédent, voir ci-dessus et ci-dessous sur le même thème. 

 

(Dans la rubrique Les Lettres du n°262 du samedi 4 novembre 1933)

Pronostics avant les prix

C'est le 6 décembre que sera décerné le Goncourt. Il y a cette année deux favoris : M. Robert Francis, auteur de La Grange aux trois belles, et M. Charles Braibant qui, comme on sait, a publié récemment Le Roi dort. Le premier est assuré d'avoir les votes de M. Léon Daudet et de M. Roland Dorgelès. M. Rosny aîné hésite, les deux candidats lui ayant été recommandés avec une identique chaleur par quelques âmes charitables. M. Jean Ajalbert est ouvertement pour M. Braibant. M. Lucien Descaves (qu'une farouche résolution tiendra naturellement loin du traditionnel déjeuner) votera sans doute également pour celui-ci. Pour les autres, c'est le mystère. Ceux qui ne voudraient pas que le Goncourt allât à M. Braibant ont avancé avec beaucoup d'adresse un argument qui a porté. Comme le roman de M. Braibant contient un certain nombre de mots crus, on a vu là l'influence de Céline et l'on a dit qu'en couronnant cette année Le Roi dort les Dix infirmeraient par là même leur jugement de l'an passé et que le bénéfice moral du prix irait à l'inspirateur de l'œuvre, c'est-à-dire à Céline.

Il est vrai que M. Braibant assure que son roman était en chantier depuisdeuxans, c'est-à-dire bien avant l'apparition du Voyage au bout de la nuit, et que dès le début il contenait ces expressions grasses où l'on veut à toute force reconnaître la manière de M. Céline. 

Le grand favori reste M. Robert Francis… et c'est peut-être une raison suffisante pour qu'il ne décroche pas la timbale. On sait que les Goncourt sont fort pointilleux, qu'ils souffrent mal qu'on leur force la main et qu'ils adorent «découvrir» un auteur.

... Mais comme tout se sait, on connaît leur outsider. Ce serait M. Couderc dont le roman Justine, sorti il y-a huit jours à peine, n'a encore été lu par personne.

Si M. Robert Francis n'a pas le Goncourt, il est du moins assuré d'obtenir le Théophraste Renaudot. Ainsi en a décidé cette semaine le jury de ce prix. Dans le cas contraire, c'est M. Gabriel Chevalier, pour son beau livre Clarisse Vernon, ou M. Robert Gaillard pour L'Automne d'un Faune, qui remporterait la palme. La candidature de M. Braibant a été écartée d'office pour une raison extra-littéraire : ses éditeurs ont déjà eu deux fois le prix en 1931 avec Philippe Hériat, en 1932 avec Céline. Pauvre M. Braibant, ce n'est pourtant pas sa faute.

Quant à ces dames du jury Fémina, elles sont hermétiques, si I'on ose dire. Elles pourraient bien jouer aux Goncourt le mauvais tour de décerner leur prix à M. Robert Francis. On parle aussi de M. Pierre de Neyrac et de M. Marcel Aymé. Tout ce que souhaitent ceux qui n'ont pas oublié les incidents de l'an passé, c'est que le scrutin soit clair et net !

 

(Petite allusion dans la rubrique Les Lettres du n°264 du samedi 18 novembre 1933)

La grande semaine des prix

M. Braibant aurait eu toutes les chances avec son Roi dort si on n'avait pas trop parlé – et trop tôt – de ce beau livre. Il se consolera aisément de son échec. Comme Céline, il a eu le prix Renaudot. D'ailleurs les polémiques que son roman a déjà suscitées sont, plus encore peut-être que ne l'eût été le prix, un gage de succès.

 

(Petite allusion dans la rubrique Les Lettres du n°265 du samedi 25 novembre 1933)

Lauréats

Bien que, grâce aux manoeuvres adroites des deux amis qu'il avait dans le jury Renaudot, M. Braibant ait eu le… prix de consolation, il ne se console pas du tout […] Ses amis, émus par son désespoir, tentent de le persuader que le Renaudot est aussi important que le Goncourt et que la meilleure preuve en est que l'an passé, c'est le lauréat du Renaudot, Louis-Ferdinand Céline, qui a été l'homme le plus glorieux de l'année.

– Oui, dit M. Charles Braibant, doucement obstiné, mais le Goncourt… c'est tout de même le Goncourt.

 

 

 

 

 

mardi 29 avril 2025

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation irrémédiable de Féerie pour une autre fois) présente : Essais de titres (recensés par Henri Godard)

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation irrémédiable de Féerie pour une autre fois) présente : 
Essais de titres (recensés par Henri Godard)


La barque aux maudits (cahiers de prison)

Au vent des maudits (cahiers de prison trois fois cité)

Falbalas pour un ouragans (cahiers de prison)

Plaisanteries Friponneries Confidences pour une autre fois

Manière [de rire pour raturé]

Effets plaisants «drôles» pour une autre fois — Espiègleries – Soupirs pour une autre fois (cahiers de prison)


Féerie pour une autre fois

Contes d’apocalypse

Généralités — Gentillesses — folâtres — Charmes pour une autre fois — Soupirs

Faits baroques «folâtres» p u a f (cahiers de prison)






samedi 26 avril 2025

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation impérative de Féerie pour une autre fois) présente : Des marguerites pour Marguerite.

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation impérative de Féerie pour une autre fois) présente : Des marguerites pour Marguerite. 


« Les épreuves m'ont cassé, j'avoue... tenez, je reviens à ma mère... je peux pas me faire à cette tristesse... elle est enterrée Père- Lachaise, allée 14, division 20***… Je voudrais bien un « laissez-passer »... juste le temps d'aller voir la dalle... 

Tout est survenu d'une façon... elle a jamais su ce que j'étais devenu... je lui porterais un pot de marguerites... c'était sa fleur la marguerite... Marguerite Louise Céline Guillou... Elle est morte de chagrin de moi et d'épuisement d'effort du cœur... des palpitations, d'inquiétudes... de tout ce qu'« on » disait... pensez les gens de l'avenue de Clichy !... les bancs... l'opinion publique !... 

Elle a jamais su ce que j'étais devenu... nous l'avons vue partir un soir, elle a pris la rue Durantin et puis la descente vers Lamarck... et puis ce fut tout pour toujours... elle dormait plus depuis des mois... Elle a jamais beaucoup dormi... maintenant elle dort... Elle était comme moi, soucieuse, trop consciencieuse... Elle avait un petit rire en elle pourtant, moi je l'ai énorme... La preuve dans ce fond de fosse, tenez, je peux rire quand je veux, je pense à vous, magique, comment que vous allez tortiller, gigoter, quand jouera la flûte, le petit air d'en haut que vous connaissez pas encore... Le rire c'est en soi ou y a rien... Je l'ai vue rire, moi, sur des dentelles, sur les « Malines », les « Bruges », des finesses araignées, des petits nœuds, des raccords, ma mère, surfils, qu'elle se crevait les yeux... ça devenait des dessus-de-lit immenses, de ces paradis à coquettes, de ces gracieusetés de dessin... de ces filigranes de joliesse... que personne maintenant comprend plus !... c'est en allé avec l'Époque... c'était trop léger... la Belle !... c'était des musiques sans notes, sans bruit... pour l'ouvrière c'était ses yeux... ma mère c'est ainsi... elle était aveugle pour finir... soixante ans sur les dentelles !... J'ai hérité de ses yeux fragiles, tout me fait pleurer, le gris, le rouge, le froid... J'écris à grand- peine... oh, mais je dormirai aussi moi ! ça viendra le moment du repos !... J'aurai mérité... « Indigne ! » plus qu'indigne ! traître ! patati ! personne m'empêchera ma mort ! Saisi ! tout ! Dodo ! Je gagne ! 

Je voudrais bien un « laissez-passer » pour le Père-Lachaise, aller voir la dalle, le nom... 


En somme votre avis, le bon sens, la raison, c'est que mes jours doivent finir ici ? Mes jours ! demi-jour ! quart de jour !... Ah je fais front ! Ah, je vous emmerde ! Voyez ma rébellion ouverte ! mes responsabilités ? mes devoirs ? J'ai Bébert, j'ai Arlette dehors ! j'ai cinq petits-enfants au Bois ! J'ai ma maman que j'ai pas revue, mon père Fernand à côté d'elle, je laisse rien en route moi Monsieur ! ni un soldat, ni un malade, ni une amante, ni un souci, ni un mort ! 


***La tombe Guillou/Destouches du Père Lachaise est Division 63, avenue de l'Ouest, 3e ligne… près de la petite entrée du cimetière à côté de la station de métro éponyme.



Louis, neuf ans, entouré de ses parents, Marguerite Guillou et Fernand Destouches, en 1903


Marguerite Louise Céline GUILLOU

Née le 10 septembre 1868 - 83 rue des Amandiers - Paris, 75020

Décédée le 8 mars 1945 - 4 rue des Martyrs - Paris, 75009

à l'âge de 76 ans

Commerce de dentelles et guipures à la main.

Fille de Jacques Julien GUILLOU, né le 6 avril 1847 à Paris, décédé le 10 décembre 1879 - 56 rue aux Ours - Paris, 75002 

à l'âge de 32 ans, Soudeur sur cuivre, Brocanteur 

Et de Céline Victoire LESJEAN, née le 7 mai 1847 - Paris, décédée le 28 décembre 1904 - 52 rue Saint Georges - Paris, 75000 

à l'âge de 57 ans

Marchande brocanteuse, piqueuse de bottines, commerçante d'antiquités, dentelles et porcelaines

Ses parents se sont mariés le 22 août 1868 à Paris.