Trouvé dans une relique de poche – Voyage au bout de la nuit – un article de journal (lequel ? Mystère !) dans lequel Matzneff avoue que les livres de Céline lui « tombent des mains ».
Pour l’amour de Céline
Par Gabriel Matzneff
Cette semaine, je voulais écrire un bel article sur l’amour : chaque mois de mars, j’écris un article sur l’amour, c’est la règle. Le malheur a fait que j’ai acheté Le Nouvel observateur, le fameux hebdomadaire de gauche, et que j’y ai lu, sous la plume de Louis-Ferdinand Céline, l’écrivain de gauche bien connu, cette phrase définitive : « L’amour n’est pas un propos d’homme. C’est une formule niaise de gonzesse ».
Étant moi-même un parfait homme de gauche, c’est-à-dire bête et discipliné, je pense toujours ce qu’on me commande de penser. La mort dans l’âme, j’ai donc rengainé mon article, peu soucieux d’imiter ces niais et ces gonzesses qui s’appellent Virgile, Racine, Proust… Grâce à Dieu, nous avons Louis-Ferdinand pour nous dire sur quoi il est licite d’écrire.
«lorsque Céline anathématise l’amour, ce n’est pas l’amour qui en sort diminué, c’est Céline qui se couvre de ridicule.»
Soyons sérieux. Je rends hommage à la ténacité de Dominique de Roux, qui se promène en Europe à la recherche de textes inédits de Céline, mais j’attire son attention sur les dangers du posthumat. Si l’on admire un écrivain, et si l’on veut faire partager cette admiration, il ne faut pas publier de lui n’importe quoi. Ce n’est pas parce que la Correspondance de Flaubert est un merveilleux chef-d’œuvre que l’on peut recommencer ce petit jeu avec tout le monde. Il y a certaines sottises qu’il est préférable de ne pas jeter en pâture à la postérité : lorsque Céline anathématise l’amour, ce n’est pas l’amour qui en sort diminué, c’est Céline qui se couvre de ridicule.
«ses livres me tombent des mains»
Cela dit, j’avoue que Céline est pour moi une impossibilité. Plusieurs de mes amis étant ses admirateurs passionnés, j’ai essayé à diverses reprises de le lire, mais j’ai dû à chaque fois y renoncer : ses livres me tombent des mains. Cette cascade de hoquets et de trépignements, cette incroyable ponctuation, tout cela fatigue l’œil, lasse l’attention et très vite exaspère : après trente pages, je suis mûr pour le cachet d’aspirine et la compresse d’eau fraîche sur le front.
Célinien, ne bondissez pas : je ne nie pas le talent de votre grand homme. Simplement, pour ce qui me regarde, je déclare forfait. Et même si je vous accorde que Céline est un génie, vous devez à votre tour, m’accorder que ce qui n’a rien de génial, c’est la portée d’épigones qu’il a mis bas. Céline a rendu un mauvais service à la littérature en donnant à une foultitude de médiocres le sentiment que pour être écrivain il suffit de baisser culotte sur une feuille de papier. L’auteur du Voyage est peut-être le grand prosateur qu’un Blondin et qu’un Nimier tenaient pour un maître, il n’en est pas moins l’alibi de tous ceux qui croient pouvoir dissimuler leur manque de don littéraire, leur absence de style et de pensée, sous le fumier informe des balbutiements et des éructations.
Céline n’est pas un imposteur, mais c’est en partie grâce à lui qu’a commencé le règne de l’imposture qui, depuis une trentaine d’années, subjugue les lettres françaises. Un règne de l’imposture qui est aussi celui de la tristesse et de la laideur. Il est temps pour nous de secouer ce joug, d’ouvrir grand les fenêtres et de laisser entrer dans nos vies et dans nos livres le soleil et la joie. Vive Montaigne ! Vive Stendhal ! Et, n’en déplaise à ce pauvre Céline, vive l’amour ! G. M.
Céline, l’antisémite primé
J’aime quand on brandit Céline comme argument:
Mais le Renaudot qui vient d’être attribué а Matzneff n’a rien а voir. Il récompense un livre, un essai, qui contient des passages odieux sur la pédophilie.
Le Renaudot remis а Céline en 1932 pour Voyage au Bout de la Nuit ne couronnait pas un essai antisémite. Mais un roman, qui ne l’était pas. Et aucun doute n’existait sur l’idéologie de Céline, qui a été condamné par la justice française.
Par ailleurs, mais c’est un autre problème, Céline est indispensable а la littérature française. Gabriel Matzneff ne l’est pas.
Charlotte Pudlowski — 19 novembre 2013 Slate.fr
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