Mais quand ce petit-fils s'appelle Jean-Marie Turpin, il est vain
d'espérer une hagiographie propre à contenter les «célinolâtres». Pour le romancier
des Runes, de Sol, ou de la Seconde Eglise, pour I'enlumineur de l'Apocalypse de
Jean et des lieux du Graal, pour le métaphysicien des Nuits de I'entendement, il
y a bien «quelque chose de sacré» aux racines de l’œuvre célinien, mais si le sentiment
d'un «abandon absolu» prévaut douloureusement dans le voyage, et si ce sentiment
participe fondamentalement de la détresse du christ au Mont des Oliviers, force
lui est de constater qu'il a fallu à Céline «vautrer sa détresse avec les porcs».
Pourquoi? Pourquoi cette déchéance et pourquoi, peut-être, cette prédestination
au mal et à «l'irrémission» de la «haine célinienne» ? Poète et théologien
ensemble, Jean-Marie Turpin ne balance pas sa réponse : Céline était un possédé
dont toutes les vociférations sont «un credo silencieux à la vérité éternelle
du Mal et à sa seule réalité», une «offrande insensée de la Douleur
existentielle adressée au Mal absolu».
Cependant jamais le petit-fils ne condamne, le Diable fût-il à la manœuvre
dans les «ensorcelleries» de l'aieul et de ses funestes héros. Au contraire, Jean-Marie
Turpin qui, à l’occasion, nous révèle la profondeur pathétique des liens qui, jusqu’à
sa fin,
unirent Ie chevalier Céline à sa première épouse Edith Follet, dépeint
avec une compassion digne des imagiers des enclos paroissiaux bretons la tragédie
d'un écrivain dont la damnation fut «d'éprouver dans sa chair la mort de la vie»
et qui, en coopérant à «I'Avènement de la révélation du Mal», nous a laissé une
formidable leçon de Ténèbres.
Jean-Marie Turpin (écrivain, théologien, philosophe est le petit fils de Louis-Ferdinand Céline, l'un des enfants de Colette, fille d'Edith née Follet, la première femme de Louis-Ferdinand Céline avec laquelle l'écrivain resta en contact jusqu'à la fin de sa vie ). Il témoigne: «Lorsqu'il était en prison au Danemark, ma mère m'a demandé de lui écrire, j'avais alors une dizaine d'années. Nous avons eu une correspondance suivie et très gentille pendant plusieurs années. Dans mon adolescence, ma mère s'est débrouillée pour que j'aie accès à tous ses écrits. J'ai tout lu. (...) J'étais avec un copain mais il est resté dehors. Je suis rentré dans la maison sans sonner. Je suis tombé directement sur Céline, surpris de me voir.
Il n'avait pas beaucoup de temps pour me recevoir, il était malade, submergé par la presse qui s'intéressait de nouveau à lui. Il n'avait pas envie d'accorder d'interview, il souhaitait terminer son oeuvre. J'ai débarqué là-dedans ! Il m'a interrogé sur mes études, a été surpris que j'aie lu son oeuvre et a vérifié mes connaissances en me posant des questions. L'entretien a été drôle et caustique. Céline avait un humour fracassant, une ironie féroce. C'était un grand-père comme je le rêvais. Malheureusement l'entretien fut bref et il me demanda de revenir le voir avec le baccalauréat en poche. Il devait mourir quelques mois après.»
(In Bertrand Arbogast, J.M. Turpin termine son prochain livre à Armenonville, La République du Centre, L'Année Céline 1995, Du Lérot).
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Jean-Marie Turpin, petit-fils de Céline (1942-2015) |
L'écrivain et philosophe Jean-Marie Turpin est décédé, samedi, dans sa maison de Landéda. Né le 3 août 1942, il avait 72 ans. Descendant direct du docteur Augustin Morvan, député maire de Lannilis, qui a donné son nom à l'hôpital de Brest, il était aussi le petit-fils de l'écrivain Louis-Ferdinand Céline, auquel il a consacré un ouvrage, Le Chevalier Céline. Poète, romancier, dramaturge et encore peintre et calligraphe, Jean-Marie Turpin est reconnu pour ses écrits littéraires. Certains ont pour toile de fond la Bretagne et ses légendes où réel et fabuleux se mêlent, comme dans les récits étonnants que sont Les Runes, Augustin Morvan ou les images divines des petits garçons de Lannilis. C'était encore un métaphysicien admiré par ses pairs pour la qualité de ses recherches et pour sa pensée profonde.