jeudi 23 octobre 2025

De Zola à Céline : Un “Lamanièredeux” dans Fantasio du 16 septembre 1933

Dans Fantasio : magazine gai du 16 septembre 1933. 

Ce périodique "coquin" de haute tenue offre à ses lecteurs de nombreux hors-textes de dessins en couleur signés des plus grands illustrateurs de l'époque tels Dignimont, Chas Laborde, Oberlé ou Roubille qui signe la couverture. 

Dans la rubrique La Potinière, Jean Marigny livre un article apocryphe (un “Lamanièredeux” assez minable) du texte que Céline devrait prononcer à Médan  en l'honneur de Zola et dont il a obtenu l'exclusivité !

DE ZOLA A CÉLINE... 

Pour l'anniversaire de la mort de Zola, M. D. F. Céline (sic) va prononcer un discours. Avant de la réunir en volume, comme sa préface au “Voyage au bout de la nuit” il en a donné la primeur à “Fantasio”.


Messieurs,

Je devrais dire mes potes que je vous dis, parce qu'on peut bien dire qu'ici nous sommes des affranchis et qu'au moment de tirer notre galurin devant la mémoire du gars Emile Zola, on se sent un peu pris aux tripes.

Celui-là était un maître. Ah ! il ne batifolait pas avec la mousseline, ce n'est pas lui qui a mis du sucre sur la galette amère de l'existence. Il était nature, comme moi-même, messieurs.

Il y a deux manières de tirer sa révérence, toutes deux s'expriment en cinq lettres : la première fit la gloire de Cambronne, le seconde le succès de Michelin. Entre M… et Merci, vous n'hésitez pas. Lui non plus.

Il avait fait le tour de toutes les saletés, flairé toutes les poubelles, piétiné tous les étrons lâchés par une civilisation en colique ; il nageait dans les égouts, se gavait de déchets ; se complaisait dans l'inceste, se mirait sur le zinc des assommoirs ; coïtait avec des Nanas de bas étage ; il plaçait son idéal à la hauteur des chasses d'eau ; et pourtant, il fut grand. 



C'était mon maître. Et c'est un devoir pieux que j'accomplis, que je vous dis.

Céline… Zola ! On dirait le titre d'un de ses livres. Parfois quand j'ai des digestions difficiles et que mon sommeil est truffé de borborygmes, je me plais à imaginer ce qu'il aurait écrit sous ce titre de Céline-Zola !

Et je vois une radeuse dépucelée à douze ans par un curé évadé du bagne. Impubère et vérolée, elle se donne à tous les gamins du quartier et l'école laïque devient un dispensaire, où l'on injecte à toute une génération de pourris, des doses de 606 – comme jadis des 1515 et des 1805 qui étaient des dates de boucheries. A quinze ans, Céline est mère des œuvres de Son Excellence Rougon-Macquart. 

Alors, c'est une vie de grande putain… Mais, messieurs, vous n'avez qu'à relire la “Terre” ou “Germinal” pour y faire une moisson de vices !

Il voyait noir. Moi aussi. Avant nous, la littérature était à dégueuler de fadeur. Il y avait des gens bons, des vierges ; des honnêtes hommes… Toute une faune abolie… une race perdue.

Ah ! s'il avait pu vivre jusqu'à nous ! Il eût écrit ce “Charnier” auquel vous pensez tous et dont les cent premières pages de mon livre ne donnent qu'une vision affadie et, dirai-je, presque tendre.

Nous vivons parmi des hystériques, des névrosés, des cochons décorés, des filles en fourrure !

Voilà l'humanité ! Qu'y puis-je ? Le monde pue ; la terre grouille de vermine. Les journaux sont pleins de cette publicité accablante qui met le public en garde contre les métrites, les poux et le retour d'âge. Ce n'est tout de même pas moi qui ai inventé la salpingite, l'ovariectomie, les pertes blanches, la goutte militaire, toutes ces choses qui naissent de l'amour, comme les jumeaux ophtalmiques et les dégénérés…

Voilà où nous en sommes ! Et l'on appelle ça le règne de l'intelligence ! Des meurtres et des sérums ! Du sang d'homme et du sang de cheval ! depuis Attila, le besoin des mortels n'a pas changé. Ah ! s'il avait connu une Violette Nozière, un Landru, un Mestorino, un Gorguioff, tous ces échantillons d'une race putréfiée, de quelles sombres flammes, n'eut-il pas illuminé le ciel noir et crachouillant de ses pensums tristes !

Il manquait un Zola, à ce siècle avachi, et je me suis dressé. Je n'ai pas encore atteint le Bout de la Nuit ! Mais je vous dis que vous n'avez pas fini d'en baver, de suivre Bardamu dans les bouges ignobles où se vautrent mes héros !

Des ivrogne et des poitrinaires ; des assassins et des faiseuses d'anges, voilà le quatuor qui servira de base à ma symphonie nauséabonde. Que les timides se bouchent le nez, j'écris avec de l'urine et des excréments ; la vérité ne sort plus des puits, mais des fosses d'aisance !

Il est temps de vidanger le monde !

Si vous songez, messieurs, que notre langue est pauvre en mots orduriers, en onomatopées pestilentielles et que j'ai depuis dix minutes usé d'un vocabulaire faisandé comme un perdreau pourri, vous ne pourrez que nous admirer, Zola et moi, d'avoir, lui en cinquante volumes, et moi en six cent quarante-quatre pages,étalé tous les adjectifs puants, tous les substantifs glaireux du vocabulaire, sans une défaillance. Je sais bien que c'est un truc ; mais les lecteurs aiment se faire engueuler, les femmes du monde adorent le langage des marlous, elles ont été servies.

Qu'attendiez-vous de moi, messieurs ? Ça : pas autre chose. Un bon petit laïus plein d'insanités, mais râpeux aux oreilles comme une pomme rossée. Vous voilà servis. Ça vous remonte un peu des boyaux aux gencives ! Bah ! ce n'est rien. Ça soulage au contraire. Mais, avant de finir, je dois vous faire un aveu : l'attitude d'un Zola ou la mienne ne représente aucun courage. Mais quand tous les seuils du rêve, de la grâce, de la beauté, de la tendresse et de l'amour sont occupés, il ne reste plus à celui qui arrive que des latrines.

Tant qu'il a vécu et tant que je vivrai, il est inutile d'insister, le loquet sera fermé : et vous lirez sur la petite porte : occupé. J'y suis, j'y reste… Le tout est de se soulager avec talent. 

P.P.C. Jean Marigny. 

     

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