vendredi 29 octobre 2021

Céline, une pathologie française dans Actualite Juive n°1613 du 30 septembre 2021


Dans son numéro n°1613 du 30 septembre 2021, 
Actualite Juive titre en couverture Céline, une pathologie française et annonce les points forts du dossier : 
- La rocambolesque histoire des manuscrits retrouvés ! 
- Antisémite et pronazi, la vérité sur le « grantécrivain » ! 
- Enquête sur les puissants « célinomanes » ! 
- Avec les décryptages de Pierre-André Taguieff et d’Emile Brami.
Pas de quoi vraiment fouetter un chat !
Je me suis tout de même attelé à la lecture de ce numéro, appâté par le décryptage d'Émile Brami annoncé à côté de celui de Taguieff dont nous ne pouvons plus attendre beaucoup tant il a raclé le fond de ses tiroirs pour nous "prouver" que Céline était antisémite (sic) et collabo (ce dont son dernier pavé ne nous a pas convaincu). Mais contrairement à ce qui était annoncé en couverture, si le décryptage de Taguieff s'étale sur deux pages dans lesquelles il nous ressert ses mêmes salades, celui de Brami se résume à deux ou trois citations sans contexte et déjà lues ailleurs. 
Le contenu du dossier est résumé en page 8 :
- La récente découverte de 6000 pages inédites va sans doute conduire à une « réévaluation de l'immense œuvre célinienne », comme le prévoit Bernard-Henri Lévy dans Le Point.
- L'écrivain Jean Narboni et l'historien des idées Pierre-André Taguieff pointent la durable cécité des milieux culturels et li!éraires face à l'antisémitisme avéré de Céline, de nature hitlérienne.
- De Patrick Buisson à Philippe Sollers, les inconditionnels de l'auteur de Voyage au bout de la nuit sont légion. À quoi tient leur engouement ? Pourquoi la haine des juifs est-elle souvent minorée?
De tout ça, nous avons retenu deux articles médiocres et surtout attendus qui n'apportent rien au débat, dont celui d'Alexis Lacroix qui se tord les cheveux pour nous dire combien il hait ce qu'il aime ! Et un entretien plus intéressant avec Jean Narboni, auteur de La Grande illusion de Céline.

Affaire des manuscrits retrouvés 
Pourquoi Céline n’en finit pas de faire parler de lui par Laëtitia Enriquez

La découverte de milliers de feuillets inédits de Céline est un événement littéraire, mais quelles conséquences pourrait avoir cette affaire rocambolesque ?
Pour le philosophe Bernard-Henri Lévy, dans Le Point, la découverte de 6 000 pages inédites écrites par Céline est si importante que « c’est toute l’œuvre célinienne et, par la force des choses, toute la littérature du XXe siècle qui, lorsque cette somme sera publiée, devront être réévaluées ». L’événement, révélé par le journal Le Monde le 4 août dernier, relève à la fois de l’exceptionnel et du rocambolesque. Ces milliers de feuillets disparus en 1944, qui viennent de ressurgir dans des circonstances étonnantes, mais qui restent encore à éclaircir, représentent sans doute la plus grande découverte littéraire des dernières décennies.
Dans cet équivalent d’un mètre cube de feuillets relativement bien conservés se trouvent l’entièreté du manuscrit de Casse-pipe ; le manuscrit de Londres, un roman inédit ; mille feuillets d’une version complète de Mort à crédit ; un conte médiéval, La Volonté du roi Krogold ainsi que des lettres à Robert Denoël et peut-être à Robert Brasillach.
Sur France Culture, le 18 août dernier, Antoine Gallimard a déclaré souhaiter « se mettre d'accord avec les deux ayants droit pour aller le plus vite possible et démarrer le plus tôt possible, dès le mois de septembre, pour l'édition déjà de Casse-pipe. En trouvant la bonne formule pour faire un appareil critique léger, afin d'expliquer l'importance de ce texte-là, dans la genèse de l'œuvre de Céline ». Il faudra, toutefois, régler les questions juridiques que pose la résurrection de ces archives. Jean-Marc Thibaudat, critique dramatique et ancien journaliste à Libération dit s’être vu remettre ces feuillets écrits de la main de Céline par un de ses anciens lecteurs qui lui avait demandé de ne pas les rendre publics avant la mort de Lucette Destouches, la veuve de l’écrivain et ce, afin de ne pas l’enrichir. Ce n’est donc qu’à la suite de la mort de celle-ci que le journaliste est allé révéler à l’avocat Emmanuel Pierrat, spécialiste du milieu littéraire, être le récipiendaire de cette somme de documents.
Depuis, les deux ayants droit de Céline, Véronique Chauvin, ancienne confidente et élève de Lucette Destouches et l’avocat François Gibault ont déposé une plainte pour recel de vol contre Thibaudat. Pour l’heure, l’ancien journaliste refuse d’en dire plus sur le donateur qui lui aurait donné gracieusement ces manuscrits, invoquant le « secret des sources ». Deux pistes pour l’heure se profilent pour déterminer qui aurait, en 1944, volé ces documents à l’auteur antisémite. Des résistants qui, lors d’une perquisition de l’appartement de Céline, en août de cette année-là, se seraient emparés du magot. Ou bien Oscar Rosembly, ami de Céline d’origine juive à qui l’auteur antisémite avait demandé de tenir sa comptabilité « parce qu’il pensait justement qu’il était juif », explique Émile Brami, libraire et biographe de Céline. Celui-ci croit la seconde version plus plausible. « Corse, Oscar Rosembly, possédait une maison sur l’Île où ces documents auraient pu être conservés dans un air plus sec que dans des caves parisiennes. Cela expliquerait leur maintien dans un état plutôt bon », estime-t-il entre autres raisons. Pour Émile Brami, qui a pu consulter ces documents inédits, il ne saurait y avoir de nouvelles découvertes antisémites dans ces écrits. « Il y a des documents dont Céline s’est servi pour écrire ses pamphlets mais il n’y a rien de plus que ce que l’on connaît déjà », explique-t-il. « Qu’est-ce que l’on pourrait d’ailleurs découvrir de pire que ce qui été publié dans les pamphlets ? », ajoute-t-il, en réponse à ceux qui penseraient que cette découverte pourrait accabler davantage l’écrivain. « Céline était un type extrêmement désagréable. En même temps, il a créé quelque chose d’exceptionnel. Est-ce que l’on peut se permettre de s’en priver ? 
C’est toute la question», résume-t-il. 
Laëtitia Enriquez

Entretien avec Jean Narboni (La grande illusion de Céline) par Laëtitia Enriquez

Jean Narboni : « La folie, si folie il y a, va toujours dans le sens de la conviction »

L’ancien rédacteur en chef des Cahiers du cinéma vient de publier La Grande illusion de Céline qui, sous la forme d’une fable, examine l’obsession antisémite de l'écrivain.

Actualité juive : Pourquoi avez-vous décidé de vous pencher sur le lien entre Céline et Renoir à travers le prisme du film La grande illusion ?
Jean Narboni : Je connaissais la polémique qui avait opposé Céline à Renoir mais pas dans ses détails. Je me suis donc penché sur le long texte de Céline qui, dans son pamphlet le plus célèbre, Bagatelles pour un massacre, s’en prend très violemment à La grande illusion. Tel était le point de départ de ma recherche mais plus j’avançais et plus je découvrais des choses qui m’impressionnaient. Dans ce pamphlet, Céline vise principalement le personnage du lieutenant français Rosenthal, joué par Marcel Dalio, et s’en prend à Renoir qui le présente comme étant un personnage sympathique, patriote et amical. Rien de surprenant après tout que Céline, antisémite notoire, s’en prenne au personnage d’un juif sympathique. Mais je me suis ensuite aperçu que Céline, lui qui voyait des Juifs partout - Racine était Juif selon lui, tout comme Louis XIV, Marat, le Pape...-, avait été mystifié par deux personnages dont il n’avait rien vu et qu’il traite d’aryens. Son obsession et celle de ses comparses (le docteur Montandon et le spécialiste d’onomastique juive Bernadini) était de savoir comment reconnaître un Juif. J’ai donc essayé de construire une sorte de conte noir sur cette idée de tel est pris qui croyait prendre et tenter ainsi de montrer que son antisémitisme et son diagnostic infaillible n’étaient qu’une absurdité.
AJ : Vous évoquez la question de la « folie » pamphlétaire et raciste de Céline. Pensez-vous que cette folie pourrait le rendre « irresponsable » de son antisémitisme ?
J.N. : Je ne suis pas expert en psychiatrie et l’on pourrait débattre infiniment de savoir si Céline était fou lorsqu’il écrivait les pamphlets et pas fou lorsqu’il écrivait Voyage au bout de la nuit. Sur la question plus générale de l’exonération des personnes auxquelles on reconnaît des éléments de dérangement mental, j’ai trouvé une analyse intéressante dans les écrits de Céline lui-même. Dans Voyage au bout de la nuit, le personnage de Baryton, patron psychiatre en vient à dire à Bardamu, que « des convictions exagérées, forcées et obstinées ne sont pas loin de conduire à la folie ». Céline prétendait ne pas avoir d’idée, mais il avait des convictions extrêmement exagérées. La folie n’est finalement qu’une normalité devenue cancéreuse. Et puis, la folie, si folie il y a, va toujours dans le sens de la conviction.
AJ : Peut-on, aujourd’hui encore, avec ce que l’on continue de découvrir, toujours aduler Céline ?
J.N. : La tendance la plus répandue aujourd’hui consiste à dire qu’il faut séparer l’homme de l’œuvre. L’œuvre est géniale tandis que l’homme était quelqu’un d’inqualifiable. Une autre position consiste à noyer son antisémitisme dans celui de son époque. Or, l’antisémitisme de Céline était très particulier. Il refusait d’ailleurs ce terme et, dans une lettre à Cocteau, il expliquait être raciste et être plus proche des lois de Nuremberg que des mesures antijuives de Vichy. Cela fait
de lui quelqu’un de tout à fait différent de l’antisémitisme archi-dominant dans lequel ceux qui veulent l’exonérer en tant que personne cherchent à l’inclure. 
Propos recueillis par Laëtitia Enriquez


Les « célinomanes » par Alexis Lacroix

Raymond Aron n’avait pas tort : beaucoup d’intellectuels et d’hommes de lettres ont voué, et continuent à vouer, et malgré tous les enseignements du vingtième siècle, un culte à la violence.

Violence connotée de « progressisme » parfois – c’était celle, précisément, que l’auteur de L’Opium des intellectuels avait en ligne de mire, au milieu des années cinquante, quand l’Union soviétique exerçait sa fascination idéologique. Mais aussi, violence nihiliste, et bientôt préfasciste, qui a jailli à la fin du dix-neuvième siècle depuis le sous-sol de nos sociétés modernes, dépeint par Dostoïevski. Une violence qui affole encore les radars de nombre d’amateurs éclairés de culture et de littérature. C’est à cette aune qu’il faut comprendre la durable complaisance qui entoure Louis-Ferdinand Céline : il serait, tout bien pesé, un « marginal », un enfant triste et perdu au siècle des Orages d’acier.
Suraigu dans sa lucidité, l’auteur du Voyage au bout de la nuit incarnerait aussi le prototype de l’homme affranchi, libéré des conventions et des préjugés de la bourgeoisie, un être d’exception sur lequel le carcan de la « décence commune » n’aurait pas de prise. Véhémente, convulsée de haines, écorchée et écorchante, son écriture n’en serait pas moins une infalsifiable signature de vérité.
Ce romantisme-là survit à tout et c’est en France, bien sûr, et, plus largement, dans le contexte francophone, que la sidérante mansuétude pour notre « grantécrivain » atteint à des sommets de raffinement… et d’irréalité. Malgré l’évidence de son antisémitisme déchaîné, relevant bien plus de l’hitlérisme que du passéisme réactionnaire de l’«idéologie française», la cécité des pro-Céline reste inébranlable. Confrontés à des phrases comme « La France est une colonie juive, sans insurrection possible, sans discussion ni murmure » (1), ou à cet appel au meurtre - « Luxez le juif au poteau ! Y'a plus une seconde à perdre ! » (2) -, sans oublier des considérations raciales dignes des idéologues du Stürmer – « Les juifs, racialement, sont des monstres, des hybrides, loupés, tiraillés qui doivent disparaître (...) dans l'élevage humain, ce ne sont, tout bluff à part, que bâtards gangreneux, ravageurs, pourrisseurs » (3) -, les célinomanes rechignent à revoir à la baisse leur admiration. Comme si celle-ci s’avérait plus forte, plus inoxydable que le trouble suscité par une haine raciste aussi désentravée. Bizarre…
Chez les conservateurs, les tentatives de blanchiment de Céline sont allées crescendo ces dernières années, sur fond de décomplexion d’une droite perfusée à jets continus par les transgressions d’un Patrick Buisson, lui-même auteur, en 2012, d’un film très élogieux, « Paris Céline », où Lorant Deutsch jouait les guides touristiques.
Plume respectée du Figaro, le journaliste Michel de Jaeghere s’est livré, il y a dix ans, à un plaidoyer argumenté – qui consacre, non sans justesse bien sûr, la
génialité célinienne : « Il s’impose aux plus réticents. Céline ne s’est pas contenté, en inventant un style, de faire entrer la langue parlée dans le langage écrit, la gouaille populaire dans le corps de la narration […] il a imprimé un rythme étourdissant à la phrase, comme pour la rendre capable d’exprimer l’accélération du siècle ».
N’en jetez plus ! Dans cette pluie d’éloges, pas un traître mot du collaborationnisme avéré – et particulièrement frénétique – du détracteur en chef des «négroïdes juifs». Plus près de nous, au dernier semestre de l’année 2018, David Alliot et Éric Mazet se livrent moins à la célébration du « grantécrivain » qu’à sa décontamination. Leur libelle, Avez-vous lu Céline ?, entend faire justice des griefs avérés par le travail source, et accablant, de Pierre-André Taguieff et d’Annick
Duraffour : non, insistent les auteurs, Céline n'a aucunement été un agent d'influence au service du IIIe Reich, et, de surcroît, il était à mille lieux d’imaginer ce qui pouvait se tramer alors à l’échelle de l’Europe contre le peuple juif. S’il est une image insistante dont ces avocats dévoués s’évertuent à persuader leurs
lecteurs de la consistance, c’est celle d’un Céline-Petit Chose et grand naïf, d’un homme ballotté au gré des bourrasques et autres intempéries d’un siècle de fer. Un innocent donc, une quasi-victime ! Et puis, reste l'essentiel, de nature plus philosophique. Dans son Céline, publié en 1981, le regretté Philippe Muray a montré qu'à partir du milieu des années trente, la haine des juifs s'aiguise jusqu'au délire dans le cerveau convulsé du médecin devenu écrivain, et que s’il en vient à militer pour la politique de la main tendue à l'Allemagne nazie, c’est dans l’intention de guérir le monde de la « tumeur » juive. De cette thèse, très forte, Alliot et Mazet ne tirent hélas pas la moindre leçon.
Un malheur ne venant jamais seul, la clairvoyance n’est pas non plus la chose du monde la mieux partagée dans les franges nettement plus humanistes de l’intelligentsia. Les mêmes qui chipotent sur telle ou telle colère du trop catholique Bernanos, ou qui opposent une moue dubitative au dreyfusard Péguy, se jettent avec délectation dans les bras du collabo Céline. Cherchez l’erreur ! 
Jean Paulhan a été le pionnier de la mode célinienne – très bien portée «rive gauche». En réponse à une enquête sur le «Procès Céline» publiée par Le Libertaire en 1950 (Voir notre dossier précédent), Paulhan s’exclame : « Si l’anarchie est un crime, qu’on le fusille ! ». Plus récemment, Milan Kundera lui sauve la mise avec un lexique chrétien dans Les Testaments trahis : «Des immatures jugent les errements de Céline sans se rendre compte que les romans de Céline, grâce à ces errements, contiennent un savoir existentiel qui, s’ils le comprenaient, pourrait les rendre plus adultes ». Avant d’ajouter que le « pouvoir de la culture » « rachète l’horreur en la transsubstantiant en sagesse exceptionnelle ». Enfin, dans son Céline, Philippe Sollers ne lésine pas sur les efforts absolutoires : « Je sais que cela peut prendre encore un siècle ou deux, mais il faut débarrasser Céline de ses oripeaux de fou vociférant, et cela va de soi, de son antisémitisme ». Et Sollers d’ajouter : « L’image qui prédominera alors sera celle d’un Céline enfantin […] un enfant innocent perdu dans un monde coupable ».
De tous côtés, le terrain littéraire est donc quadrillé, verrouillé. Et si le temps était venu - au risque d’être aussitôt taxés d’« immatures » ! - de changer, enfin, d’approche ?
(1) Bagatelles pour un massacre (2)(3) L'École des cadavres (3) L'École des cadavres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire