Dans l’hebdomadaire communiste Les Lettres françaises du 2 décembre 1948, une apologie de Lysenko (théoricien de la transmission des caractères acquis) autorise une critique de Mendel sur lequel s’appuyait les théories racistes exposées à l’Institut d’études des questions juives. Des photos de Paul Chack et Louis-Ferdinand Céline illustrent l’article.
Mais, plus intéressant, en ce qui concerne Céline, ce sont les menaces à peine déguisées à son égard que contient un article fielleux (en page 2) signé Jean-Maurice Hermann*.
Après l'avoir copieusement dézingué politiquement : « M. L.-F. Céline ? Mais oui: On avait réussi à l'oublier, ce qui était fort charitable. C'est lui, maintenant, le drôle, qui appelle l'attention. Cet étonnant mélange d'orgueil, de trouille, de haine, et de médiocrité crève qu'on ne parle plus de lui. Longtemps la peur a été plus forte. Maintenant; il est rassuré : on le serait à moins. Et de s'agiter, de lâcher bulles gargouillantes, de se recommander aux nostalgiques des crématoires et de la L.V.F. comme chantre et apôtre de leurs futurs exploits. » ; Hermann n'oublie pas de lui dénier tout talent : «Comme ça fait peuple ! Quelle verve, ma chère ! Quelle force ! On s'en pâme… Pauvres bougres, qui confondez grossièreté et veine populaire, frénésie et truculence, diarrhée verbale et tempérament. Il y aurait une étude psychiatrique à faire sur le cas Céline. Mais si la chose mérite qu'on porte sur elle un jugement littéraire, comment ne pas dénoncer le chiqué de cette prose artificielle, de ce langage de médicastre cherchant à épater le bourgeois et laissant glisser entre deux mots d'argot un imparfait du subjonctif...» ; et termine par la menace objet d'un échange épistolaire entre notre auteur et son ami (de l'époque) Charles Deshayes (voir ci-dessous) : « Qu'il reste donc, là où on veut bien le supporter, à écouter les borborygmes de ses entrailles. Ça pue assez sans lui en France. Et ça risquerait d'y sentir spécialement mauvais pour lui. »
On notera sa particulière élégance quand il parle d'un fervent soutien de Céline : « Mme Arletty a certes du talent, du côté des cuisses, en particulier…»
UN DROLE D'ENFANT DU PARADIS
TOUT rentre dans l'ordre. On colle les résistants en prison, on en sort les cagoulards et les collaborateurs.Avoir constitué des stocks d'armes nazies pour la guerre civile est peccadille qu'on gronde avec indulgence ; avoir risqué sa vie pour la liberté est banditisme et relève de la corde. Le gouvernement paternel qui nous régit prépare une loi de justice et d'amour que n'aurait pas renié Charles X. Le «sabotage passif» et la «menace de désordre» prennent place dans la série de ces crimes affreux contre lesquels des tribunaux — qui ne demandent pas mieux — vont avoir à défendre un régime en pleine ivresse de représailles. On tire sur les ouvriers en grève ; les dividendes grimpent ; les C.R.S. sont là pour mater les salopards ; les grosses Buick glissent le long des Champs-Elysées ; il circule une bonne odeur de dissolution de partis ouvriers et de croisade occidentale. La limace ressort ses cornes, et risque un oeil pour voir si déjà la boue est assez grasse pour l'accueillir. M. Céline prépare sa rentrée.
M. L.-F. Céline ? Mais oui: On avait réussi à l'oublier, ce qui était fort charitable. C'est lui, maintenant, le drôle, qui appelle l'attention. Cet étonnant mélange d'orgueil, de trouille, de haine, et de médiocrité crève qu'on ne parle plus de lui. Longtemps la peur a été plus forte. Maintenant; il est rassuré : on le serait à moins. Et de s'agiter, de lâcher bulles gargouillantes, de se recommander aux nostalgiques des crématoires et de la L.V.F. comme chantre et apôtre de leurs futurs exploits.
Il ne lui manqua pas naguère de puissants appuis. Ses massifs pamphlets d'appels au massacre, qu'un peuple de bon sens refusait d'acheter, étaient, par ordre dès maîtres de Hachette, exposés des mois durant aux emplacements de faveur. Toute la Ve colonne, tous ceux qui s'apprêtaient à applaudir la « divine surprise » du malheur de la France, tous ceux qui travaillaient pour les brutes qui devaient déshonorer ce siècle par la plus active boucherie de l'Histoire, encensaient son «talent». Ils éprouvaient à déguster ce flot démentiel d'injures et de mots orduriers, le même plaisir équivoque que trouvaient leurs pères aux engueulades (autrement pleines, elles, de vrai talent et de générosité humaine) d'Aristide Bruant.
Comme ça fait peuple ! Quelle verve, ma chère ! Quelle force ! On s'en pâme… Pauvres bougres, qui confondez grossièreté et veine populaire, frénésie et truculence, diarrhée verbale et tempérament. Il y aurait une étude psychiatrique à faire sur le cas Céline. Mais si la chose mérite qu'on porte sur elle un jugement littéraire, comment ne pas dénoncer le chiqué de cette prose artificielle, de ce langage de médicastre cherchant à épater le bourgeois et laissant glisser entre deux mots d'argot un imparfait du subjonctif... Tout est aussi en toc là-dedans que le «lyrisme paysan» du professeur Giono. Il n'y aurait qu'à en rire, si ce m'as-tu-vu excité s'était borné à chercher du côté de la fosse d'aisance une entrée dérobée au Panthéon des lettres.
Mais à sa fange se mêlaient le fiel et le sang. L'idéologie de haine dont il s'était fait le propagandiste à gages a porté d'effroyables fruits. Céline n'est pas qu'un grotesque de la littérature. C'est un des pourvoyeurs d'Auschwitz. Et cela, nous ne l'oublions pas.
France-Dimanche nous annonce complaisamment qu'un certain M. Albert Paraz va publier un livre en faveur de Céline, que le livre va être lancé, que Mme Arletty va le vendre elle-même «dans plusieurs librairies parisiennes». Mme Arletty a certes du talent, du côté des cuisses, en particulier, et d'émouvants souvenirs de cette «belle époque» qui dura de 1940 à 1944. Elle ferait bien de s'en tenir là.
Quant à M. L.-F. Céline, il a toujours été très indifférent à la peau des autres quand il pouvait la réclamer sans danger, mais très anxieusement soucieux de préserver la malpropre sienne. Qu'il reste donc, là où on veut bien le supporter, à écouter les borborygmes de ses entrailles. Ça pue assez sans lui en France.
Et ça risquerait d'y sentir spécialement mauvais pour lui. Jean-Maurice HERMANN
*Jean-Maurice Hermann (1905-1988), journaliste communiste et fondateur du SNJ-CGT en 1938. Pendant la guerre, il est à Lyon l'agent principal du réseau Brutus sous le pseudonyme « Herlin ». Déporté, il s'évade en 1945. Il participe ensuite avec Daniel Mayer et Jean Guignebert à la Commission de la presse du Conseil national de la Résistance, qui sera à l’origine des Ordonnances de 1944 sur la liberté de la presse.
« Ah mon cher Deshayes, il est bien gentil ce petit Hermann. Tout cela devient rituel à force. Fastidieux. Tous crapules. C’est tout.
C’est Chicago, gang, chantages, fifis, blablas, chez soi. »
De Korsør, le 2 janvier 1949, Céline répond à son (encore) ami Charles Deshayes qui lui avait signalé l'article vénéneux de Jean-Maurice Hermann dans Les Lettres françaises du 2 décembre précédent, menaçant l'auteur des pamphlets si celui-ci revenait en France.
« Ah mon cher Deshayes, Il est bien gentil ce petit Hermann. Tout cela devient rituel à force. Fastidieux. Tous crapules. C’est tout. C’est Chicago, gang, chantages, fifis, blablas, chez soi. La belle histoire ! Le document est à conserver. La France aux chacals. Il n’y a plus un mot à considérer de tout ce qui est écrit. Cela n’a plus aucun sens moral. La canaille manœuvre, c’est tout. Mais il faut se garer. Constituer un fichier. Bien à jour. Ne pas s’embarquer dans les contre plaidoiries. Je sais que vous avez de la merde au cul. Voilà le texte, la merde, regardez et taisez-vous. C’est tout. Polémiqué avec des chacals, c’est idiot. »