samedi 26 avril 2025

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation impérative de Féerie pour une autre fois) présente : Des marguerites pour Marguerite.

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation impérative de Féerie pour une autre fois) présente : Des marguerites pour Marguerite. 


« Les épreuves m'ont cassé, j'avoue... tenez, je reviens à ma mère... je peux pas me faire à cette tristesse... elle est enterrée Père- Lachaise, allée 14, division 20***… Je voudrais bien un « laissez-passer »... juste le temps d'aller voir la dalle... 

Tout est survenu d'une façon... elle a jamais su ce que j'étais devenu... je lui porterais un pot de marguerites... c'était sa fleur la marguerite... Marguerite Louise Céline Guillou... Elle est morte de chagrin de moi et d'épuisement d'effort du cœur... des palpitations, d'inquiétudes... de tout ce qu'« on » disait... pensez les gens de l'avenue de Clichy !... les bancs... l'opinion publique !... 

Elle a jamais su ce que j'étais devenu... nous l'avons vue partir un soir, elle a pris la rue Durantin et puis la descente vers Lamarck... et puis ce fut tout pour toujours... elle dormait plus depuis des mois... Elle a jamais beaucoup dormi... maintenant elle dort... Elle était comme moi, soucieuse, trop consciencieuse... Elle avait un petit rire en elle pourtant, moi je l'ai énorme... La preuve dans ce fond de fosse, tenez, je peux rire quand je veux, je pense à vous, magique, comment que vous allez tortiller, gigoter, quand jouera la flûte, le petit air d'en haut que vous connaissez pas encore... Le rire c'est en soi ou y a rien... Je l'ai vue rire, moi, sur des dentelles, sur les « Malines », les « Bruges », des finesses araignées, des petits nœuds, des raccords, ma mère, surfils, qu'elle se crevait les yeux... ça devenait des dessus-de-lit immenses, de ces paradis à coquettes, de ces gracieusetés de dessin... de ces filigranes de joliesse... que personne maintenant comprend plus !... c'est en allé avec l'Époque... c'était trop léger... la Belle !... c'était des musiques sans notes, sans bruit... pour l'ouvrière c'était ses yeux... ma mère c'est ainsi... elle était aveugle pour finir... soixante ans sur les dentelles !... J'ai hérité de ses yeux fragiles, tout me fait pleurer, le gris, le rouge, le froid... J'écris à grand- peine... oh, mais je dormirai aussi moi ! ça viendra le moment du repos !... J'aurai mérité... « Indigne ! » plus qu'indigne ! traître ! patati ! personne m'empêchera ma mort ! Saisi ! tout ! Dodo ! Je gagne ! 

Je voudrais bien un « laissez-passer » pour le Père-Lachaise, aller voir la dalle, le nom... 


En somme votre avis, le bon sens, la raison, c'est que mes jours doivent finir ici ? Mes jours ! demi-jour ! quart de jour !... Ah je fais front ! Ah, je vous emmerde ! Voyez ma rébellion ouverte ! mes responsabilités ? mes devoirs ? J'ai Bébert, j'ai Arlette dehors ! j'ai cinq petits-enfants au Bois ! J'ai ma maman que j'ai pas revue, mon père Fernand à côté d'elle, je laisse rien en route moi Monsieur ! ni un soldat, ni un malade, ni une amante, ni un souci, ni un mort ! 


***La tombe Guillou/Destouches du Père Lachaise est Division 63, avenue de l'Ouest, 3e ligne… près de la petite entrée du cimetière à côté de la station de métro éponyme.



Louis, neuf ans, entouré de ses parents, Marguerite Guillou et Fernand Destouches, en 1903


Marguerite Louise Céline GUILLOU

Née le 10 septembre 1868 - 83 rue des Amandiers - Paris, 75020

Décédée le 8 mars 1945 - 4 rue des Martyrs - Paris, 75009

à l'âge de 76 ans

Commerce de dentelles et guipures à la main.

Fille de Jacques Julien GUILLOU, né le 6 avril 1847 à Paris, décédé le 10 décembre 1879 - 56 rue aux Ours - Paris, 75002 

à l'âge de 32 ans, Soudeur sur cuivre, Brocanteur 

Et de Céline Victoire LESJEAN, née le 7 mai 1847 - Paris, décédée le 28 décembre 1904 - 52 rue Saint Georges - Paris, 75000 

à l'âge de 57 ans

Marchande brocanteuse, piqueuse de bottines, commerçante d'antiquités, dentelles et porcelaines

Ses parents se sont mariés le 22 août 1868 à Paris.




lundi 21 avril 2025

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation inéluctable de Féerie pour une autre fois) présente : Contextualisation par Henri Godard

Le GRIF (Groupe pour la réhabilitation inéluctable de Féerie pour une autre fois) présente : 
Contextualisation par Henri Godard (qui mériterait d’être membre du GRIF)



Féerie pour une autre fois
est un livre à redécouvrir. 

Il peut être tenu pour une sorte de quintessence de Céline, et cela pour plusieurs raisons, notamment parce que, dans sa première partie, l'écriture romanesque se charge, en plus de ses atouts propres, de certains accents de violence polémique qui sont devenus, avec les pamphlets, une part de sa voix la plus personnelle, et dans la seconde parce que Céline, entreprenant de raconter une nuit de bombardement, se donne un sujet fait pour lui, pour son imaginaire autant que pour son style – et qu'aussi bien il était le seul romancier de son époque à pouvoir faire passer du domaine de l'expérience à celui de la littérature. 

Initialement, Céline devait aborder directement le récit de cette nuit de bombardement, en enchaînant sur l'épisode de la visite de Clémence Arlon qui ouvre le roman et qui, dans ce premier projet, était mené jusqu'à son terme (amie de longue date de Céline, Clémence était venue de loin solliciter des dédicaces qui ne manqueraient pas de prendre dans les jours suivants une valeur décuplée, d'être parmi les toutes dernières que Céline aurait accordées avant d'être exécuté). Mais Céline a un sens trop alerté des relations avec le lecteur pour ne pas s'apercevoir rapidement que son livre n'a aucune chance d'être lu, étant donné la réprobation qui pèse sur lui, s'il ne fait pas d'abord face à cette objection préalable. Il lui faut avant toute chose retrouver le contact avec le lecteur, sous quelque forme que ce soit. D'autres que lui auraient plaidé ; ils auraient tenté de se justifier en faisant valoir ce qu'il pouvait avoir de raisons à donner, de l'intention pacifiste, selon lui la première motivation des pamphlets, jusqu'à sa non-participation aux organes officiels de la collaboration. Mais il ne serait pas ce qu'il est s'il se plaçait ainsi sur ce terrain fragile de la défense. Il choisit au contraire de contre-attaquer, en prenant directement à partie son adversaire, c'est-à-dire son lecteur. Ce lecteur d'après guerre, horrifié par les découvertes des camps en 1945, et qui associe inévitablement Céline à sa condamnation, il s'agit de le provoquer, de le pousser dans ses retranchements, de le faire réagir, de lui donner envie d'injurier – tout plutôt qu'un refus de 

communication (de lecture), qui est pour un auteur la seule rupture irrémédiable. Voilà donc Céline amené, pour pouvoir lui répondre, à se faire agresser par le lecteur – manière habile de pouvoir mesurer les coups. Dès lors, lui n'aura plus à se gêner, et en effet, avant la fin de ce premier round, il aura attaqué le lecteur de tous les côtés : avant tout dans ses convictions et dans le ton sur lequel il a l'habitude de parler des camps d'extermination et de leurs victimes, mais aussi dans ses répugnances, par quelques propos scatologiques, et dans ses peurs intimes, en évoquant on ne peut plus concrètement la maladie fatale à laquelle ce lecteur est, il le sait, lui-même peut-être promis. 


Mais, avec le Céline des romans qui reste maître de ses moyens, il n'y a pas de violence sans relâchement périodique de la tension. Tout fortissimo, pour prendre sa valeur, doit se détacher sur des moments de pianissimo. Ce Féerie pour une autre fois I, qui fait au lecteur plus de violences qu'aucun autre texte romanesque de Céline, est aussi celui qui comprend le plus grand nombre de passages d'émotion, de l'émotion la plus délicate et la plus communicative, celle qui embue tout souvenir de notre passé, même s'il n'est pas attendrissant en lui-même, au moment où il émerge de l'oubli ; celle que nous ne pouvons pas ne pas avoir à l'évocation, pourvu qu'elle sonne juste, du sort concret d'un détenu, même si nous trouvons en raison cette détention justifiée ; celle encore, parmi tant d'autres, que Céline fait sourdre entre deux éclats, de son expérience d'accoucheur et du moment d'une naissance. 

(Henri Godard, préface à Féerie pour une autre fois, Folio, 1995)