lundi 23 juillet 2018

Le Goncourt 1932 dans le quotidien Excelsior


Excelsior 7 décembre 1932 


AUJOURD'HUI, ATTRIBUTION DU 30e PRIX GONCOURT 


Aujourd'hui, le Prix Goncourt sera attribué pour la trentième fois. C'est à l'issue du déjeuner traditionnel que le lauréat sera proclamé. Le prix, on le sait, n'est que de 5.000 francs, mais il a pour son bénéficiaire un retentissement qu'aucun autre prix littéraire ne  connaît. Et cela explique la passion qui souvent se manifeste à propos de cet événement auquel le public s'intéresse lui aussi, avec passion.  
Les Goncourt aiment le rare, le lointain, l'inconnu ou le peu connu; Ils aiment se donner "le" plaisir de la découverte et la réputation de l'indépendance. Ils agissent loin des coteries, mais obéissent parfois à de, proches influences, comme ce fut le cas quand ils couronnèrent M. Claude Farrère patronné par Pierre Loti, les frères Tharaud et  Emile Moselly, patronnés par Maurice Barrés, Ernest Pérochon patronné par Gaston Chérau, quand celui-ci ne faisait pas encore partie des Dix. Qu'apportera, aujourd'hui, la rentrée dans leur sein d'un de leurs membres les plus actifs et les plus influents, de M. Lucien Descaves ? 
La première année de la guerre, le prix ne fut pas attribué, niais les Goncourt en décernèrent, deux en 1916, dont un à Adrien Bertrand, mort l'année suivante des suites de ses blessures, pour son ouvrage L'Appel du sol
On sait que le prix Théophraste-Renaudot est attribué le même jour que le Prix Goncourt par un jury de journalistes et de courriéristes littéraires.

Excelsior 8 décembre 1932



LE PRIX GONCOURT A M. GUY MAZELINE 

Le succès de son candidat lui semblait assuré depuis la dernière réunion des Goncourt. Avec M. Léon Daudet, par la plume et par la parole, il soutenait l'auteur du Voyage au bout de la nuit. Ce roman, quelques instants après, en ce même lieu, obtenait le prix Théophraste-Renaudot. Mais ceci ne remplace pas cela.
La chance du lauréat 
On sait que le nouveau lauréat du prix Goncourt eut, lundi dernier – au dernier vote du prix Femina, le même nombre de voix que M. Ramon Fernandez. Chacun en recueillit 9 et il y eut deux bulletins blancs. La voix de la présidente départagea les ex-œquo. On assure que le nom de M. Mazeline avait été écrit sur l'un des deux bulletins déclarés nuls, mais du bout d'un crayon dont la mine était cassée. A quoi tiennent les choses! A un rien qui décide au-dessus du petit cercle des plus expresses volontés humaines. 
Il l'emporta hier par 6 voix contre 3 à M. L.-F. Céline et une à M. Raymond de Rienzi. 
Né au Havre, en 1900, d'une famille d'armateurs et de navigateurs, M. Mazeline, à six ans, quitta cette ville avec ses parents pour Fort-de-France et demeura un an à la Martinique. Il commença ses études au Havre à l'institution Saint-Joseph, partit à onze ans  pour un séjour de six mois dans les îles Seychelles et vint continuer ses  classes à Paris, au lycée Condorcet et dans diverses institutions privées. De !a  marine marchande, un engagement le fit passer dans la marine de guerre. Stage sur le navire-école Magellan. Campagne de dix mois en Syrie, à bord d'une canonnière affectée au dragage des mines. 
Ayant quitté la marine pour le journalisme, il fit ses débuts à Marseille et devint, en 1927, collaborateur de l'Intransigeant, où il est actuellement chroniqueur judiciaire. 
Piège du démon fut son premier roman. Vinrent ensuite : Porte close et Un royaume près de la mer qui fut présenté l'an dernier aux Goncourt. Les Loups, dont il aurait pu tirer aisément deux volumes, auront une suite dans le Capitaine Durban. A midi 30, ce livre était chez les libraires avec la bande d'honneur Prix Goncourt 1932. Au record de la rapidité des Goncourt s'ajoute celui de l'éditeur. 

LE PRIX THÉOPHRASTE-RENAUDOT 

Le prix Théophraste-Renaudot a été attribué à. M. Louis-Ferdinand Céline au troisième tour de scrutin, par 6 voix contre 3 à M. Léopold Chauveau et une à M. Pierre-René Wolf. 
Le lauréat, qui a usé d'un pseudonyme pour être plus libre dans une langue truculente, est le docteur Destouches, qui exerce sa profession en banlieue, dans un dispensaire. Il n'écrit que la nuit, non pour son plaisir, mais pour utiliser les heures que ne lui 
prend pas le sommeil.  ROGER VALBELLE.

Excelsior 4 janvier 1933


UN CHRONIQUEUR JUDICIAIRE, UN VIRTUOSE DU VOLANT, 
UN MÉDECIN : TROIS GRANDS PRIX LITTÉRAIRES 
M. GUY MAZELINE EST CHRONIQUEUR JUDICIAIRE. LE VOICI ( x ) 
ÉCRIVANT SON ARTICLE PENDANT UNE AUDIENCE AU PALAIS 
M. RAMON FERNANDEZ EST UN VIRTUOSE DU VOLANT. C'EST EN 
SPÉCIALISTE QU'IL AUSCULTE L'INTÉRIEUR D'UNE PUISSANTE MACHINE 
QUANT A M. CÉLINE, REDEVENU LE DOCTEUR DESBORDES ( X ), 
IL SOIGNE LES MALADES D'UNE CLINIQUE DE BANLIEUE 



Les trois hommes qu'ont couronnés les trois grands prix littéraires de décembre, prix Goncourt, prix Femina, prix Théophraste-Renaudot, ne sont pas seulement des romanciers pleins de talent. Voici trois instantanés qui les ont surpris dans leur vie quotidienne. M. Guy Mazeline, l'auteur des «Loups», prix Goncourt, est chroniqueur judiciaire dans un journal du soir, métier qui lui livre bien des sujets de douloureuse et amère observation. Quant à M. Ramon Fernandez, auteur du «Pari», prix Femina, il a pu, se faisant de l'automobile une spécialité, connaître un monde qui joue un rôle important dans notre société mécanique. Et M. Céline qui, avec Voyage au bout de la nuit, a eu le prix Théophraste-Renaudot, c'est dans l'atmosphère humaine et pitoyable d'une clinique de banlieue qu'il a pu méditer sur les misères humaines qu'il côtoie et observe chaque jour.