Dans les souvenirs de Marino Zermac (alias Pierre Genève, Marc Schweizer, etc.) qui eut «le bonheur de vivre une vie bien remplie mais sans importance...» se trouvent les visites de Youki Foujita-Desnos à Meudon, excédée par les accusations de la presse de gauche portées à l’encontre de Louis-Ferdinand Céline, jugé responsable de la déportation de Robert Desnos.
Souvenirs écrit sur le Net et compilés par Blaise Le Wenk et Gérard Wenker en 2016...
Souvenirs écrit sur le Net et compilés par Blaise Le Wenk et Gérard Wenker en 2016...
Notez que beaucoup de Célinistes, dont Marc Laudelout, considèrent cette relation de la visite comme bidonnée !!!!
La visite de Youki Foujita-Desnos* à Céline
« Ce fut Youki qui me fit lire Céline. L'Helvète mal dégrossi que j'étais refusait avec hauteur de lire "cette littérature de gare". En fait, je confondais Céline avec Delly! Cela en dit long sur les lacunes de ma culture.
La presse de gauche traînait Louis-Ferdinand Céline dans la boue avec une férocité inouïe. Et en ces temps de terrorisme intellectuel, il ne faisait pas bon d'aller à contre-courant. J'en savais quelque chose.
La presse de gauche traînait Louis-Ferdinand Céline dans la boue avec une férocité inouïe. Et en ces temps de terrorisme intellectuel, il ne faisait pas bon d'aller à contre-courant. J'en savais quelque chose.
Youki et Robert Desnos |
À son retour du Danemark, Louis-Ferdinand se terra dans une modeste propriété, route des Gardes à Meudon. Avec son épouse, Lucette Almanzor, ancienne ballerine et désormais professeur de danse classique, ils vivent modestement, attendant que l'orage passe, derrière une clôture surmontée de fil de fer barbelé.
Encouragés et excités par les pontifes du parti, des dizaines de nazillons communistes, accompagnés de quelques nervis professionnels, allaient manifester bruyamment, route des gardes, devant la demeure de Céline. Nous nous sommes rendus à Meudon par le métro et l'autobus, et avons gravi la route des Gardes à pied. Youki, peu habituée à la marche, m'invita à faire halte dans un bistrot à mi-chemin, où elle éclusa un pichet de vin rouge.
Les bistrots en ce temps-là remplaçaient avantageusement les bureaux d'information touristiques d'aujourd'hui. Un loufiat était à la fois indic, confesseur et agent de renseignement, dans tous les sens du terme. Celui de la route des Gardes nous dit seulement, sans trop se mouiller, que "ce que les cocos font subir à ce grand homme, médecin des pauvres et le plus serviable des hommes, était profondément dégueulasse".
Arrivés devant la demeure de l'écrivain, situé en retrait de la route, à qui je le répète, nous rendions visite sans l'avoir prévenu par courrier ou pneumatique, nous nous heurtons à un grillage surmonté de fil de fer barbelé, peint en bleu clair agressif. Derrière cette enceinte, de grands chiens, véritables molosses, gambadaient dans un jardin, en aboyant férocement, afin de nous dissuader d'entrer. Voyant que l'excitation des chiens n'attirait âme qui vive, sur un signe de Youki, je tire sur la manette commandant à distance par un fil de fer galvanisé, une cloche située sous l'auvent du pavillon.
Cette manœuvre excite les chiens au plus haut point si bien que nous pouvions craindre que l'un d'eux ne bondisse par-dessus la barrière.
Comme notre expédition avait duré au moins deux heures, Youki me suggéra d'insister. Je tirai encore sur la poignée, avec plus de vigueur peut-être, si bien que la porte de la maison s'ouvrit, livrant passage à un Céline renfrogné, en pantalon de velours et pullover chiné, une écharpe de laine autour du cou.
Il avança vers le portail, au milieu de ses chiens aboyants et bondissants, sans esquisser le moindre geste pour les calmer. Malgré sa tenue négligée, Céline avait grande allure. Un regard droit, lumineux, éclairait un visage mal rasé. Un corps svelte, sans un atome de graisse superflue.
Nous examinant à travers les rangs de barbelés de la barrière, il nous demanda ce que nous voulions. Youki se présenta. Au nom de Desnos, Céline tressaillit et faillit rebrousser chemin. Lorsque la veuve du poète lui dit :
- Je viens simplement vous demander pardon pour Robert, je sais que ce n'est pas à cause de vous qu'il a été déporté...
Encouragés et excités par les pontifes du parti, des dizaines de nazillons communistes, accompagnés de quelques nervis professionnels, allaient manifester bruyamment, route des gardes, devant la demeure de Céline. Nous nous sommes rendus à Meudon par le métro et l'autobus, et avons gravi la route des Gardes à pied. Youki, peu habituée à la marche, m'invita à faire halte dans un bistrot à mi-chemin, où elle éclusa un pichet de vin rouge.
Les bistrots en ce temps-là remplaçaient avantageusement les bureaux d'information touristiques d'aujourd'hui. Un loufiat était à la fois indic, confesseur et agent de renseignement, dans tous les sens du terme. Celui de la route des Gardes nous dit seulement, sans trop se mouiller, que "ce que les cocos font subir à ce grand homme, médecin des pauvres et le plus serviable des hommes, était profondément dégueulasse".
Arrivés devant la demeure de l'écrivain, situé en retrait de la route, à qui je le répète, nous rendions visite sans l'avoir prévenu par courrier ou pneumatique, nous nous heurtons à un grillage surmonté de fil de fer barbelé, peint en bleu clair agressif. Derrière cette enceinte, de grands chiens, véritables molosses, gambadaient dans un jardin, en aboyant férocement, afin de nous dissuader d'entrer. Voyant que l'excitation des chiens n'attirait âme qui vive, sur un signe de Youki, je tire sur la manette commandant à distance par un fil de fer galvanisé, une cloche située sous l'auvent du pavillon.
Cette manœuvre excite les chiens au plus haut point si bien que nous pouvions craindre que l'un d'eux ne bondisse par-dessus la barrière.
Comme notre expédition avait duré au moins deux heures, Youki me suggéra d'insister. Je tirai encore sur la poignée, avec plus de vigueur peut-être, si bien que la porte de la maison s'ouvrit, livrant passage à un Céline renfrogné, en pantalon de velours et pullover chiné, une écharpe de laine autour du cou.
Il avança vers le portail, au milieu de ses chiens aboyants et bondissants, sans esquisser le moindre geste pour les calmer. Malgré sa tenue négligée, Céline avait grande allure. Un regard droit, lumineux, éclairait un visage mal rasé. Un corps svelte, sans un atome de graisse superflue.
Nous examinant à travers les rangs de barbelés de la barrière, il nous demanda ce que nous voulions. Youki se présenta. Au nom de Desnos, Céline tressaillit et faillit rebrousser chemin. Lorsque la veuve du poète lui dit :
- Je viens simplement vous demander pardon pour Robert, je sais que ce n'est pas à cause de vous qu'il a été déporté...
L'homme fixa Youki avec intensité et je vis, l'espace d'une seconde, se dessiner sur son visage fermé une onde de détente tandis que ses mâchoires serrées se relâchèrent. Ce fut bref.
Pendant plus d'une heure Youki et Céline s'entretinrent de part et d'autre de la clôture sans qu'à aucun moment l'écrivain lui proposât d'entrer. Lucette Almanzor apparut un instant sur le seuil du pavillon, nous observa avant de retourner à ses occupations.
Je ne me souviens plus très bien de la conversation entre la veuve du poète et l'écrivain. Mais, ce qui me frappa, c'était le besoin pressant de Youki visible à sa danse alternée sur ses deux jambes.
- Nous allons rater l'autobus... dis-je à un moment donné car, au fond, leur entretien me rasait. Je n'en retins d'alleurs pas grand chose car ils parlaient de personnes et d'événements dont j'ignorais tout. Avant de quitter Céline, Youki lui demanda:
- Que puis-je faire pour vous ? Avez-vous besoin de quelque chose ?
- Eh bien, dit Céline, ce qui me ferait le plus grand plaisir c'est de retrouver un exemplaire du disque où Arletty enregistra quelques passages du Voyage au bout de la nuit.
Nous prenons congé de l'écrivain, sans avoir pu lui serrer la main. La grille était trop haute... et les fils de fer barbelés dissuasifs.
Au bord du chemin allant de la propriété de Céline à la route, Youki se soulage de son besoin pressant et nous redescendons à pied vers Meudon. Nouvel arrêt au bistrot à mi-côte. En nous servant deux ballons de rouge, le loufiat nous demande:
- Alors comment il va l'ami Louis ?
Youki rentre rue Mazarine fourbue. Elle raconte notre expédition à Espinouze.
Dès le lendemain, je me mets en chasse chez les soldeurs et les brocanteurs pour retrouver le disque d'Arletty.
C'est au Puces de Saint-Ouen que j'en retrouve un exemplaire recouvert de poussière que j'achète pour vingt francs (anciens). Je demande au vendeur s'il en a d'autres. Il me dit qu'il y en a tout un lot chez Corbeau. Corbeau a son dépôt dans un box, à deux pas.
Là, j'ai la surprise de tomber sur un tas du disque recherché, empilé, (plus de cinq cents exemplaires) que le soldeur me propose à deux mille francs le lot entier.
Comme je n'ai pas la somme sur moi, je lui verse un acompte et lui dis que je reviendrais dans l'après-midi payer le reste et embarquer le tout.
L'ami Bonsignore, qui dispose d'une antique Lancia d'avant-guerre, accepte de m'aider à transporter le lot. Rue Mazarine, nous déchargeons quelques exemplaires de l'enregistrement et, arrachant Youki à sa sieste, nous voilà en route, pour Meudon, toujours sans prévenir l'écrivain.
Georges, grand blessé de guerre ne m'aide pas à décharger sa voiture. Il doit aller relever ses "compteurs" à Pigalle.
Céline, en découvrant devant son portail le tas de disques que nous venions lui apporter, s'empresse de nous ouvrir. Pendant que Youki et Louis-Ferdinand bavardent dans le salon, je transporte les disques vers la maison à bord d'une brouette.
Les chiens me suivent en grognant, prêts à me dévorer.
Quand j'ai terminé le transport, Youki me remet un billet et me demande d'aller lui chercher quelques bouteilles de rouge chez le loufiat, car la cave de Céline est vide. Il semble qu'il ne boive pas d'alcool.
Quand je reviens, avec les flacons, Céline me dévisage curieusement.
Youki avait du lui parler de moi.
- Il paraît que vous êtes Suisse ?
- Oui !
- Alors, si vous voulez pas devenir crétin, faites attention à votre goître. Beaucoup de Suisses des hautes vallées alpines sont idiots, débiles, tarés parce qu'ils consomment du sel gemme. Ils manquent d'iode. Bouffez des huîtres, jeune homme, faites la cuisine à l'eau de mer, gavez-vous d'algues et vous éviterez peut-être le crétinisme.
Il nous fit entendre la voix d'Arletty sur un vieux tourne-disque et, pour la première fois, je vis Céline ému.
Je ne le revis qu'une fois, en compagnie d'Arletty, que Georges et moi allâmes chercher chez elle pour la conduire route des Gardes. Nous ne restons pas longtemps, car Georges doit comme d'habitude aller surveiller ses tapins.
Pendant plus d'une heure Youki et Céline s'entretinrent de part et d'autre de la clôture sans qu'à aucun moment l'écrivain lui proposât d'entrer. Lucette Almanzor apparut un instant sur le seuil du pavillon, nous observa avant de retourner à ses occupations.
Je ne me souviens plus très bien de la conversation entre la veuve du poète et l'écrivain. Mais, ce qui me frappa, c'était le besoin pressant de Youki visible à sa danse alternée sur ses deux jambes.
- Nous allons rater l'autobus... dis-je à un moment donné car, au fond, leur entretien me rasait. Je n'en retins d'alleurs pas grand chose car ils parlaient de personnes et d'événements dont j'ignorais tout. Avant de quitter Céline, Youki lui demanda:
- Que puis-je faire pour vous ? Avez-vous besoin de quelque chose ?
- Eh bien, dit Céline, ce qui me ferait le plus grand plaisir c'est de retrouver un exemplaire du disque où Arletty enregistra quelques passages du Voyage au bout de la nuit.
Nous prenons congé de l'écrivain, sans avoir pu lui serrer la main. La grille était trop haute... et les fils de fer barbelés dissuasifs.
Au bord du chemin allant de la propriété de Céline à la route, Youki se soulage de son besoin pressant et nous redescendons à pied vers Meudon. Nouvel arrêt au bistrot à mi-côte. En nous servant deux ballons de rouge, le loufiat nous demande:
- Alors comment il va l'ami Louis ?
Youki rentre rue Mazarine fourbue. Elle raconte notre expédition à Espinouze.
Dès le lendemain, je me mets en chasse chez les soldeurs et les brocanteurs pour retrouver le disque d'Arletty.
C'est au Puces de Saint-Ouen que j'en retrouve un exemplaire recouvert de poussière que j'achète pour vingt francs (anciens). Je demande au vendeur s'il en a d'autres. Il me dit qu'il y en a tout un lot chez Corbeau. Corbeau a son dépôt dans un box, à deux pas.
Là, j'ai la surprise de tomber sur un tas du disque recherché, empilé, (plus de cinq cents exemplaires) que le soldeur me propose à deux mille francs le lot entier.
Comme je n'ai pas la somme sur moi, je lui verse un acompte et lui dis que je reviendrais dans l'après-midi payer le reste et embarquer le tout.
L'ami Bonsignore, qui dispose d'une antique Lancia d'avant-guerre, accepte de m'aider à transporter le lot. Rue Mazarine, nous déchargeons quelques exemplaires de l'enregistrement et, arrachant Youki à sa sieste, nous voilà en route, pour Meudon, toujours sans prévenir l'écrivain.
Georges, grand blessé de guerre ne m'aide pas à décharger sa voiture. Il doit aller relever ses "compteurs" à Pigalle.
Céline, en découvrant devant son portail le tas de disques que nous venions lui apporter, s'empresse de nous ouvrir. Pendant que Youki et Louis-Ferdinand bavardent dans le salon, je transporte les disques vers la maison à bord d'une brouette.
Les chiens me suivent en grognant, prêts à me dévorer.
Quand j'ai terminé le transport, Youki me remet un billet et me demande d'aller lui chercher quelques bouteilles de rouge chez le loufiat, car la cave de Céline est vide. Il semble qu'il ne boive pas d'alcool.
Quand je reviens, avec les flacons, Céline me dévisage curieusement.
Youki avait du lui parler de moi.
- Il paraît que vous êtes Suisse ?
- Oui !
- Alors, si vous voulez pas devenir crétin, faites attention à votre goître. Beaucoup de Suisses des hautes vallées alpines sont idiots, débiles, tarés parce qu'ils consomment du sel gemme. Ils manquent d'iode. Bouffez des huîtres, jeune homme, faites la cuisine à l'eau de mer, gavez-vous d'algues et vous éviterez peut-être le crétinisme.
Il nous fit entendre la voix d'Arletty sur un vieux tourne-disque et, pour la première fois, je vis Céline ému.
Je ne le revis qu'une fois, en compagnie d'Arletty, que Georges et moi allâmes chercher chez elle pour la conduire route des Gardes. Nous ne restons pas longtemps, car Georges doit comme d'habitude aller surveiller ses tapins.
* Lucie Badoud (1903-1966) reçut le surnom de Youki (neige en japonais) de son mari, le célèbre peintre japonais Tsugouharu Foujita, coqueluche du Montparnasse des années Trente. C'est lui qui la confia à Robert Desnos, son amant notoire, en décembre 1931 quand il quitta Paris.
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