mardi 18 avril 2023

Jean-Paul Sartre (Tartre) dans D'un château l'autre (1957)

 Tartre dans D’un château l’autre

D'un château l'autre a été publié en 1957 aux éditions Gallimard. Il dresse un parallèle entre la vie de Céline contemporaine à l'œuvre — en tant que médecin et écrivain, pauvre, maudit et boudé par sa clientèle — et sa vie à Sigmaringen (Siegmaringen !) où s'est réfugiée “ l’élite pourtant intéressée, « collaboratrice », 1142 condamnés à mort, tous, l’article 75 au cul… ”

Comme toujours depuis Mort à crédit, ce roman s'ouvre sur les descriptions d'un Céline aigri qui se plaint de sa condition : les traîtrises des éditeurs, ses haines à l'égard de l'intelligentsia de l'époque — « Tartre » (Jean-Paul Sartre), « Larengon » (Louis Aragon), «Triolette» (Elsa Triolet) ou encore André Malraux, André Maurois ou Paul Morand —, sa vie de médecin boudé par sa clientèle. Pourtant, au-delà des aigreurs, Céline se réjouit de la fidélité de quelques clients, et notamment de Mme Niçois, dont l'appartement fait face à une voie fluviale au bord de laquelle il croise le chemin de Robert Le Vigan (« La Vigue » dans le roman), reconverti en locataire d'une péniche, La publique.

C'est Jean-Paul Sartre (Tartre) qui, avec 23 occurrences dans le roman, vient en tête de ses haines non satisfaites, prolongation de son pamphlet 
À l'agité du bocal (1948) dans lequel il réglait son compte à l'écrivain qui l'avait accusé d'avoir collaborer pour de l'argent…

Trissotin Tartre


… dix ans de vacheries, dont deux de cellule... eux là, eux autres, Racine, Loukoum, Tartre, Schweitzer, faisaient la quête de-ci... de-là... ramassaient les ronds et Nobel !... magots énormes ! pâmés, bouffis, comme Gœring, Churchill, Bouddha !... 

… leur truc masochiste me bluffe pas !... je dis ! ni la corseterie du Loukoum! ni les bourriqueries du Tartre... ni l’œil merlan frit d’Achille... l’autre non plus le dénommé Vaillant ! vaillant de quoi ? qu’il voulait m’assassiner !... 

… comme ça que tiennent Maurois, Mauriac, Thorez, Tartre, Claudel !... et la suite !... l’abbé Pierre... Schweitzer... Barnum !... aucune honte!... et pas d’âge ! Nobel et Grand-Croix garantis ! Même croulants, fondants, urineux, « honoraires », « Emblèmes des Partis » ! Juanovicistes ! 

… pas que les plagiaires, les « pas faits pour » ! Dieu sait !... rien que chez Achille, floppée ! mille ! mille !... pour moi Dumel, Mauriac, Tartre, même corde!... la dizaine de Goncourt, l’autre arbre !... oh ! plus l’Archevêque de Paris, j’oubliais ! avant que les Chinois se formalisent!... 

…Tartre m’a bien volé, diffamé... oh ! que oui !... mais pas pire que les parents !... […] Tartre aussi m’a hérité ! et floppée d’autres !... 

…Tartre : coco !... tous épileptiques que seulement je les regarde !... j’ai dit : Tantine manquait de rien ! le Tartre non plus !... cossus ! cossus !... de tout en double ! triple... à la ville !... à la campagne !... frigidaires, autos, laquais !... le cor avait sonné pour moi, ils avaient pris part à la chasse !... 

… Si seulement tenez, je pouvais compter sur la Critique... quelques échos... même injurieux... pas bien sûr tout le Cirque de Mauriac !... pissotières mutines et confessionnaux !... ou Trissotin Tartre... tous les rescapés de vingt ans de déconneries !... non ! quelques murmures me suffiraient... 

… Mais depuis le drôle de bolchevisme que vous pouvez plus dire un mot!... Picasso ci !... Boussac par là ! Tartre re-coco !... milliards partout ! damnés par là !... vous n’existez plus ! le plus de bide, popotin... bajoues, le plus damné de la Terre ? vous marrez ? ils vous coupent la tête... 

… Ce que Tartre et tant d’autres se sont tant branlés, échignés, sué, sang et venin, retourné Ciel, Terre, Enfer, que quelqu’un se décide ! L’ivrognesse là, était fin prête !... les chiens aussi étaient fin prêts... les chiennes, surtout, ça tenait qu’à moi que je dise un mot... 

… ils causent et savent pas !... vous les entendez installer... qu’est-ce qu’ils pensent, au fond du fond ?... « Pourvu, bordel ! que jusqu’au bout, mon flan tienne ! pourvu jusqu’au bout, que je tombe pas !... » la trouille, le gniouf ! leur hantise !... Mauriac, Achille, Gœbbels, Tartre!... ça que vous les voyez si nerveux, si alcooliques, d’un cocktail l’autre, d’une confession l’autre, d’un train l’autre, d’un mensonge l’autre! d’une Cellule l’autre... d’une déconnerie l’autre !... qu’ils réchappent au « Mandat », menottes, à la Santé !... si ils palpitent ! la minute sérieuse de leur vie !... la seule !... finish blabla ! 

… c’est déjà bien extraordinaire qu’on m’accuse pas de Dien-Pen-Phu!... de la chute de Maubeuge 14-15 !... là, que j’aie achevé Mme Niçois ? pas un pli!... j’ai bien été accusé, par Tartre et cent périodiques renseignés, d’avoir vendu le Pas-de-Calais... l’habitude !... 


Tartre. "L'invasato in provetta" - "Frammenti epistolari" (2005).
A cura di Massimo Raffaeli. C
on litografia originale, numerata
e firmata, di Mimmo Paladino

…J’aurais tenez le Vaillant à soigner... Vaillant mon assassin mou... Tropmann ou Landru... ou le Tartre en personne... ou les centaines de mille bourriques qui m’ont pourchassé des années, d’une prison l’autre... si frétillants, émoustillés ! je varierais pas d’un iota... mon style, ma façon... je suis le samaritain en personne... samaritain des cloportes... 

… Je verrais là, le Tartre à l’agonie, mettons... « bourrique ! que j’y dirais, cavale !... biche ! purulure de merde !... fonce ! défonce ! retrouve tout ton fiel ! te décourage mie !... t’es monstre con, mais t’es instruit !... » Tartre ou un autre !... évidemment le moral c’est tout !... 

… Norbert Loukoum, je le fais exprès, ça l’emmerde, je lui parle exprès du cabanon... il y a jamais été, pardi !... lui !... ni Achille !... Malraux non plus... Mauriac non plus... et le fœtus Tartre!... et Larengon !... la Triolette aux cabinettes !... comme ça toute une clique fins madrés !... l’élite « tourne-veste » !... qu’arrêtent pas de jouer les effrayants !... 

… je note à propos, qu’Hérold Paquis, aussi menteur éhonté que Tartre, a jamais foutu les pieds à Siegmaringen, il est resté 70 bornes sur son île, bouffer ses conserves... il a jamais rien vu du tout... sauf son casier judiciaire... Doriot est jamais venu non plus... on a jamais vu que sa voiture, criblée, dentelée... ce que c’est d’être sorti de Constance !... la bonne vie, sauf la gale... 

… tel condamné à mort, qui sue tremble trempe à griffonner mille mille horreurs sur tel et tel autre paria, voué à la torture saligaud ! tant plus le dénoncer aux Fritz ! à la Bibici ! à Hitler ! au Diable ! ah, que Tartre m’appert puéril morvaillon raté tout pour tout !... là je vous parle de vrais incarnés délateurs ! la tête déjà sous le couperet !


… presque tout le monde m’a oublié... pas eux !... pas eux !... vos voleurs vous oublient jamais !... vos copieurs non plus !... pensez !... la vie, qu’ils vous doivent !... Tartre va pas un jour se mettre à table « Moi, plagiaire et bourrique à gages, j’avoue ! je suis son trou d’anu !... vous pouvez vraiment pas compter !...