dimanche 11 novembre 2018

Portrait du Dandy, défenseur de la veuve et du Célinien - François Gibault dans Vanity Fair de septembre 2018

Heureusement, il donne des nouvelles de Lucette !




L'exécuteur testamentaire dLouis-Ferdinand Céline est aussi un dandy sentimental, "people" féru d'art et de spectacles, "sulfureuse nouvelle idole des jeunes du barreau"…


Il esaussi l'exécuteur testamentaire dLouis-Ferdinand Céline, dont il a tenté dfaire republier les pamphlets antisémites en 2017. Il les juge indispensables à la compréhension de l'œuvrenoirceur comprise. L'éditeur, Antoine Gallimard, a trouvé un temps l'idée «intéressante», à condition d’accompagner les textes d'un sérieux appareil critique, mais le tollé médiatique l'a dissuadé. Gibault, luiy croit encore. «Nous les publierons quand nous serons prêts». […]
«Je vous ai montré mon buste ?» me dit-il en se levant. Il m'amène devant un bronze représentant Céline, yeux clos et visage penché sur la droite. «Il a été
moulé sur son lit de mort».


En 1962, le jeune avocat fait trois rencontres qui vont changer son existence: Bob Westhoff, le mari de Françoise Sagan, l'artiste Jean Dubuffet et Lucette Almanzor, la veuve de Céline. Il a rencontré l'ancienne danseuse un an à peine après la mort de l'écrivain. Elle habite un pavillon plein de chiens et de perroquets sur les hauteurs de Meudon, là où son mari a fini sa vie après l'exil en Allemagne et la prison au Danemark. Elle a hérité de dettes colossales et d'une existence pleine de lézardes comme celles qui fissurent les murs de sa bâtisse. Le succès du Voyage au bout de la nuit (Denoël, prix Goncourt en 1932 (sic)) n'est plus qu'un lointain souvenir et les livres de Louis-Ferdinand menacent de tomber dans l"oubli. Gibault, lui-même né en 1932, ne les a pas lus. Il a vingt ans de moins que Lucette et, hormis le goût de la danse et les bains glacés, il ne partage pas grand chose avec elle. Ils vont pourtant devenir inséparables, animés par le même projet un peu fou: ressusciter l'œuvre de Céline. Il faut d'abord publier les ouvrages posthumes. A la fin des années 1960, Lucette confie à Gibault un manuscrit couvert de pattes de mouche : Rigodon. récit de leur étrange périple à Sigmaringen à la fin de la guerre. Chaque dimanche à Meudon, les deux amis tentent de déchiffrer le texte, une assiette de saumon et de foie gras sur les genoux. Souvent Bob Westhoff les accompagne.



Dans un recoin du salon trône une sculpture de l'avant-bras de Céline. « Il avait des mains très fines, presque des mains de femmes », remarque-t-il, caressant l'objet de bronze du bout des doigts. Après la publication de Rigodon, il s'est mis en tête d'écrire la première grande biographie de l'écrivain. Quinze ans de travail dans les archives de Lucette chaque week-end. Le résultat tient en trois tomes publiés entre 1977 et 1981. Gibault devient à la fois le meilleur expert de Céline, mais aussi le gardien du temple maudit. Ceux qui veulent faire le pèlerinage de Meudon doivent obtenir sa bénédiction. «Gibault est conquis» se félicite le très controversé Marc-Édollard Nabe dans son journal intime, Au Régal des vermines (Barraull, 1985), après avoir réussi l'examen de passage. «Il n'empêchera plus Lucette de me recevoir, il ne me trouvera plus "dangereux".»
Gibault a toujours un nouvel ami à présenter à la veuve : Charles Aznavour, Florian Zeller ou Carla Bruni. Dès la première rencontre, les deux femmes se jettent dans les bras l'une de l'autre , «comme des vieilles amies» et «jacassent comme des pies », note l'avocat. 
Quand vient le moment où on l'interroge sur Céline, Lucette parle de son Louis comme s'il s'apprêtait à sortir de la cuisine. Qu'il s'agisse d'un colloque ou d'un projet de film, elle ne prend jamais une décision sans consulter François. Au fond, elle trouve qu'ils se ressemblent un peu. Cette élocution saccadée et chuintante, ce côté bourgeois iconoclaste, dur et sentimental. « La vision du monde de Gibault est très célinienne» confirme l'écrivain Arthur Dreyfus « Pour les deux, les hommes sont peu ou prou des cafards grouillants. »  […] Son petit-neveu Guillaume « sait à quel point François aurait pu, comme Céline, se consumer dans les passions tristes, finir en clochard misanthrope étouffé par le fiel. »




Il continue à rendre visite à Lucette une fois par semaine. «Elle ne se déplace plus sans assistance, mais sa tête fonctionne parfaitement » soupire-t-il.
Il préside aussi la fondation Dubuffet et travaille aussi sur un prochain livre, une biographie croisée de Céline et Dubuffet. « Tous deux avaient beaucoup en commun: c'étaient des teigneux, des bourgeois libertaires et amoureux de l'ordre » remarque-t-il.

Adaptation théâtrale de Nord, d'Avignon à Berlin par le Volksbühne (juillet à septembre 2007)


6 au 8 juillet 2007 Cour du lycée Saint-Joseph 21 h 30 (durée 3h)
spectacle en allemand, surtitré en français 

C'est au Wiener Festwochen de Vienne, le 7 juin 2007, que fut crée cette adaptation théâtrale de Nord de Louis-Ferdinand Céline par Frank Castorf. 
C'est une co-production Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin), Festival d’Avignon, Festival d’Athènes, et du Wiener Festwochen (Festival de Vienne) avec le soutien de la Fondation Deutsche Klassenlotterie.
Après le 61e festival d'Avignon, la pièce a été jouée du 14 au 16 juillet 2007 au Festival d’Athènes et à partir du 20 septembre 2007 à la Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz (Berlin).


Interview de Frank Castorf. Allemand de l'Est né à Berlin en 1951. Ses premiers spectacles sont jugés incorrects par la censure
et retirés de l’affiche. À l’issue d’un procès contre les autorités dont il sort gagnant, il est expédié à Anklam (au fin fond de la RDA). La censure veille sur lui : il est remercié en 1985.
Après la chute du mur, il arrive à la tête de la Volksbühne. Admirateur de Karl Marx, de Hegel et des Rolling Stones, Frank Castorf est un artiste politisé, brillant et
controversé. Il incarne depuis vingt ans le versant indépendant et subversif de la pensée et de la culture allemande.

https://www.journal-laterrasse.fr/frank-castorf-3/


Le pire des mondes possibles 

Frank Castorf de la Volksbühne monte Nord d’après Céline. Une description apocalyptique de la fin d’une Allemagne mais aussi d’une Europe, celle des collaborateurs repliés en Allemagne. Nord est peu connu parmi les ouvrages emblématiques de Céline.


Frank Castorf : Nord est un récit de voyage issu d’une trilogie – D’un château l’autre, Nord et Rigodon – qui décrit la fin du Reich allemand. Zornhof où réside l’écrivain se situe à cinquante kilomètres de Berlin où je vis. Céline est en fuite ; quand il arrive en Allemagne, pays qu’il connaît bien, il le scrute comme pour une vivisection. Il décrit la chute de l’Allemagne vue d’en bas, du côté des fuyards, des travailleurs enrôlés de force dans les usines allemandes, des soldats SS pris dans la débâcle, des prisonniers de guerre. C’est une description qu’on ne trouve pas dans la littérature allemande ; elle permet de découvrir une forte présence européenne en Allemagne non mentionnée par l’Histoire officielle. Des hommes de toutes les nations erraient à travers les villes allemandes et avaient besoin de manger et de faire l’amour, ils essayaient de survivre dans cette antichambre de l’enfer. La description célinienne de cette apocalypse est surprenante car ces fragments, des esquisses d’une précision naturaliste extrême, donnent une impression presque surréaliste, reflètent l’Histoire de plus près et de manière plus vraie qu’un récit objectif. Je pense souvent au roman de Voltaire Candide, qui se passe aussi dans un château, et qui me rappelle celui de Zornhof. Mais si Voltaire part de la sentence de Leibniz pour qui le monde est «  le meilleur des mondes possibles », Céline décrit le pire des mondes possibles.





Comment cette œuvre peut-elle résonner chez les spectateurs ?
Frank Castorf :  Céline est un monstre vomissant de la littérature, l’artiste qui dans une situation extrême s’arroge la liberté de vivre comme il l’entend. Un auteur qui saisit la vie de manière psychopathologique, en énonçant ce qu’il ressent et qu’on ne peut forcément juger à l’aune de nos catégories éthiques et morales, notamment à travers le politiquement correct que l’Amérique nous impose. Le choix d’une transposition dans le champ de la provocation est important. L’art est stimulant, il sert à éprouver les valeurs. Il s’agit de trouver, dans l’esprit du Siècle des Lumières, ce qui est vrai. Le provocateur diabolique a sa raison d’être, c’est pourquoi je n’aime pas faire le partage entre le bon et le mauvais, l’homme pratique et le théoricien, tous deux mêlés chez Céline. Il faut oser voir la quantité de mal qui peut se cacher dans un être humain.

« La métaphore centrale sur le plateau de Bert Neumann sera celle du wagon de train. »

Quelle scénographie privilégiez-vous ?
F. C. : La métaphore centrale sur le plateau de Bert Neumann sera celle du wagon de train. Il représente ce mouvement permanent de ceux qui ont traversé l’Europe entière dans la fuite, vers le front, vers Auschwitz. C’est la métaphore que nous ferons bouger sur le plateau en un seul décor. Quand je réfléchis à ce temps de guerre, ce sont ces images de train qui me viennent en tête, les directeurs des chemins de fer allemands savaient ce qui se passait à Auschwitz. Nous essayons de faire apparaître ces stations, Baden-Baden, Zornhof ou Berlin, avec ce wagon comme une histoire naissant de sa propre logique de train, comme une boîte de Pandore qui régurgite toutes ces histoires.