vendredi 20 décembre 2019

Saluto, trois-mâts russe, serait-il celui décrit dans Mort à crédit ?


Dans Mort à Crédit, se trouve une belle description d’un trois-mâts russe entrant dans la port de Dieppe sous tempête…
S’agissait-il de : Saluto, trois-mâts construit à Vikkilen (Norvège) en 1888. Racheté en 1900 par des armateurs finlandais des îles d’Åland. La Finlande faisant partie de l’empire de Russie, Saluto passe donc sous pavillon russe. Il sombrera au large des côtes de la Manche devant Le Tréport et Mers-les-Bains le 8 novembre 1904… Ses onze marins (finlandais, français et américain) furent sauvés par «les secours en mer assurés par les marins pêcheurs regroupés au sein de la centrale de sauvetage des naufrages» (Dany Laurent)
Ce que confirme le tableau récapitulatif des submersion marines de la Driee (Direction Régionale et Interdépartementale de l'Environnement et de l' Énergie)
« Echouage sur la plage de Mers-les-Bains ; le 08 novembre 1904, du trois-mâts russe «Saluto», qui sera mis en pièces par une mer déchaînée. (...) » Dégâts au niveau des ouvrages des ports de Dieppe et du Tréport.

On ne s’intéresse plus nous autres que dans les voyages au long cours. 

« Il a proposé lui-même qu’on aille faire un tour vers le port... Il s’y connaissait en navires. Il se souvenait de toute sa jeunesse. Il était expert en manœuvres. On a laissé repartir maman avec ses bardas, on a piqué vers les bassins. Je me souviens bien du trois-mâts russe, le tout blanc. Il a fait cap sur le goulet à la marée de tantôt. 
Depuis trois jours il bourlinguait au large de Villers, il labourait dur la houle... Il avait de la mousse plein ses focs... Il tenait un cargo terrible en madriers vadrouilleurs, des monticules en pleine pagaye sur tous ses ponts, dans les soutes rien que de la glace, des énormes cubes éblouissants, le dessus d’une rivière qu’il apportait d’Arkangel exprès pour revendre dans les cafés... Il avait pris dans le mauvais temps une bande énorme et de la misère sur son bord... On est allés le cueillir nous autres avec papa, du petit phare jusqu’à son bassin. L’embrun l’avait tellement drossé que sa grande vergue taillait dans l’eau... Le capitaine, je le vois encore, un énorme poussah, hurler dans son entonnoir, dix fois fort encore comme mon père ! Ses lapins, ils escaladaient les haubans, ils ont grimpé rouler là-haut tous les trémats, la toile, toutes les cornes, les drisses jusque dessous le grand pavillon de Saint-André... On avait cru pendant la nuit qu’il irait s’ouvrir sur les roches. Les sauveteurs voulaient plus sortir, y avait plus de Bon Dieu possible... Six bateaux de pêche étaient perdus, le « corps marin » même, sur le récif du Trotot il avait rué un coup trop dur, il était barré dans ses chaînes... Ça donne une idée du temps. 
Devant le café La Mutine y a eu la manœuvre aux écoutes... sur bouée d’amarres avec une dérive pas dangereuse... Mais la clique était si saoule, celle du haie, qu’elle savait plus rien... Ils ont souqué par le travers... L’étrave est venue buter en face dans le môle des douaniers... La « dame » de la proue, la sculpture superbe s’est embouti les deux nichons... Ce fut une capilotade... Ça en faisait des étincelles... Le beaupré a crevé la vitre... Il s’est engagé dans le bistrot... Le foc a raclé la boutique...  Ça piaillait autour en émeute... Ça radinait de tous les côtés. Il a déferlé des jurons... Enfin tout doux... Le beau navire s’est accosté... Il a bordé contre la cale, criblé de filins... Au bout de tous les efforts, la dernière voilure lui est retombée de la misaine... étalée comme un goéland.  L’amarre en poupe a encore un grand coup gémi... La terre embrasse le navire. Le cuistot sort de sa cambuse, il lance à bouffer aux oiseaux râleurs une énorme écuelle. Les géants du bord gesticulent le long de la rambarde, les ivrognes du débarquement sont pas d’accord pour escalader la passerelle... les écoutilles pendent... 
Le commis des écritures monte le premier en redingote... La poulie voyage au-dessus avec un bout de madrier... On recommence à se provoquer... C’est le bastringue qui continue... Les débardeurs grouillent sur les drisses... Les panneaux sautent... Voici l’iceberg au détail !... Après la forêt !... Fouette cocher!... Le charroi s’amène... Nous n’avons plus rien à gagner, les émotions sont ailleurs. 
1900 – BOILEAU (Fra) – Société Générale des Houilles et Agglomérés
Nous retournons au sémaphore, c’est un charbonnier qu’on signale. Par le travers du « Roche-Guignol » il arrive en berne. Le pilote autour danse et gicle avec son canot d’une vague sur l’autre. Il se démène... Il est rejeté... enfin il croche dans l’échelle... il escalade... il grimpe au flanc. Depuis Cardiff le rafiot peine, bourre la houle... Il est tabassé bord sur bord dans un mont d’écume et d’embrun... Il nage au courant... Il est déporté vers la digue... Enfin la marée glisse un peu, le requinque, le refoule dans l’estuaire... Il tremble en rentrant, furieux, de toute sa carcasse, les paquets le pourchassent encore. Il grogne, il en râle de toute sa vapeur. Ses agrès piaulent dans la rafale. Sa fumée rabat dans les crêtes, le jusant force contre les jetées. Les « casquets » au raz d’Emblemeuse on les discerne, c’est le moment... Les petites roches découvrent déjà sur la marée basse... 
Deux cotres en perte tâtent un passage... La tragédie est imminente ; il faut pas en perdre une bouchée... Tous les passionnés s’agglomèrent à la pointe de digue, contre la cloche de détresse... On scrute les choses à la jumelle... Un des voisins nous prête les siennes. Les bourrasques deviennent si denses qu’elles bâillonnent. On étouffe dessous... Le vent grossit la mer encore... Elle gicle en gerbes haut sur le phare... elle s’emporte au ciel. 
Mon père enfonce sa casquette... Nous ne rentrerons qu’à la nuit... Trois pêcheurs rallient démâtés... Au fond du chenal leurs voix résonnent... Ils s’interpellent... Ils s’empêtrent dans les avirons... 
Maman, là-bas est inquiète, elle nous attend à la Petite Souris le caboulot des mareyeurs... Elle a pas vendu grand-chose... On ne s’intéresse plus nous autres que dans les voyages au long cours. »