Dominique Venner, jette un éclairage neuf sur la période la plus dramatique et la plus discutée de notre histoire: Vichy et la Collaboration.
Mais qu’est-ce que la Collaboration? Pourquoi y trouve-t-on tant de soldats glorieux, Pétain, Darnand, Bucard, Paul Chack, Bassompierre ? Pourquoi tant d’écrivains fameux, Céline, Giono, Morand, Guitry, Montherlant, Chardonne, Pierre Benoit, Brasillach, Drieu la Rochelle?
Pourquoi les premiers partisans de la Collaboration venaient-ils de la gauche et du syndicalisme ? Pourquoi rencontre-t-on beaucoup plus de socialistes à Vichy que dans la Résistance ? Pourquoi le communiste Doriot, le socialiste Déat et le radical Bergery, espoirs de la gauche en 1933, sont-ils devenus les chefs de la Collaboration en 1943 ?
Mais qu’est-ce que la Collaboration? Pourquoi y trouve-t-on tant de soldats glorieux, Pétain, Darnand, Bucard, Paul Chack, Bassompierre ? Pourquoi tant d’écrivains fameux, Céline, Giono, Morand, Guitry, Montherlant, Chardonne, Pierre Benoit, Brasillach, Drieu la Rochelle?
Pourquoi les premiers partisans de la Collaboration venaient-ils de la gauche et du syndicalisme ? Pourquoi rencontre-t-on beaucoup plus de socialistes à Vichy que dans la Résistance ? Pourquoi le communiste Doriot, le socialiste Déat et le radical Bergery, espoirs de la gauche en 1933, sont-ils devenus les chefs de la Collaboration en 1943 ?
Histoire de la Collaboration Dominique Venner, Pygmalion 2000 |
CÉLINE, L’IDÉALISTE BLESSÉ
La prescience d’une décadence était forte chez Châteaubriant, mais sans jamais atteindre à la fureur apocalyptique d’un Céline, maudit beaucoup plus célèbre. Dans une large mesure, la violence des pamphlets antisémites a masqué ce que Céline avait en propre. Elle a déchaîné sur son nom des passions qui ont interdit une interprétation sereine de l’œuvre dans sa globalité. Pour les uns, son antisémitisme lui vaut d’être «un chien» suivant l’expression de Jacques Lanzmann. (Propos recueilli par le mensuel Informations juives de février 1987 : «Céline est pour moi l’un des plus grands criminels de l’histoire de France. Je le dis comme je le pense: Céline n’est pas un homme, mais un chien. »
Pour d’autres, qui prisent en lui le révolté, il est une sorte de drapeau. Enfin, toute une partie du public cultivé feint d’ignorer l’auteur maudit des pamphlets, concentrant son attention sur le créateur d’un style inimitable quoique très imité. Qu’il soit un artiste génial, la plupart des critiques en conviennent. L’un de ses biographes, Frédéric Vitoux, a su dire le choc que fut pour lui cette découverte: «J’avais dix-sept ans, j’étais en vacances et j’avais pris ce livre de poche un peu par hasard dans la bibliothèque familiale. […] Au dos, quelques lignes en fac-similé d’écriture: "L’un des cris les plus farouches que l’homme ait jamais poussés." Le titre de ce volume: Voyage au bout de la nuit. Et son auteur: Louis-Ferdinand Céline. Je ne connaissais ni l’un ni l’autre. Aucun professeur ne nous en avait parlé au lycée. Et mon père avait dû juger que cette lecture n’était pas de mon âge. J’ignorais donc que ce Louis-Ferdinand Céline venait de mourir le 1er juillet 1961. Les journaux, il est vrai, avaient observé un silence méthodique à cette occasion. Céline, bah ! quelle importance ! La disparition d’Ernest Hemingway le même jour, voilà une information, la "une" légitime des quotidiens et de la télévision! En somme, je pris ce roman en toute ignorance, en toute innocence. […] l’ignorais alors qu’il existe des livres qui peuvent vous bouleverser, vous marquer pour la vie. […] Je ne me suis jamais remis d’une telle lecture ou d’un tel voyage. » (Frédéric Vitoux, Le Figaro magazine, 7 septembre 1996. Frédéric Vitoux est l’auteur de La Vie de Céline, Grasset, Paris, 1988 et de Louis-Ferdinand Céline, misère et parole, Folio, Essais.
Le malheur voulut que le docteur Louis-Ferdinand Destouches, Céline en littérature, se mêlât aussi de dire ce qu’il pensait de son temps. II fut donc adulé, haï, insulté, encensé, incompris. Une part du mystère du personnage est éclairée par quelques lignes de Mea culpa (1937), accompagnant la reproduction de sa thèse de doctorat de médecine sur Philippe-Ignace Semmelweis (1924), médecin juif hongrois. Ecrite dans une langue très classique, notons en passant que cette défense et illustration de Semmelweis écorne quelque peu l’antisémitisme invétéré de Céline. On sait que les confrères viennois de Semmelweis ne lui avaient pardonné ni sa fierté cassante, ni ses découvertes sur la prophylaxie de la fièvre puerpérale. Ils le chassèrent de leur compagnie, l’acculant à la folie: «Supposez qu’aujourd’hui, de même, il survienne un autre innocent qui se mette à guérir le cancer. Il sait pas quel genre de musique on lui ferait tout de suite danser! […] Ah! il aurait bien plus d’afur à s’engager immédiatement dans une Légion étrangère! Rien n’est gratuit en ce bas monde. Tout s’expie, le bien comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément. » Voilà. Tout est dit de l’humaine nature et de l’idée noire que s’en fait Céline pour l’avoir observée de près, comme médecin des pauvres et des autres. « Le bien se paie beaucoup plus cher, forcément.» Son idéalisme ne s’est jamais remis de cette découverte. Les blessures de sa sensibilité finiront par sécréter les délires qui scandaliseront le glacial Ernst Jünger.
A l’origine, Céline est un médecin qui a cru en son art. La vie lui a appris à ne plus y croire. C’est aussi un homme qui a souffert, qui a vécu ce qu’il raconte dans le Voyage et dans Mort à crédit. II l’a dit: «Je m’y connais en vache enragée.» Derrière le burlesque de certaines situations, transparaît toujours l’hypersensibilité de l’écrivain, un don d’observation décuplé par l’usage de la langue parlée, l’argot lyrique. Ce qu’il doit dire est trop violent pour s’accommoder du français académique, une langue domestiquée par des siècles de polissage. Une langue dévirilisée, dépossédée de sa verdeur, de son pouvoir d’évocation. De tout cela, il est suprêmement conscient. Il l’a écrit noir sur blanc dans un hommage à Rabelais: « En vérité Rabelais, il a raté son coup. Oui, il a raté son coup. il a pas réussi. […] Non, ce n’est pas lui qui a gagné. C’est Amyot, le traducteur de Plutarque: il a eu dans les siècles qui suivirent beaucoup plus de succès que Rabelais. C’est sur lui, sur sa langue, qu’on vit encore aujourd’hui. Rabelais avait voulu faire passer la langue parlée dans la langue écrite: un échec. Tandis qu’Amyot, les gens maintenant veulent toujours et encore de l’Amyot, du style académique. Ça, c’est écrire de la merde: du langage figé. […] Non, la France peut plus comprendre Rabelais: elle est devenue précieuse. Ce qui est terrible à penser, c’est que ça aurait pu être le contraire, la langue de Rabelais aurait pu devenir la langue française. » (Préface à l’édition de Rabelais du Club du Livre, Paris, 1958) Et voilà exactement ce qu’il entreprend, lui, Céline, en plein XXe siècle. Un rêve fou. Redonner sa vigueur et sa vérité au français. Une idée qui va le conduire loin. Au désespoir et à la révolte.
Pour d’autres, qui prisent en lui le révolté, il est une sorte de drapeau. Enfin, toute une partie du public cultivé feint d’ignorer l’auteur maudit des pamphlets, concentrant son attention sur le créateur d’un style inimitable quoique très imité. Qu’il soit un artiste génial, la plupart des critiques en conviennent. L’un de ses biographes, Frédéric Vitoux, a su dire le choc que fut pour lui cette découverte: «J’avais dix-sept ans, j’étais en vacances et j’avais pris ce livre de poche un peu par hasard dans la bibliothèque familiale. […] Au dos, quelques lignes en fac-similé d’écriture: "L’un des cris les plus farouches que l’homme ait jamais poussés." Le titre de ce volume: Voyage au bout de la nuit. Et son auteur: Louis-Ferdinand Céline. Je ne connaissais ni l’un ni l’autre. Aucun professeur ne nous en avait parlé au lycée. Et mon père avait dû juger que cette lecture n’était pas de mon âge. J’ignorais donc que ce Louis-Ferdinand Céline venait de mourir le 1er juillet 1961. Les journaux, il est vrai, avaient observé un silence méthodique à cette occasion. Céline, bah ! quelle importance ! La disparition d’Ernest Hemingway le même jour, voilà une information, la "une" légitime des quotidiens et de la télévision! En somme, je pris ce roman en toute ignorance, en toute innocence. […] l’ignorais alors qu’il existe des livres qui peuvent vous bouleverser, vous marquer pour la vie. […] Je ne me suis jamais remis d’une telle lecture ou d’un tel voyage. » (Frédéric Vitoux, Le Figaro magazine, 7 septembre 1996. Frédéric Vitoux est l’auteur de La Vie de Céline, Grasset, Paris, 1988 et de Louis-Ferdinand Céline, misère et parole, Folio, Essais.
Le malheur voulut que le docteur Louis-Ferdinand Destouches, Céline en littérature, se mêlât aussi de dire ce qu’il pensait de son temps. II fut donc adulé, haï, insulté, encensé, incompris. Une part du mystère du personnage est éclairée par quelques lignes de Mea culpa (1937), accompagnant la reproduction de sa thèse de doctorat de médecine sur Philippe-Ignace Semmelweis (1924), médecin juif hongrois. Ecrite dans une langue très classique, notons en passant que cette défense et illustration de Semmelweis écorne quelque peu l’antisémitisme invétéré de Céline. On sait que les confrères viennois de Semmelweis ne lui avaient pardonné ni sa fierté cassante, ni ses découvertes sur la prophylaxie de la fièvre puerpérale. Ils le chassèrent de leur compagnie, l’acculant à la folie: «Supposez qu’aujourd’hui, de même, il survienne un autre innocent qui se mette à guérir le cancer. Il sait pas quel genre de musique on lui ferait tout de suite danser! […] Ah! il aurait bien plus d’afur à s’engager immédiatement dans une Légion étrangère! Rien n’est gratuit en ce bas monde. Tout s’expie, le bien comme le mal, se paie tôt ou tard. Le bien c’est beaucoup plus cher, forcément. » Voilà. Tout est dit de l’humaine nature et de l’idée noire que s’en fait Céline pour l’avoir observée de près, comme médecin des pauvres et des autres. « Le bien se paie beaucoup plus cher, forcément.» Son idéalisme ne s’est jamais remis de cette découverte. Les blessures de sa sensibilité finiront par sécréter les délires qui scandaliseront le glacial Ernst Jünger.
A l’origine, Céline est un médecin qui a cru en son art. La vie lui a appris à ne plus y croire. C’est aussi un homme qui a souffert, qui a vécu ce qu’il raconte dans le Voyage et dans Mort à crédit. II l’a dit: «Je m’y connais en vache enragée.» Derrière le burlesque de certaines situations, transparaît toujours l’hypersensibilité de l’écrivain, un don d’observation décuplé par l’usage de la langue parlée, l’argot lyrique. Ce qu’il doit dire est trop violent pour s’accommoder du français académique, une langue domestiquée par des siècles de polissage. Une langue dévirilisée, dépossédée de sa verdeur, de son pouvoir d’évocation. De tout cela, il est suprêmement conscient. Il l’a écrit noir sur blanc dans un hommage à Rabelais: « En vérité Rabelais, il a raté son coup. Oui, il a raté son coup. il a pas réussi. […] Non, ce n’est pas lui qui a gagné. C’est Amyot, le traducteur de Plutarque: il a eu dans les siècles qui suivirent beaucoup plus de succès que Rabelais. C’est sur lui, sur sa langue, qu’on vit encore aujourd’hui. Rabelais avait voulu faire passer la langue parlée dans la langue écrite: un échec. Tandis qu’Amyot, les gens maintenant veulent toujours et encore de l’Amyot, du style académique. Ça, c’est écrire de la merde: du langage figé. […] Non, la France peut plus comprendre Rabelais: elle est devenue précieuse. Ce qui est terrible à penser, c’est que ça aurait pu être le contraire, la langue de Rabelais aurait pu devenir la langue française. » (Préface à l’édition de Rabelais du Club du Livre, Paris, 1958) Et voilà exactement ce qu’il entreprend, lui, Céline, en plein XXe siècle. Un rêve fou. Redonner sa vigueur et sa vérité au français. Une idée qui va le conduire loin. Au désespoir et à la révolte.
LE COMMUNISME LABICHE
De la réflexion sur la noirceur de la vie et sur la décadence de la langue, il passe à la réflexion sur la France. il n’y a pas plus amoureux de la France que lui, donc pas plus déçu, désespéré. Sa malchance est de vivre dans une France qui n’est que la caricature grimaçante et dérisoire de sa splendeur passée. Un pays qui se défait, atomisé en individualismes aigris. Tout se dérobe sous ses pieds. De l’ancienne France, ne subsistent que ruines. Le beau royaume est devenu ce pays étriqué, peuplé de petits bourgeois envieux et discutailleurs. Glissant de la Sorbonne à l’école, le rationalisme a stérilisé la France, transformé les enfants en vieillards. «Regardez les petits enfants, les premières années…. ils sont tout charme, tout poésie, tout espiègle guilletterie…. A partir de dix, douze ans, finie la magie de primesaut ! mués louches, sournois butés cancres, petits drôles plus approchables, assommants, pervers grimaciers, garçons et filles ragoteux, crispés, stupides, comme papa maman. Une faillite! Presque déjà parfaits vieillards à l’âge de douze ans! Une culbute des étoiles en nos décombres et nos fanges! Un désastre de féerie […] Dressés tout de suite en force, sonnés d’emblée, dès l’école, la grande mutilante de la jeunesse, l’école leur aura coupé les ailes au lieu de leur ouvrir toutes grandes et plus grandes encore ! » (Les beaux draps, Nouvelles Editions françaises, 1941, p. 160.)
Et pourtant, il lui arrive - rarement - une seule fois même, dans le pamphlet de 1941, Les beaux draps, d’imaginer un remède de vétérinaire. Le seul remède à ses yeux, un socialisme raciste, ce qu’il appelle drôlement le «communisme Labiche» et qu’il oppose à la très plate Révolution nationale de Vichy: « Je crois à un autre code de la Famille […]. Un vrai code, qui comprenne tout, bêtes, biens et gens, enfants et vieillards de France dans la même famille, les Juifs exclus bien entendu, une seule famille, un seul papa, dictateur et respecté. Une famille donc respectable où il y aurait plus du tout de bâtards, de cendrillons, de poil de carotte, de bagnes d’enfants, "d’Assistance", où la soupe serait la même pour tous, où il y aurait pas d’enfants chouchous, d’enfants de riches, des tout dodus et les petits maigres, des qui s’amusent, d’autres qui la pilent. […] Tout le monde à la même école! Les familles réunies, en somme, toutes les familles dans une seule, avec égalité des ressources, de droit, de fraternité, tout le monde au salaire national, dans les 150 francs par jour maximum […]. Faut recréer tout? alors parfait! Mais […] faut recommencer tout de l’enfance, par l’enfance, pour tous les enfants. C’est par là que le racisme commence et le vrai communisme aussi, à l’enfance et pas ailleurs, par la gentillesse unanime, l’envie que toute la famille soit belle, saine, vivace, aryenne, pure, rédemptrice, allégrante de beauté, de force, pas seulement votre petite famille, vos deux, trois, quatre mômes à vous, mais toute la famille bien française […] Racisme, c’est famille, famille c’est égalité, c’est tous pour un et un pour tous. […] A sort commun pas de bâtards, pas de réprouvés, pas de puants, dans la même nation, la même race, pas de gâtés non plus, de petits maîtres. Plus d’exploitation de l’homme par l’homme. Plus de damnés de la terre. […] Le marxisme est bien emmerdé, on lui secoue son atout majeur: le cœur froid des hommes.» (Les beaux draps).
GAITÉ SEULE NOUS SAUVERA
Le docteur Louis-Ferdinand Destouches est né à Courbevoie le 27 mai 1894. Céline était le prénom de sa mère. Service militaire assez sinistre qui commence en 1912 au 12e régiment de cuirassiers. En 1914, à cheval et portant cuirasse, il est blessé au cours des premiers combats, ce qui lui vaut la une (en réalité la 4e, ndlr) de L’Illustré national, la médaille militaire et une décision de réforme en 1915. Après des études de médecine, il soutient sa thèse en 1924 sur la vie et l’œuvre du Dr Semmelweis, nous y avons fait allusion. Entré au Service d’hygiène de la SDN, il est envoyé en mission aux USA, en Europe et en Afrique jusqu’en 1927. Cinq ans plus tard, en 1932, il publie Voyage au bout de la nuit, salué aussitôt comme une œuvre littéraire capitale. Léon Daudet écrit: « il n’existe pas dans notre littérature, depuis Ménippée et les poèmes d’Agrippa d’Aubigné, de pareil hurlement de colère répercuté par les échos d’une syntaxe parlée, musclée, gaillarde et nue comme une fille du grand Courbet. » Et plus loin: « Proust est le Balzac du papotage…. de là, une certaine fatigue dont Monsieur Céline va libérer sa génération… »
(Sur Céline, outre ses propres œuvres et les pamphlets non disponibles en librairie, on peut se reporter aux Lettres des années noires, présentées par Philippe Alméras, Berg International, 1994. Parmi les nombreuses études biographiques citées dans la bibliographie générale de ce livre, on consultera notamment François Gibault, Céline, 1894-1961, 3 volumes, Mercure de France, Paris, 1981-1985.)
L’intelligentsia de gauche se reconnaît dans le tableau sombre de la guerre et de la société du Voyage et de Mort à crédit. Mais l’écrivain-médecin est rétif à tout embrigadement. La publication de Mea culpa (1936), après l’inévitable voyage en URSS, montre qu’il n’a pas été dupe. Ce livre consomme son divorce avec la gauche philo soviétique. Sentant venir une nouvelle guerre, il en attribue la responsabilité à une conspiration juive. Coup sur coup, il publie deux pamphlets délirants qui le font soudain apparaître comme un antisémite enragé: Bagatelles pour un massacre (1937), L’Ecole des cadavres (1938). Le premier des deux paraît avec une bande: «Pour bien rire dans les tranchées.» Difficile d’être plus clair. Vitupérant la guerre et les chamiers à venir, il dénonce à sa façon « la coalition du capitalisme anglo-saxon, du stalinisme et du lobby juif dont l’objectif (selon lui) est d’envoyer au massacre la jeunesse française en une guerre franco-allemande, où elle-même n’interviendra pas avant l’épuisement des combattants sacrifiés » (Pierre Monnier, Céline et les têtes molles, Bulletin célinien, Bruxelles, 1998).
Dans un genre assez différent, Céline publie en 1941 un nouveau pamphlet, Les beaux draps, déjà évoqué. Sans doute la seule de ses œuvres qu’illumine un halo léger d’espérance. A côté de la fameuse tirade sur le «communisme Labiche» qu’on aurait tort de prendre à la légère, il livre une méditation poétique sur l’esprit de la France, écrite dans le style du XVe, non sans quelques coups de patte fort injustes à l’encontre de Montaigne: «Je veux des chants et des danses…. Je ne me soucie de raison…. Qu’ai-je faire d’intelligence, de pertinence? de dessein? n’en ai point! […] Que me fout M. Ben Montaigne prêchiprêcha, madré rabin ?…. Il n’est point la joie que je cherche, fraîche, coquine, espiègle, émue... Combien à lui je préfère... Couperin du "Coucou"…. Christine des virelais…. Gervaise des branles!…. Je voudrais mourir de rire, mais légèrement... Bellay m’est plus cher que Racine pour deux ou trois vers…. […] Je n’ai point besoin de sermons, mais de délivrance légère et tous ceux de mon sang de même […] Gaîté seule nous sauvera, non point l’usine! ni plan de ceci, ni cela, ni grognonnages de balourds, ni stratagèmes de ruffians mâtinés cuistres […]. Choyons, fêtons notre musique nôtre ! qui nous fera voguer jolis pardessus les horreurs du Temps d’un bel et frais et preste essor (Les beaux draps op. cit.,p.128-131) ». Ce curieux livre, où l’antisémitisme, quoique présent, est secondaire, témoigne des sentiments de Céline au tournant de 1940-1941, quand l’avenir, pour une fois, ne lui semble pas complètement noir. La colère du pamphlétaire inspiré s’exprime, furibarde, mais ici contre la prédication chrétienne, ultime recours de Vichy: «Propagée aux races viriles, aux races aryennes détestées, la religion de "Pierre et Paul" fit admirablement son œuvre, elle décatit en mendigots, en sous-hommes dès le berceau, les peuples soumis, les hordes enivrées de littérature christianique, lancées éperdues imbéciles, à la conquête du Saint Suaire, des hosties magiques, délaissant à jamais leurs Dieux, leurs religions exaltantes, leurs Dieux de sang, leurs Dieux de race…. Ainsi la triste vérité, l’aryen n’a jamais su aimer, aduler que le dieu des autres, jamais eu de religion propre, de religion blanche…. Ce qu’il adore, son cœur, sa foi, lui furent fournis de toutes pièces par ses pires ennemis…. » L’ouvrage est interdit par les services de Vichy en zone Sud et suscite de vives réserves à la Propaganda Abteilung.
UN EXÉGÈTE ET ADMIRATEUR JUIF DU PROPHÈTE ANTISÉMITE
L’un des exégètes les plus méconnus de Céline fut un résistant juif, Choron-Gourewitz. En pleine tourmente, ce combattant sioniste osa affronter sans répulsion l’antisémitisme de l’écrivain, interprétant l’ensemble de l’œuvre comme révélatrice des fractures de la modernité. «Céline, symbole d’un monde qui disparaît, est aussi un des signes avant-coureurs d’un monde qui vient. L’œuvre de Céline est le document le plus étonnant de cette époque, sa personnalité aussi. Elle résume à elle seule tout le drame historique qui se joue; elle est une fin et un commencement. […] Résumer Céline, c’est résumer son époque. Comprendre Céline, c’est comprendre un pays, son pays: la France. Jamais un homme à lui seul n’a aussi bien symbolisé tout le drame humain et tout le drame d’un pays. » (Choron-Gourewitz, revue Shem, organe du Mouvement national hébreu, août 1944 (article reproduit dans la revue Vouloir, octobre 1993). Quel est le drame de l’époque et le drame de la France selon Choron-Gourewitz ? «Nous sommes souvent d’accord avec Céline quand il dénonce le judaïsme comme un mal, comme un mode de vie basé sur de fausses valeurs. […] Comme les Juifs, Céline est un isolé, un homme de nulle part, qui n’a plus rien à quoi se rattacher. Le judaïsme dispersé ne crée que des hommes négatifs, hâbleurs, stériles (En sioniste conséquent, Choron-Gourewitz critique le judaïsme de la diaspora). Le judaïsme dispersé est le mode de vie d’une société décadente et déchue. Céline sent la décadence des civilisations occidentales dites gréco-gallo-romaines; il sent l’avenir "juif" qu’annonce cette décadence; il en a peur. Il reconnaît dans cette dissociation des sociétés blanches la grande peur primitive, la peur de la solitude. li a vu les Juifs de près; il les connaît, il sait qu’ils ne sont pas de son bord, mais que toute cette chute, cette perte d’énergie virile précipitera vers eux le monde occidental. Et c’est alors le grand cri de révolte du Céline antisémite.»
Contrairement à une légende tenace, les ouvrages de Céline n’ont jamais été accueillis favorablement dans l’Allemagne nazie. Après diverses péripéties, une traduction allemande du Voyage a été publiée en 1933 par un petit éditeur (qualifié de juif par Céline), Julius Kittls Nachf, installé en Tchécoslovaquie depuis 1928. Tandis que les critiques antinazis se montrent plutôt favorables au livre, notamment Max Brod, la critique officielle du IIIe Reich l’ignore complètement, sinon pour en tirer argument contre la « décadence française» dont le livre serait l’illustration. En 1937, le même éditeur publie coup sur coup des traductions de Mort à crédit et de Mea culpa qui sont également ignorées par la presse allemande. Mieux, en 1938, le Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit figurent sur la liste des ouvrages interdits de diffusion sur le territoire du Reich. Interdit qui ne sera jamais levé, soulignons-le. On ne s’attardera donc pas aux affirmations fantaisistes de certains auteurs assurant que le Voyage aurait été réédité en Allemagne en 1940, ou que tel livre de Céline aurait été traduit pendant l’Occupation. Tout cela est faux. Un seul livre, Bagatelles pour un massacre, fait l’objet, non d’une traduction, mais d’une calamiteuse adaptation, en 1938, aux éditions Zwinger de Dresde, sous le titre Die Judenverschworung in Frankreich (Le complot juif en France). Les erreurs et les contresens abondent dans ce texte amputé d’un quart de sa longueur et complètement remanié. Dans son étude sur le sujet, Alain de Benoist signale les nombreuses erreurs commises par divers auteurs qui attribuent au parti ou à la SS la paternité de cette fausse «traduction». (Alain de Benoist, Céline et l’Allemagne, 1933-1945, ouvrage publié par Le Bulletin célinien, Bruxelles. 1997)
Les calomnies de Jean-Paul Sartre, au lendemain de la guerre, faisant de Céline un salarié des nazis, ne valent pas mieux. En revanche, l’écrivain a été certainement plus engagé qu’il ne voulut le reconnaître après 1945. Mais il conserva néanmoins son franc-parler. Benoist-Méchin a décrit un dîner à l’Ambassade d’Allemagne, en février 1944, où un Céline déchaîné lance contre Hitler («un mage pour le Brandebourg») des imprécations qui font trembler Otto Abetz. L’ambassadeur du Reich a d’ailleurs peu d’affinités intellectuelles avec l’écrivain, mais il est sensible à sa renommée et à l’usage qu’il pouvait en faire. Jünger, lui, éprouve une véritable aversion. Le souvenir qu’il a noté de sa première rencontre avec Céline (7 décembre 1941), provoquera procès et polémique après la publication du Journal de guerre: «il y a chez lui ce regard des maniaques, tourné en dedans, qui brille comme au fond d’un trou. (…) Il dit combien il est surpris, stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les Juifs - il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité. […] Il exprimait de toute évidence la monstrueuse puissance du nihilisme…» En vérité, chez les occupants, le seul admirateur et le seul soutien de Céline est Karl Epting, directeur de l’Institut allemand. Cette connivence fera d’ailleurs l’objet d’un rapport accusateur, dont nous avons parlé, signé le 28 janvier 1942 par le Dr Bernhard Payr, proche collaborateur d’Alfred Rosenberg, chef du Schriftumspflege Amt (service de surveillance de l’édition) et inspecteur itinérant du parti. C’est à ce titre qu’après ses visites à Paris en 1941 et 1942 il rédige ce rapport qui fustige les «errements» de l’Institut allemand, s’étonnant des relations entretenues par Epting avec certains auteurs français que soutient son Institut, à commencer par «Louis-Ferdinand Céline, avec lequel M. Epting est particulièrement lié. (…) Sa personnalité est pourtant extraordinairement contestée, poursuit le Dr Payr. En son temps, dans son livre Voyage au bout de la nuit, il a glorifié l’objection de conscience. Il a mis en question et traîné dans la boue à peu près tout ce que l’existence humaine a produit de valeurs positives ». Les pamphlets antisémites eux-mêmes n’ont pas la faveur du Dr Payr qui leur reproche leur caractère « hystérique» et « ordurier ». Dans un article sur la littérature française publié dans la revue de Rosenberg, Payr avait déjà critiqué Les beaux draps, ouvrage qualifié de «négatif». Il reprendra ces critiques en 1942 dans son livre Phonix oder Asche ? consacré à la littérature française de l’Occupation, dont Gérard Loiseaux a publié une traduction (Gérard Loiseaux, La littérature de la défaite et de la collaboration, Fayard, 1995). Dans ses souvenirs publiés en 1981, Gerhardt Heller (1909-1982) confirme les accusations de Payr: «Si Céline bénéficiait du soutien total de l’Institut allemand, d’autres autorités d’Occupation estimaient qu’on n’aurait pas dû laisser paraître des livres aussi abjects…. » Préférant Claudel à Céline, Heller oublie de préciser qu’il fit lui-même partie de ces «autorités» pour qui l’auteur du Voyage était l’un de ces expressionnistes «décadents» à la façon d’Emil Nolde ou de Gottfried Benn, fustigés par la littérature nazie.
D’UN CHÂTEAU L’AUTRE
En dehors des Beaux draps et de Guignol’s band (1944), lequel relève de la fiction, Céline ne publie rien durant l’Occupation, mais il écrit de nombreuses lettres à des journalistes en vue parfois de leur publication (Céline, Lettres des années noires, op. cit.). Il accorde aussi quelques entretiens, délivrant des critiques acerbes et débridées contre Vichy, les Juifs ou les Allemands.
Mais il conserve la dent dure. Jean-Paul Sartre qui le diffame dans Les Temps modernes de décembre 1945, le découvrira à ses dépens. Alors qu’il est emprisonné et menacé par les tribunaux de l’épuration, l’auteur des Mouches l’accuse d’avoir été « payé par les nazis ». La riposte vient sous forme d’un bref pamphlet (A l’agité du bocal): «Vous avez emporté tout de même votre petit succès au "Sarah" sous la Botte, avec vos Mouches… Que ne troussez-vous maintenant trois petits actes en vitesse, de circonstance, sur le pouce, les Mouchards? L’on vous y verrait en personne, avec vos petits potes, en train d’envoyer vos confrères détestés, dits "Collaborateurs", au bagne, au poteau, en exiL… Serait-ce assez cocasse? Vous-même, bien entendu, fort de votre texte, au tout premier rôle… en ténia persifleur et philosophe." »
En 1946, dans sa prison de Copenhague, Céline recopie sur un cahier d’écolier des passages des Mémoires d’outre-tombe. Il songe déjà à Féerie pour une autre fois et s’identifie à Chateaubriand qu’il appelle René: «René rêve de la France, l’âme de la France, je l’ai rêvée aussi, moi, barbet misérable…. » Il écrit aussi au résistant Albert Paraz des lettres que celui-ci publiera dans Le Gala des vaches. On y retrouve l’idée lancinante que les « Aryens» sont bien les plus crétins et les plus salauds sur cette terre: «Dans ma prison, il y avait 500 gardiens tous aryens, 500 millions d’Aryens en Europe. On me fait crever pour antisémitisme, ils applaudissent ! Où sont les traîtres, les ordures ! Tu voudrais que je pleure sur le sort de l’immonde bâtarde racaille sans orgueil et sans foi! Merci! Je pense des Aryens ce qu’en ont pensé au supplice Vercingétorix et Jeanne d’Arc! De belles saloperies! Vivent les Youtres ! Les Fritz n’ont jamais été pro-aryens, seulement antisémites, ce qui est absolument idiot (Albert Paraz, Le gala des vaches, Editions de l’Elan, Paris, 1948, p. 94). »
En 1946, dans sa prison de Copenhague, Céline recopie sur un cahier d’écolier des passages des Mémoires d’outre-tombe. Il songe déjà à Féerie pour une autre fois et s’identifie à Chateaubriand qu’il appelle René: «René rêve de la France, l’âme de la France, je l’ai rêvée aussi, moi, barbet misérable…. » Il écrit aussi au résistant Albert Paraz des lettres que celui-ci publiera dans Le Gala des vaches. On y retrouve l’idée lancinante que les « Aryens» sont bien les plus crétins et les plus salauds sur cette terre: «Dans ma prison, il y avait 500 gardiens tous aryens, 500 millions d’Aryens en Europe. On me fait crever pour antisémitisme, ils applaudissent ! Où sont les traîtres, les ordures ! Tu voudrais que je pleure sur le sort de l’immonde bâtarde racaille sans orgueil et sans foi! Merci! Je pense des Aryens ce qu’en ont pensé au supplice Vercingétorix et Jeanne d’Arc! De belles saloperies! Vivent les Youtres ! Les Fritz n’ont jamais été pro-aryens, seulement antisémites, ce qui est absolument idiot (Albert Paraz, Le gala des vaches, Editions de l’Elan, Paris, 1948, p. 94). »
Amnistié en 1951, il se réfugie dans une bicoque de Meudon avec Lucette et des chiens abandonnés. Il y vit misérablement ses dernières années, officiant comme médecin des pauvres, écrivant et publiant. A ses obsèques, en juillet 1961, à côté de Robert Poulet, parmi quelques rares fidèles, on remarque Roger Nimier qui s’était fait son infatigable défenseur chez Gallimard.
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