« Les épreuves m'ont cassé, j'avoue... tenez, je reviens à ma mère... je peux pas me faire à cette tristesse... elle est enterrée Père- Lachaise, allée 14, division 20***… Je voudrais bien un « laissez-passer »... juste le temps d'aller voir la dalle...
Tout est survenu d'une façon... elle a jamais su ce que j'étais devenu... je lui porterais un pot de marguerites... c'était sa fleur la marguerite... Marguerite Louise Céline Guillou... Elle est morte de chagrin de moi et d'épuisement d'effort du cœur... des palpitations, d'inquiétudes... de tout ce qu'« on » disait... pensez les gens de l'avenue de Clichy !... les bancs... l'opinion publique !...
Elle a jamais su ce que j'étais devenu... nous l'avons vue partir un soir, elle a pris la rue Durantin et puis la descente vers Lamarck... et puis ce fut tout pour toujours... elle dormait plus depuis des mois... Elle a jamais beaucoup dormi... maintenant elle dort... Elle était comme moi, soucieuse, trop consciencieuse... Elle avait un petit rire en elle pourtant, moi je l'ai énorme... La preuve dans ce fond de fosse, tenez, je peux rire quand je veux, je pense à vous, magique, comment que vous allez tortiller, gigoter, quand jouera la flûte, le petit air d'en haut que vous connaissez pas encore... Le rire c'est en soi ou y a rien... Je l'ai vue rire, moi, sur des dentelles, sur les « Malines », les « Bruges », des finesses araignées, des petits nœuds, des raccords, ma mère, surfils, qu'elle se crevait les yeux... ça devenait des dessus-de-lit immenses, de ces paradis à coquettes, de ces gracieusetés de dessin... de ces filigranes de joliesse... que personne maintenant comprend plus !... c'est en allé avec l'Époque... c'était trop léger... la Belle !... c'était des musiques sans notes, sans bruit... pour l'ouvrière c'était ses yeux... ma mère c'est ainsi... elle était aveugle pour finir... soixante ans sur les dentelles !... J'ai hérité de ses yeux fragiles, tout me fait pleurer, le gris, le rouge, le froid... J'écris à grand- peine... oh, mais je dormirai aussi moi ! ça viendra le moment du repos !... J'aurai mérité... « Indigne ! » plus qu'indigne ! traître ! patati ! personne m'empêchera ma mort ! Saisi ! tout ! Dodo ! Je gagne !
Je voudrais bien un « laissez-passer » pour le Père-Lachaise, aller voir la dalle, le nom...
En somme votre avis, le bon sens, la raison, c'est que mes jours doivent finir ici ? Mes jours ! demi-jour ! quart de jour !... Ah je fais front ! Ah, je vous emmerde ! Voyez ma rébellion ouverte ! mes responsabilités ? mes devoirs ? J'ai Bébert, j'ai Arlette dehors ! j'ai cinq petits-enfants au Bois ! J'ai ma maman que j'ai pas revue, mon père Fernand à côté d'elle, je laisse rien en route moi Monsieur ! ni un soldat, ni un malade, ni une amante, ni un souci, ni un mort !
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Louis, neuf ans, entouré de ses parents, Marguerite Guillou et Fernand Destouches, en 1903 |
Marguerite Louise Céline GUILLOU
Née le 10 septembre 1868 - 83 rue des Amandiers - Paris, 75020
Décédée le 8 mars 1945 - 4 rue des Martyrs - Paris, 75009
à l'âge de 76 ans
Commerce de dentelles et guipures à la main.
Fille de Jacques Julien GUILLOU, né le 6 avril 1847 à Paris, décédé le 10 décembre 1879 - 56 rue aux Ours - Paris, 75002
à l'âge de 32 ans, Soudeur sur cuivre, Brocanteur
Et de Céline Victoire LESJEAN, née le 7 mai 1847 - Paris, décédée le 28 décembre 1904 - 52 rue Saint Georges - Paris, 75000
à l'âge de 57 ans
Marchande brocanteuse, piqueuse de bottines, commerçante d'antiquités, dentelles et porcelaines
Ses parents se sont mariés le 22 août 1868 à Paris.