samedi 15 juin 2019

La virulente polémique de Céline par Dominique Venner

Un samouraï d’Occident, Le Bréviaire des insoumis
de Dominique Venner, Editions Pierre Guillaume de Roux,2013 
La virulente polémique de Céline

Considéré comme le plus grand écrivain français du XXe siècle, rénovateur de la langue et du style, habité par une sorte de délire prophétique, Louis-Ferdinand Destouches, Céline en littérature, constitue un autre exemple de radicale insoumission. Gravement blessé au cours des premiers combats de 1914, il fut décoré et réformé. Ayant entrepris des études de médecine, il soutint sa thèse en 1924 sur la vie et l'œuvre du Dr Semmelweis. Entré au Service d'hygiène de la S.D.N., il fut envoyé en mission aux U.S.A., en Europe et en Afrique jusqu'en 1927. Cinq ans plus tard, il publiait Voyage au bout de la nuit, salué aussitôt comme une œuvre littéraire capitale. Tout comme Léon Daudet dans L'Action française, l'intelligentsia de gauche réserva un accueil chaleureux à un auteur qui semblait lui appartenir, mais l'écrivain-médecin était rétif à tout embrigadement. La publication de Mea culpa (1936), après un voyage en u.R.S.S., montra qu'il n'avait pas été dupe du paradis soviétique. Ce livre consomma son divorce avec une gauche que dominaient les communistes.
Sentant venir une nouvelle guerre, Céline en attribua la responsabilité à une conspiration juive. Coup sur coup, il publia deux pamphlets qui le firent soudain apparaître comme un antisémite enragé : Bagatelle pour un massacre (1937) et L'École des cadavres (1938). Vitupérant la guerre et les charniers à venir, il dénonçait à sa façon «la coalition du capitalisme anglo-saxon, du stalinisme et du lobby juif» dont l'objectif (selon lui) était d'envoyer au massacre la jeunesse française en une guerre franco-allemande où elle-même n'interviendrait pas avant l'épuisement des combattants sacrifiés*.
Dans un genre assez différent, Céline publia en 1941 un nouveau pamphlet, Les Beaux Draps, sans doute la seule de ses œuvres qu'illumine un léger halo d'espérance. À côté d'une célèbre tirade sur le «communisme Labiche », il livrait une méditation poétique sur l'esprit de la France, écrite dans le style des ballades et des virelais du XVe siècle, non sans quelques coups de patte fort injustes donnés à Montaigne. Ce curieux livre, où l'antisémitisme, quoique présent, est assez estompé, délivrait cette fois un message furibard à l'encontre de la prédication chrétienne, ultime recours du régime de Vichy qu'il méprisait: «Propagée aux races viriles, aux races aryennes détestées, la religion de "Pierre et Paul" fit admirablement son œuvre, elle décatit en mandigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race ... Ainsi la triste vérité, l'aryen n'a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre de religion blanche ... Ce qu'il adore, son coeur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis .. .» Dans un langage différent, Nietzsche n'avait pas dit autre chose.
L'ouvrage fut interdit par les services de Vichy en zone Sud et suscita les plus vives réserves de la Propaganda Abteilung ...


* Pierre Monnier, « Céline et les têtes molles", Bulletin célinien, Bruxelles, 1998