samedi 29 octobre 2016

Céline à visage humain


Dieu qu'ils étaient lourds.. ! avec Marc-Henri Lamande et en alternance Ludovic LONGELIN et Régis BOURGADE

Un article plutôt bien tourné, publié dans Le Monde !

CELINE À VISAGE HUMAIN
dans Dieu qu'ils étaient lourds... ! 
par EVELYNE TRAN, THEATRE AU VENT
Au Théâtre du lucernaire avec Marc-Henri LAMANDE

Je viens d’assister pour la troisième fois à la représentation de Dieu qu’ils étaient lourds... ! Un spectacle conçu comme une entrevue avec le célèbre écrivain CÉLINE, interviewé à la radio par un journaliste, à la fin des années cinquante.

Ce qui stupéfie tout d’abord, c’est l’incroyable résonance actuelle des propos de cet homme, de sorte que si nous devions le retrouver à la sortie du théâtre pour lui dire un mot ou simplement lui manifester notre présence, nous ne serions pas étonnés.
Le journaliste qui représente les médias, censés informer la foule des humains, ou des lecteurs dont se moque Céline, aurait pu devenir un personnage de roman, pêcheur, sans d’autre hameçon que quelques questions affligeantes, témoignant de l’extraordinaire décalage entre l’univers d’un artiste, un travailleur de mots, et les profanes qui ne comprennent pas que sortie de son contexte, la littérature devient un cygne noir, ou l’Albatros de Baudelaire, en ces vers :
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Pourtant, nous avons beau avoir les oreilles bourdonnantes d’actualités malignes, il nous arrive parfois de rentrer dans un musée, à la recherche de beautés, d’émotions, qui nous permettent d’échapper, un moment, au quotidien. Ce spectacle c’est un peu comme si vous entriez dans l’atelier d’un écrivain, l’atelier de sa création. Les propos de Céline nous font comprendre qu’un écrivain n’est pas autre chose qu’un artisan des mots, proche d’un forgeron, d’un menuisier, d’un peintre.
Alors évidemment, lorsque le journaliste se fait l’écho de certains lecteurs qui s’indignent du langage cru de Céline, comment ne pas applaudir intérieurement Céline qui affirme : « je suis un être très raffiné », en évoquant sa mère qui était dentellière.
Le journaliste se fait aussi l’écho des personnes qui reprochent à Céline, ses antécédents antisémites. La question du mal est posée, comme une gifle. Se peut-il que le mal avec un grand M se trouve chez cet homme Céline, qui raconte sa vie devant nous, un peu, comme dans un rêve. Peut-on se complaire dans le mal ? La haine est pathologique. Les hommes sont destructeurs, pense Céline, sinon ils ne feraient pas la guerre. La souffrance, dit-il, rend les gens méchants. De tels propos dans la bouche d’un homme, se déclarant l’ennemi du genre humain. En disent long sur les affres de la psyché. Céline qui vient de faire deux ans de prison et qui n’est pas sorti de la misère, répond qu’il a payé, qu’il a été dépassé, qu’il aurait dû se taire. Mais c’est désormais un homme à bout, qui ne peut plus se déchainer.
Le spectateur, le lecteur de journaux à sensation fonctionnent comme des voyeurs, ils recherchent le mal, mais est-ce vraiment pour l’extirper d’eux-mêmes, ou simplement pour se rassurer en disant : il est là, on va pouvoir l’anéantir, le supprimer, et nous serons saufs, nous serons lavés de toutes nos souillures.
Cependant, le journaliste ne joue pas le rôle de juge, il ne fait que poser les questions. Céline les accepte, mais n’y répond pas. Sans doute parce que le journaliste et lui ne parlent pas la même langue. À l’heure où nous l’écoutons, il s’est retranché derrière la seule chose qui ait compté pour lui, son travail. En substance, il dit qu’il n’avait pas d’autre prétention que d’être médecin et écrivain, que le reste de sa vie ne représente que « des turpitudes qu’un peu de sable efface »
Il s’agit du portrait d’un homme au seuil de sa vie, qui nous touche à cause d’une sorte de passion qui l’anime, indéfinissable et rayonnante.


Le comédien poète Marc-Henri Lamande, également artisan de mots, fait si bien étinceler la langue de Céline, ses aphorismes, ses exclamations, ses emportements qu’à la fin de la représentation, nous nous interrogeons encore sur cet homme qui a tant vécu, étrange, humble, violent et fascinant à la fois.

Le spectacle, intimement orchestré par le metteur en scène Ludovic LONGEVIN, est construit un peu comme une symphonie, portée juste par la faconde de Céline, qui donne l’impression de ne pas se prendre au sérieux. Il est vrai « qu’il envoyait chier tout le monde » sans distinction.
Dans ce spectacle, il ne s’agit pas de débattre pour ou contre Céline. Il s’agit d’écouter un homme, un écrivain. Il parait qu’il a écrit « Voyage au bout de la nuit ». C’est un livre qui mérite le détour comme ce spectacle surprenant qui nous conduit dans les chantiers de la création, aussi simplement et justement que si nous devions gravir une échelle pour toucher le jour.

Le 23 Mai 2011, Evelyne Trân


Dieu qu'ils étaient lourds.. ! avec Marc-Henri Lamande et en alternance Ludovic LONGELIN et Régis BOURGADE
Conception, adaptation, mise en scène de Ludovic LONGELIN
THEATRE DU LUCERNAIRE 53, rue Notre Dame des Champs 75006 PARIS du 4 Mai au 23 Juillet 2011 le Dimanche à 17 h jusqu’au 19 Juin 2011

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