Dans le
bimestriel Eléments n° 169 de Décembre 2017
A la rubrique Un homme,
une revue
Marc Laudelout, Directeur-fondateur du Bulletin célinien vu par Chard |
Entretien
avec Marc Laudelout, Directeur-fondateur du Bulletin célinien
Voyage
au bout de Céline
Le Bulletin
célinien fête son 400e numéro. Les céliniens le lisent avec la
même avidité que Julien Sorel se jetant sur le Bulletin de la
Grande Armée.
ÉLÉMENTS : Quelle
mouche vous a piqué quand vous avez lancé en 1982 le premier numéro
du Bulletin célinien ?
MARC
LAUDELOUT : En fait, il y eut d'abord un n° 0, très recherché
par les amateurs, qui fut publié à la fin
de l'année1981, celle du vingtième anniversaire de la mort
de Céline. L'idée était de prolonger la chronique de
l'actualité célinienne qui figurait dans feu La Revue célinienne, que
j'avais fondée en 1979. Elle n'eut que trois numéros ayant laissé
la place à une maison d'édition du même nom qui publia notamment trois
essais sur Céline de mon compatriote Pol Vandromme, dont le
dernier consacré aux relations croisées entre Céline, Marcel Aymé et Roger Nimier.
Le Bulletin se voulait donc au départ (c'était bien
avant Internet) un lien régulier avec les céliniens pour les
informer des publications, conférences et colloques, adaptations théâtrales,
échos de presse, etc. D'abord trimestriel, le BC devint mensuel dès
l'année 1983 et augmenta peu à peu son nombre de
pages pour se stabiliser depuis quelques années à
24 pages format in-octavo. Aujourd'hui nous publions des études, des
témoignages, des correspondances inédites, des commentaires divers, en
plus de la recension de l'actualité célinienne. Enseignant
pendant une trentaine d'années, j'ai toujours eu une vocation rentrée
de journaliste (littéraire) : le BC fut l'occasion d'assouvir ce
penchant. Avant de créer le Bulletin, j'ai collaboré à une revue belge
aujourd'hui disparue, Europe-Magazine, qui me permit d'interviewer des
personnalités admirant Céline, comme Arletty, lectrice enthousiaste
de Voyage en 1932, ou Robert Poulet, auteur d'un des premiers
livres sur le sujet (Entretiens familiers avec L.-F. Céline) paru
en 1958.
Dans Le Nouvel Europe magazine, un article place Céline à droite…
Le Bulletin célinien est le seul mensuel consacré à un
écrivain. Céline serait-il un monde à lui seul ?
ML : C'est une œuvre considérable qui suscite un nombre élevé d'essais (une demi-douzaine cette année) et trois revues spécifiques en plus du BC (Études céliniennes, L’Année Céline et Spécial Céline). À l'instar de certains peintres, Céline a su renouveler sa manière : il y a une constante évolution stylistique et narrative de Voyage au bout de la nuit à Mort à crédit, puis de Mort à crédit à Féerie pour une autre fois. Céline, c'est aussi toute une mythologie qui fascine les céliniens : du médecin de dispensaire à Clichy au clochard dépenaillé de Meudon en passant par l'exilé ostracisé au Danemark. Toute son œuvre, écrite à la première personne, est largement inspirée par sa vie mouvementée. Très marqué par la Première Guerre au début de laquelle il fut grièvement blessé au cours d'une mission héroïque de liaison, il connut ensuite une vie aventureuse à Londres (où il se maria pour la première fois à l'âge de 22 ans), puis au Cameroun, où il géra une plantation avant d'entreprendre, en Bretagne et à Paris, des études de médecine. Plus tard son engagement politique l'amena à connaître en 1944 l’Allemagne dévastée et la colonie française de Sigmaringen, dans le Bade Wurtemberg. Ces expériences multiples ont nourri dix romans écrits du début des années trente à l'année 1961 qui est celle de sa mort, alors qu'il n'a pas terminé la mise au point de son ultime roman, Rigodon, qui sera posthume.
« Je crains l'homme d'un seul livre », disait saint Thomas d'Aquin.
Faut-il se méfier de l'homme d'un seul auteur ?
ML : La plupart des céliniens sont loin de ne s'intéresser qu'à leur écrivain de prédilection. Pour ma part, je suis aussi un lecteur passionné de Proust,Tolstoï, Faulkner, Kundera, Roth, et tant d'autres. Mais il est difficile d'être spécialiste patenté de plusieurs écrivains à la fois. Henri Godard, brillant exégète de Céline, y est arrivé en travaillant aussi sur Giono et Malraux. Loin de moi l'idée de me comparer à ce professeur émérite de la Sorbonne ! Comme je l'indique dans le n° 400, je me considère comme un simple publiciste célinien auquel on peut tout au plus reconnaître une certaine constance.
Rassurez-nous : il n'y aucune raison que l'aventure du Bulletin se
termine. Céline est inépuisable...
ML : En effet. Cette œuvre est très riche et en réalité assez méconnue (en dehors de Voyage et de la trilogie allemande). À l'égal de celle des géants de la littérature mondiale, elle se prête à maintes analyses comme le montrent, depuis 1976, les colloquies organisés par la Société d'études céliniennes. Le prochain aura lieu en juillet prochain sur le thème « Céline et le politique », vaste sujet. Le fait que l'auteur ait souhaité la victoire des forces de l'Axe, sans parler de son antisémitisme et même de son racisme, fait de lui un auteur dont on n'a pas fini d'interroger la personnalité complexe et ambivalente. Céline est à la fois un romancier, créateur d'un style original à la mesure de son imaginaire, et un pamphlétaire d'une grande virulence qui fait de lui un écrivain éminemment sulfureux, même s'il est pléiadisé et reconnu dans le monde comme l'un des plus grands auteurs du siècle passé.
BP 77, 1200 Bruxelles, Belgique)
Le Bulletin célinien a aussi un blog: http://bulletincelinien.com
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