Ah !... Ces témoignages “oubliés”...
Témoignage Champfleury
C’est en février 1958 que dans Le Petit Crapouillot, Céline réagit à l’article de Roger Vaillant intitulé Nous n’épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline, paru en janvier 1950 dans La Tribune des nations.
Roger Vaillant, rue des Abesses pendant la Guerre, voisin de Céline qui habitait à deux pas, rue Girardon |
Robert Champfleury découvre cette réplique deux mois plus tard et écrit, sans tarder, de Golfe Juan où il s'est retiré, la lettre suivante à Céline.
Cher ami,
Ecœuré des assertions de R.V. (Roger Vaillant), je vous adresse la lettre ci-jointe à toutes fins utiles, avec l'autorisation évidemment de la faire publier dans le canard de votre choix. Tout heureux d'avoir l'occasion de vous assurer de ma fidèle amitié.
Je reste à votre disposition et vous serre cordialement la main.
Chamfleury
En annexe, figurait cette lettre datée du 4 avril 1958 que Céline adresse aussitôt à Jean Galtier-Boissière qui la publie, partiellement, dans Le Petit Crapouillot du mois de juin.
Quatre ans plus tard, lorsque Chamfleury livre son témoignage dans les Cahiers de l'Herne, il reprend, de cette lettre, les extraits choisis par Galtier-Boissière.
Grâce à Paul Chambrillon, qui détient ce document dans ses archives, nous sommes en mesure de le reproduire, pour la première fois, intégralement.
(Le Bulletin célinien n° 201, septembre 1999)
Je viens de découvrir, un peu tardivement, dans Le Petit Crapouillot de février, votre réplique à un papier de Roger Vaillant paru dans La Tribune des Nations.
Si j'avais eu connaissance, à l'époque de la parution, de cet article en tous points odieux et méprisable, je n'aurais pas manqué de lui donner la réponse et le démenti qu'il convenait. Peut-être n'est-il pas trop tard pour le faire et vous dire immédiatement et d'abord que je suis pleinement d'accord avec vous quand vous affirmez que vous étiez parfaitement au courant de nos activités clandestines durant l'occupation allemande et qui consistaient en : répartition de cartes d'alimentation (contrefaites à Londres), et de frais de séjour, attribution de logements aux évadés et parachutés, indications de filières pour le passage des frontières et lignes de démarcation , acheminement du courrier, lieu d'émission et de réception radio avec Londres, lieu de réunion du Conseil de la Résistance, etc...
Tout cela supposait évidemment des allées et venues dans mon appartement situé exactement au-dessous du vôtre et qui ne pouvaient pas passer complètement inaperçues ni de vous, ni des autres voisins.
Je me souviens très bien qu'un soir vous m'avez dit très franchement : «Vous en faites pas Chamfleury, je sais à peu près tout ce que vous faites, vous et votre femme, mais ne craignez rien de ma part... je vous en donne ma parole... et même, si je puis vous aider... ! »
Il y avait un tel accent de franchise dans votre affirmation que je me suis trouvé absolument rassuré. Mieux, un certain jour, je suis venu frapper à votre porte, accompagné d'un résistant qui avait été torturé par la Gestapo. Vous m'avez ouvert, vous avez examiné la main meurtrie de mon compagnon et, sans poser une seule question, vous avez fait le pansement qu'il convenait, en ayant parfaitement deviné l'origine de la blessure.
Peut-être retrouverez-vous une lettre que je vous avais fait parvenir par Gen Paul, dès la Libération. Dans ce message je vous informais de ma volonté de témoigner et d'intervenir contre les accusations mensongères et stupides dont vous accablait une certaine clique de petits roquets du journalisme et de la littérature acharnés à broyer un confrère.
Il me répugne d'évoquer des souvenirs, pas toujours très drôles, de cette drôle de Résistance que galvaudent pourtant, avec délices et profits, cette meute de petits " littéraires " d'une époque si pauvre en talents.
Dans son précédent bouquin, Drôle de jeu, Roger Vaillant n'a pas cité mon nom une seule fois, bien que la plus grande partie de l'action soit située et centrée sur " l'aventure de la rue Girardon ". Les seules allusions (désobligeantes) qu'il a faites quant à mes activités de Résistant et mes préoccupations, concernent un troc de savonnettes auquel je me serais livré !
Comme je n'ai jamais été assoiffé de publicité, ni de "gloire", je n'ai pas éprouvé le besoin de rétablir la vérité qui ne serait pas tellement flatteuse pour notre petit Goncourt au profil de faucon.
J'ai cependant la fierté de pouvoir affirmer et prouver que je suis l'un des rares survivants de la Résistance de la première heure qui n'ait pas monnayé, dès la Libération, les services qu'il avait pu rendre dans la clandestinité. J'ai refusé les décorations et citations qui m'étaient offertes, j'ai dédaigné les honneurs et les postes rémunérateurs que d'autres ont réclamé avec tant de précipitation et d'acharnement que c'en était une véritable curée.
J'ai accepté toutefois, l'officialisation de mon attitude gratuite sous la forme d'un certificat signé par l'un des chefs du D.G.E.R. (B.C.R.A.) attestant de la valeur des services rendus. Et bien m'en prit de m'être muni de cette pièce quand il me fallut confondre les petits cloportes qui, installés dans des "Comités d'épuration" et ignorant mes activités de résistant, prétendaient m'excommunier de la Radio-diffusion et des Sociétés d'auteur.
Aujourd'hui, retiré dans un petit coin de la Côte d'Azur, je n'aspire qu'à travailler tranquillement à mes bouquins de vulgarisation scientifique.
Les succès littéraires d'un Vaillant, en cette époque de médiocrité, d'intrigues et de bluff doivent nous laisser indifférents. Ils ne peuvent servir tout au plus qu'à marquer dans le temps notre décadence littéraire. Vous restez un des derniers "grands " écrivains et l'un des derniers individualistes en même temps qu'un homme propre et courageux auquel je suis heureux de rendre hommage.
J'avais ce devoir de le dire et de vous assurer de mon estime et de ma fidèle amitié.
Robert Champfleury
Témoignage Petrovitch
D'origine serbe, né en 1906 à Bucarest, Pierre Petrovitch gagne la France en 1917, et s'installe en 1922 à Montparnasse, où il fréquente les artistes peintres. En 1929, il habite Montmartre, rue Orchampt, et, en 1936, il devient administrateur de sociétés. En 1941, il entre dans la Résistance, aux côtés de Jean Dasté, directeur de L'Intransigeant, et de Jean Valdéron, le futur fondateur de Noir et Blanc.
Pierre Petrovitch fait partie du premier comité du Mouvement de Libération Nationale organisé par Paul Reynaud, Bloch-Lainé et d'Astier de la Vigerie. Ses activités clandestines ne l'empêchent pas, durant l'occupation, de côtoyer souvent Céline, dont il a bien voulu nous confier ce portrait.
Tous les jours, comme avant-guerre, à l'heure de l'apéritif, Jean d'Esparbès et moi-même, nous retrouvions L.-F. Céline, Gen Paul et Le Vigan au Taureau ou au Maquis. Ce café était tenu par une actrice du cinéma muet, qui avait joué dans La Loupiotte. Le dessinateur Poulbot s'y rendait quelquefois, ainsi que le bougnat Madamour qui habitait 5 rue Orchampt.
Je connaissais Jean d'Esparbès depuis mon passage au lycée de Fontainebleau. Son père, illustre écrivain de l'épopée napoléonienne, était conservateur du château. Jean était un ancien des Corps-Francs, mi-anarchiste, mi-bonapartiste, un montmartrois cultivé, poète et surtout un bon peintre. Son buveur d'absinthe avait fait sa gloire : à peine sec, il était vendu. Jean était entré au M.L.N. avec moi. Céline ne manquait jamais de lui poser mille questions sur la légende impériale. Gen Paul ne disait rien. Il avait deux passions : peindre et boire. Anarchiste, il détestait les particules. Il ne portait pas ses décorations : sa jambe droite amputée suffisait.
Le Vigan était l'acteur du trio. Il jouait aux illuminés en racontant sa vie. Toujours survolté, il se faisait remarquer. Avec son amie Tinou, il communiquait par gestes et signes cabalistiques, hermétiques à autrui. Marcel Aymé venait parfois, mais il n'avait envoyé aux copains que des cartes postales représentant des cimetières, et il avait tout dit.
Céline, lui aussi parlait peu. Il écoutait plutôt, et savait écouter. C'était un homme gris qui n'attirait pas l'attention. Il s'enquérait, sans élever la voix, des derniers potins, en médecin de quartier. C'était un solitaire, presque sauvage, un peu timide, mais toujours prêt à rendre service, surtout sur le plan médical.
Nous avions, ma femme et moi, pour médecin, son cousin, le docteur Jacques Destouches, montmartrois lui aussi, qui habitait rue Domrémont. Il rencontrait rarement l'écrivain, mais il ne nous en dit jamais de mal. Pourtant l'occupation, l'attitude et les habitudes de L.-F. Céline ne changèrent pas, alors que certains collaborateurs étaient venus le prier de s'engager. Il s'était retiré de la scène publique. Il était beaucoup plus soucieux d'obtenir des tickets en tous genres que de jouer un rôle politique de conférencier ou de journaliste. Il n'aimait pas plus les Allemands que leurs serviteurs. Il employait encore le mot " Boche ", en ancien de 14, et ses propos ne prêtaient à aucune ambiguïté.
Il avait, certes, publié en 1941 Les beaux draps, mais ce livre évoquait surtout la triste situation de notre défaite. Ses projets de réforme relevaient plus du socialisme que des idées de la Révolution Nationale. Un passage sur les Anglais pouvait produire une impression pénible, mais l'évènement de Mers-el-Kébir avait démoralisé plus d'un compatriote.
Ses anathèmes antisémites n'étaient pas nouveaux. Les beaux draps n'avaient pas été écrits dans le but de plaire aux gens de Vichy ou aux occupants, et certains passages témoignaient même du contraire. Les Allemands faisaient d'ailleurs retirer cet ouvrage de la vente, et le Gouvernement de Vichy le faisait saisir. Nous n'avions vu dans ce pamphlet que la déception d'un patriote.
Nous étions entrés dans la Résistance et nous connaissions les pamphlets de L.-F. Céline, mais, dans la Résistance, nous connaissions aussi certains antisémites. Les Russes, qui avaient été chassés de leur pays par la répression communiste, ne supportaient pas davantage l'oppression allemande et œuvraient alors dans la clandestinité, par idéal républicain ou anarchiste, mais ils n'oubliaient pas que la révolution marxiste avait eu pour instigateurs un komintern à majorité israélite.
Céline ne leur a rien appris. Il n'était pas le seul, sur la Butte, à avoir ces idées, et il avait beaucoup d'amis, même chez les résistants. Nous lisions peu les journaux collaborateurs. Quand nous y découvrions une lettre de L.-F. Céline, nous ne pouvions y voir la moindre adhésion à la collaboration, mais plutôt le dénigrement ironique d'un solitaire.
Céline a cependant bien fait de fuir Paris à la Libération, non pas qu'il eut à craindre des résistants qui le connaissaient, mais parce que tout était possible de la part de certains esprits échauffés. Un commando obscur l'aurait abattu sans jugement, et personne n'aurait pu s'y opposer. Paris était en révolution.
Si Céline m'avait demandé de l'aide, je l'aurais hébergé à Fontainebleau, mais il ne me parut jamais inquiet. Peu de gens se sont portés à son secours après la Libération et l'on comprend qu'il en gardât quelque rancune. Nous vaquions à nos affaires. Peut-être qu'à la défaite, en restant sur la Butte, l'homme n'avait pas su être à la hauteur de l'écrivain et avait perdu de sa stature. Il est difficile de se comporter en héros plusieurs fois en une seule existence. Peut-être que Céline aurait dû rejoindre l'Angleterre au lieu de fustiger la défaite comme au temps où ses cris d'alerte ne pouvaient être pris pour de la trahison.
Mais Céline ne nous apparut jamais, dans ses conversations ou dans ses attitudes sous les traits d'un collaborateur de l'ennemi.
Pierre Petrovitch
Témoignages cités par En Phrases avec Céline