jeudi 1 décembre 2016

Céline vu par Robert Brasillach

En relisant le numéro 10 (1964) des Cahiers des Amis de Robert Brasillach, je suis tombé sur ce texte…

En page 151 de son admirable étude célinienne parue dans La Bibliothèque idéale (Céline de Marc Hanrez), l'auteur remarque avec pertinence : «… à proprement parler, Céline est rebelle à tout ordre (qui ne fût pas le sien propre et spontané), donc à tout classement. Robert Brasillach, j'estime, a été le premier à comprendre la nature de son génie. Il n'a pas cherché à le caser quelque part, mais s'est borné à souligner la parenté qui existe entre son œuvre et la littérature européenne du XVIIIe siècle.»
Nous savions que Léon Daudet, au style volontiers truculent et à la saveur presque célinienne, avait découvert et lancé l'auteur de Mort à crédit, mais il est bon de rappeler que Robert Brasillach, qui avait la prescience des valeurs littéraires et humaines, et qui par ailleurs semblait fort éloigné de l'abondance verbale du docteur Destouches ait pu reconnaître, jeune encore, la grandeur et le talent extraordinaire de Céline.
Marc Hanrez cite un texte magnifique où Robert Brasillach explique en quoi consiste l'originalité de Céline :
« C'est par le vocabulaire que le Voyage a surpris. L'argot s'y déverse avec une abondance qui choqua. Aujourd'hui que Céline est allé beaucoup plus loin dans cette voie, le langage de son premier roman nous paraît presque classique. C'est que la syntaxe aussi y est plus proche du français littéraire, elle y est plus variée, alors que dans les œuvres qui ont suivi, avec des phrases courtes, séparées par de sempiternels points de suspension, elle est d'une monotonie et d'une simplicité qui confondent parfois. Ajoutons que tout est clair dans le Voyage : peu de mots inventés, ou déformés qui abondent ailleurs et dont l'invention, souvent splendide, est aussi quelquefois inutile et abusive. Point d'épisodes saugrenus, d'un surréalisme à la canaille, point de petits ballets macabres et de fantaisie débridée comme dans Bagatelles, point de ces pages pleines de points d'exclamation et de danses du scalp un peu hystériques, qui, selon l'humeur, éblouissent ou déconcertent, comme il arrive dès Mort à Crédit, roman souvent extraordinaire et souvent épuisant, qui ne me paraît pas valoir le Voyage
L'argot est ici utilisé, avec ses raccourcis, ses mots, son naturel, mais dans un cadre plus châtié. Et, disons-le tout net : la réussite est beaucoup plus saisissante. Qu'on fasse l'expérience, et qu'on relise le Voyage : on aura l'impression un peu surprenante d'aborder un texte classique, où rien ne vous surprend dès l'abord, où tout est à la fois, dur et ténébreux. C'est la façon de vieillir qu'ont les grandes œuvres.»

Robert Brasillach Les Quatre jeudis 1944 (pp 225-226) cité par Marc Hanrez dans son Céline.

Robert Brasillach (de face) et, à gauche, Maurice Bardèche, dans les tranchées de la cité Universitaire à Madrid en 1938.