«la question de la réédition des pamphlets
n’est pas primordiale...»
Dans un Télérama Hors-Série de légende… (juin 2011) |
Jean Paul Louis édite L’Année Céline, qui recense toutes les publications consacrées à l’écrivain. Pour lui, la question de la réédition des pamphlets n’est pas primordiale ...
C’est à Tusson, en Charente, que sont installées, depuis leur création, en 1982, les éditions du Lérot. Plus précisément, c’est la mention «libraire-éditeur et imprimeur de campagne» que Jean Paul Louis a inscrite sur sa carte de visite. Car, en plus de l’activité d’édition, où Céline occupe une place importante, voire centrale, Le Lérot est aussi une entreprise d’imprimerie en offset, spécialisée dans la fabrication de livres et doublée d’un atelier de brochage. Jean Paul Louis est par ailleurs auteur d’une thèse sur la correspondance de Céline, coresponsable avec Henri Godard de l’édition des Lettres de l’écrivain en Pléiade et de sa correspondance avec Marie Canavaggia (Lettres à Marie Canavaggia,1936-1960, éd. Gallimard).
Les éditions du Lérot ont-elles été créées autour de Céline, pour éditer Céline?
Quand ont été créées les éditions du Lérot, je travaillais déjà avec Henri Godard, qui a dirigé ma thèse, sur l’édition de la correspondance de Céline. Mais à ce moment-là et durant les premières années d’existence, Céline n’est pas particulièrement présent au catalogue. Quand on crée une maison d’édition, on ne sait pas précisément où on va, ça ne se passe pas comme ça, le catalogue évolue au fil du temps. La maison d’édition a commencé à publier les actes des colloques de la Société d’études céliniennes, tous
les deux ans. Mais c’est vraiment à partir de 1990 que le projet célinien a pris de l’ampleur. Avec la création de L’Année Céline, qui est une idée d’Henri Godard. Il s’agit d’un périodique annuel qui recense les travaux et les études consacrés à Céline — un vrai besoin, dans le cas d’un écrivain de son importance. Depuis vingt et un ans, la forme de L’Année Céline a peu évolué. Elle se présente comme un volume de 200 à 350 pages, en trois parties. La première rassemble des textes de Céline retrouvés au cours de l’année, essentiellement des lettres qui surgissent lors de ventes aux enchères ou de dispersion de collections privées. La deuxième partie est documentaire, elle rassemble des études autour de faits. Enfin, une troisième partie, plus universitaire, recense les travaux consacrés à l’écrivain et en donne des extraits. À quoi s’ajoute une bibliographie, afin de faire chaque année le point sur ce qui se publie. À côté de cela, nous avons publié également de petits volumes de textes de ou sur Céline, comme le volume de Préfaces et dédicaces (1987), le recueil 31, cité d’Antin (1988) ou l’attachant Céline de mes souvenirs, de Serge Perrault (1992). Et des études très fouillées comme le Relevé des sources et citations dans Bagatelles pour un massacre, d’Alice Kaplan, la thèse de Michaël Ferrier Céline et la chanson ou celle de Régis Tettamanzi sur Céline et «l’esthétique de l’outrance». Je publie ces ouvrages très spécialisés parce que je sais que personne d’autre ne le fera. Ce sont des volumes tirés à 500 exemplaires. Étant imprimeur, maîtrisant l’impression et le brochage, je peux revenir à des procédés techniques d’autrefois pour faire vraiment le nombre d’exemplaires que je souhaite.
Ce regard que vous posez sur les publications consacrées à Céline et l’intérêt que suscitent vos propres publications auprès du public vous permettent-ils d’estimer année après année la vigueur de l’actualité de Céline?
Cette année, on observe une inflation considérable de publications, liée au cinquantenaire de la mort de Céline. On observe toujours de tels pics quand il y a un référent événementiel. Quant à la progression ou non du lectorat de Céline, je ne sais pas. Mais je remarque que, dans mes fichiers de clients fidèles de L’Année Céline, il y a régulièrement de nouveaux inscrits, et des personnes qui se manifestent et veulent l’intégralité de la collection. Chaque volume est tiré entre 500 et 600 exemplaires, et je m’arrange pour que la série soit toujours entièrement disponible. C’est important, essentiel même, cette disponibilité des anciens volumes, quand on est, comme c’est le cas, lancé dans une entreprise éditoriale de longue haleine. Ce qui est certain, c’est qu’il existe une relève parmi les jeunes chercheurs. Je pense notamment au plus doué d’entre eux, Gaël Richard, qui a publié au Lérot le volume de documents commentés Le Procès de Céline, 1944-1951, paru en 2010.
Faut-il ou non rééditer les pamphlets de Céline? Quelle est votre position?
La question ne me paraît pas primordiale. En tant que lecteur de Céline, ce sont des textes que je relis rarement. Je trouve que Céline est bon dans l’invective courte, pas du tout dans la parole pamphlétaire construite. L’École des cadavres est certainement le plus mauvais livre qu’il ait écrit, et on ne peut que regretter qu’il ait abandonné Casse-pipe pour produire ce volume de circonstance. L’ensemble est stylistiquement faible, voire médiocre, sauf la fin de Bagatelles et certains passages des Beaux Draps. Que les pamphlets soient réédités ou pas, quelle importance? Rien n’est plus simple que se les procurer aujourd’hui, en achetant des éditions pirates sur Internet ou des éditions d’époque chez des libraires d’ancien: ce sont des livres très courants, étant donné leurs tirages importants. En même temps, si on les rééditait, je ne vois pas non plus où serait le problème. Le risque de contagion antisémite? Mais l’antisémitisme n’est pas contagieux, et on ne devient pas antisémite en lisant Céline, c’est idiot de penser cela.
www.dulerotediteur.fr
Propos recueillis par Nathalie Crom
Photos : Benoît Linero pour Télérama