lundi 4 novembre 2019

LA PREMIÈRE TRADUCTION DE CÉLINE A ÉTÉ TCHÈQUE

LA PREMIÈRE TRADUCTION DE CÉLINE A ÉTÉ TCHÈQUE

par Václav Richter 13-05-2008
Il y a 75 ans, la première traduction du roman Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline paraissait en Tchécoslovaquie, provoquant une vive réaction dans les milieux culturels. 
C’est pour évoquer cette «entrée fracassante » de Céline dans le monde littéraire tchèque mais aussi pour rendre hommage à sa traductrice actuelle, Anna Kareninová, que l’Institut français de Prague et la Revolver revue, dont le 70e numéro est consacré à cet écrivain, ont organisé, lundi, une soirée littéraire. Plusieurs personnalités mais aussi des documents filmés ont évoqué la vie et l’œuvre de l’écrivain qui, longtemps après sa mort, ne cesse de provoquer, de diviser et d’inquiéter. Parmi les intervenants, il y avait aussi Alice Stašková, membre du bureau de la Société des études céliniennes, qui a résumé pour Radio Prague la réception de l’œuvre de Céline dans le milieu tchèque :
 «Il faut d’abord souligner qu’il s’agit d’une réception d’une telle intensité qu’elle est vraiment comparable avec celle de son pays d’origine, ce qui est, en comparaison par exemple avec l’Allemagne, une affaire vraiment considérable. Dans l’Entre-Deux-Guerres la réception est particulièrement profonde et l’on voit même le fait que les avis sur l’oeuvre et la vision du monde que donne Céline dans ses premier et deuxième romans, divise jusqu’à la rédaction d’un même journal. C’est un phénomène qu’on rencontre en France en même temps. Après la Deuxième Guerre mondiale et 1948, l’œuvre de Céline est indésirable en Tchécoslovaquie comme d’ailleurs aussi en République démocratique allemande. Ce n’est qu’après 1989 qu’on voit un ressort de réception remarquable de l’œuvre célinienne due aux traductions extraordinaires d’Anna Kareninová. On peut résumer donc que l’œuvre de Céline a eu de la chance en ce qui concerne les traducteurs tchèques, dans l’Entre-Deux-Guerres c’était l’un des meilleurs traducteurs de l’époque, Jaroslav Zaorálek, et, après 1989, Anna Kareninová.» 
Quelles ont été donc les premières réactions tchèques à la parution de Voyage au bout de la nuit, roman considéré souvent comme diabolique, infernal ? 
 «Le premier qui a introduit Voyage au bout de la nuit dans le milieu tchèque était un écrivain d’origine juive, Richard Weiner, qui était correspondant parisien du journal tchèque Lidové noviny. Il a écrit à l’époque, lors de l’affaire Goncourt: "Il s’agit d’une immense affaire de démolition". Sa description ainsi que son intuition pour l’immense grandeur littéraire de Céline ont été vraiment à l’origine de la réception de Céline en Tchécoslovaquie. (…) On peut très bien dire, ce qui est une chose assez particulière, que c’étaient tout de suite des personnages de premier rang de la vie culturelle qui se sont occupés de Céline. Comme c’était le cas aussi en France, l’œuvre de Céline, sa vision du monde et son style ont divisé le pays en deux camps politiques. Il a été assez bien accueilli par la gauche, comme en France. Il a été très bien accueilli également par le "prince" de la critique tchèque, František Xaver Šalda. Celui-ci lui a consacré une étude qui mérite d’être lue encore aujourd’hui. Par contre, il y a eu une réaction plutôt ambiguë de l’écrivain Karel Čapek, personnage dominant la scène culturelle tchèque qui a pris une position, je dirais, d’un bien-pensant et du sens commun. L’écrivain a recommandé à Céline, dans lequel il voyait un philanthrope ayant honte de son amour pour les misérables, d’aller voir un médecin des âmes humaines pour trouver une issue. Donc, les réactions ont été très partagées, et pourtant aussi différenciées qu’on puisse dire pour qu’elles soient intéressantes.» 
Le roman Voyage au bout de la nuit s’est-il heurté à la censure ? A-t-il été publié dans son intégralité ? 
 «Oui, en ce qui concerne Voyage au bout de la nuit. Le roman Mort à crédit suivait l’édition de Denoël qui déjà était tronquée, donc il y avait des blancs.»