vendredi 31 décembre 2021

Correspondance de Max Jacob à Jacques Mourlet… quelques allusions à Céline

Correspondance  (1939 à 1944) de Max Jacob à Jacques Mourlet 
dans laquelle il est un peu question de Céline…

C’est par le truchement de sa mère Mathurine, que Jacques Mourlet (1916-1971) entre en correspondance avec Max Jacob. Mathurine a, semble-t-il, souhaité cette rencontre afin que son fils « soigne son langage et son style » : l’initiative a réussi et les deux hommes vont effectivement échanger une correspondance très chaleureuse de 1939 à 1944. Lorsque le poète fait sa connaissance, Jacques a 23 ans ; on est à la veille de la guerre. Jacques va être incorporé dans l’armée de l’Air ; il est stationné à Tours, d’où l’appellation fréquente de « l’aviateur de Tours » qu’on trouve sous la plume de Jacob. L’épistolier n’a pas été indifférent à ce service militaire ; dès la première lettre à Jacques, il explique sa sympathie pour ceux qui choisissent la vie militaire en raison de la discipline que cette vie exige : « Quant à la question de la caserne... c’est une école ! On apprend l’humanité à la caserne. » Cette première lettre adressée par un Jacob vieillissant de 63 ans à Mourlet témoigne d’une immense sympathie ; dès le départ, Jacques est déjà « mon ami » : « Monsieur, cher monsieur, monsieur mon ami, cher ami, mon cher Jacques Mourlet... cher Jacques en somme – » (lettre 1). Jacques Mourlet était sans doute déjà destiné à devenir un de ces amis privilégiés de Jacob qu’il mettait dans une catégorie à part, un ami en quelque sorte élu, au statut particulier. Jacques est un jeune homme à « former » et Max Jacob aime à former des caractères ; Jacques est de Bretagne et surtout quimpérois. Partant, l’amitié est immédiate et Jacob «adopte» le jeune homme. 

Magdeleine Mourlet rendra visite à Céline (parrain de son fils Volny)
à Korsør (Danemark) en septembre 1949.

St-Benoît le 16 mai [19]40 [marge g., vo] 
J’ai une lettre de Céline où il est dit : « Vous ne connaissez pas l’ennui d’avoir à contrefaire sa voix toute sa vie à cause du public ! » En effet je ne connais pas cet ennui.

Été 1942 : Louis-Ferdinand Céline mimant la folie entre Lucette et son hôte, le docteur Paul Mondain, dans le jardin de l'asile d'aliénés dirigé par ce médecin-peintre. C'est Jacques Mourlet qui avait demandé à Mondain d'accueillir l'écrivain et sa femme, empêchés de se rendre à Saint-Malo par l'occupant.

le 6 mai [19]41 St-Benoît
Ne donne pas d’importance aux conseils de MM. les littérateurs. Toi qui aimes la poésie et la peinture, tu as bien assez de merveilleux dans ta vie. Le conseil de Céline va à ceux qui ne pensent qu’à leurs sous *. MM. les littérateurs font de la «copie» à tant la ligne. On ferait mieux de nous conseiller l’honneur, le deuil actuel, l’héroïsme, le culte du devoir, l’éclosion des sentiments humains... et la méfiance des agences matrimoniales. […]
Dieu a l’œil sur toi et te prépare un avenir que ni toi ni moi ne soupçonnons. Pas de coup de tête surtout, à la recherche du merveilleux célinien stupide : jouis de ce que tu as et qui n’est pas mince.
* « Le conseil de Céline » concerne probablement l’idée que les auteurs doivent produire en vue de leur lectorat : c’est l’idée qui sous-tend l’anecdote que Jacob répète souvent à propos de Céline, et qu’il raconte à Mourlet dans les lettres 41 et 67. Jacob n’a manifestement guère confiance en Céline, dont Mourlet devient un proche (Céline sera le parrain de son fils Volny). Cf. le catalogue de Paul Mondain en ligne, https://www.paul-mondain.com.
Paul Mondain (1905-1981), peintre vivant à Quimper et psychiatre, directeur de l’Hôpital psychiatrique de Gourmelen de 1937 à 1950, lié à Céline. Il connaissait Jacob et Mourlet, mais aussi Jean Moulin et le Dr Tuset.

Jacob, Max : Cavalier, cavalières Dessin signé et daté 41
avec envoi à mon ami Mourlet

le 23 juin [19]41
Cher ami.
Je ne sais pas pourquoi exactement, mais il me semble que tu es en progrès. Oui ! Corbière, quand il parle de la mer et de la Bretagne, c’est très bien. Je trouve aussi que Loti parlant de la Bretagne de 1880 a été bien inspiré. Je ne doute pas que Céline soit un homme très sérieux, mais dans l’une de ses lettres, il me dit «Comme il est pénible de ne rien écrire qu’en vue du public ! » ou une phrase telle. Cette phrase le condamne à mon sens. Tu peux lui parler de moi - Je m’en fous...

le 12 janvier [19]44 St-Benoît-s/Loire. Loiret
bien cher ami Jacques
Te dire la joie de ta lettre ! et surtout que tu rappelles notre correspondance, celle de l’aviateur de Tours et du vieux bonhomme aux messes !
J’avais bien envie de t’écrire mais je craignais beaucoup de choses. Ta mère m’avait parlé de tes opinions céliniennes *et je ne voulais pas m’imposer au nom de l’amitié : j’attendais l’autorisation : tu me la donnes et me voici. Me voici avec les sentiments aussi vifs et mes deux mains tendues.

Entre le 30 décembre 1942 et le 12 janvier 1944, la correspondance connaît une éclipse. Ce silence semble avoir résulté d’une rumeur venant de la mère de Jacques *. De toute évidence, Jacob craignait que Jacques ait des opinions antisémites et cette rumeur, apparemment sans fondement, l’aurait mené à cesser d’écrire pendant l’année 1943. Des « opinions céliniennes » : Jacob semble imaginer que l’association de Mourlet avec Céline implique ces idées antisémites. Il n’y a pas d’indication que Mourlet adhérait à de telles idées.