mercredi 3 juillet 2019

L'enterrement de Louis-Ferdinand Céline, le 4 juillet 1961, 8 heures, cimetière des Longs Réages à Meudon Division C section 0 tombe 571


L’enterrement de Céline par Lucien Rebatet

Nous rentrons à l’instant de l’enterrement de Céline. Il est mort samedi vers 6h du soir, d’une congestion cérébrale. Depuis le matin, il se sentait encore plus patraque que d’habitude, il avait les nerfs à vif. Il s’est étendu un instant en disant à Lucette :
- Je vais crever.
A quoi Lucette lui répond avec son air serein :
- Tu dis ça tous les jours.
- Non, cette fois je sens que je vais crever.
Peu après, il a perdu connaissance, et en vingt minutes, tout était fini.

Je n’ai appris sa mort qu’hier soir par un coup de téléphone de Robert Poulet. Lucette tenait absolument que cette nouvelle restât aussi secrète que possible, que les meutes de journalistes ne fussent pas alertées. Elle a bien fait. Nous n’étions ce matin qu’une trentaine d’amis (pour la littérature, Roger Nimier, Marcel Aymé, Robert Poulet, Claude Gallimard et moi). 

Et cet enterrement presque clandestin a été une extraordinaire page célinienne. 
Le cercueil était posé dans sa chambre à coucher, à côté de la porte de la salle de bain grande ouverte. On voyait le lavabo, les serviettes, et en tournant la tête de l’autre côté, les hardes de Louis-Ferdinand, ses cinq ou six canadiennes élimées, accrochées en tas à un porte-manteau. Lucette aurait voulu une messe (Céline s’en fichait, il aurait voulu la fosse commune), mais le curé du Bas-Meudon a refusé. Il a refusé d’envoyer aussi une religieuse pour faire sa dernière toilette. Nous sommes donc allés directement au cimetière du Vieux-Meudon. Juste à cet instant, il s’est mis à tomber un petit crachin, comme pour une illustration de Mort à crédit. Ce fut vraiment étonnant, car nous étions à peine sortis du cimetière que le soleil reparaissait sur cette banlieue hétéroclite. 

Nous avons tous jugé qu’il était parfaitement dans l’ordre de ce temps que le plus grand écrivain français d’aujourd’hui fût enterré ainsi, à la sauvette, par une poignée de copains, beaucoup plus pauvrement qu’un concierge. 

Journal de L. Rebatet, cahier XX, p. 334 – 335 (Le petit Célinien)

D’un enterrement l’autre par Roger Grenier

Quand André Gide est mort, en 1951, le seul journaliste disponible à France-Soir était un spécialiste du fait divers, d'ailleurs excellent. On l'expédia rue Vaneau. Il ne rappela que le soir: «Aucun intérêt, c'est une mort naturelle.» C'est sans doute pour éviter un tel malentendu que, pour l'enterrement de Céline, comme j'étais catalogué littéraire, c'est moi qui fus envoyé.
Céline est mort le samedi 1er juillet 1961. Ses voisins ne l'ont su que lorsqu'ils ont vu apporter son cercueil. Lucette Almanzor aurait voulu un enterrement le plus intime possible, sans journalistes. Mais il a dû y avoir une fuite. Je pense que Roger Nimier a prévenu Pierre Lazareff. Bref, avec mon ami André Halphen, de Paris-Presse, nous n'étions que deux reporters.


Je revois le Bas-Meudon, sous une petite pluie, tôt le matin. Sortant de la villa Maïtou, pavillon vieillot, 23 ter route des Gardes, descendant le jardin banlieusard pour rejoindre le corbillard, le cercueil était suivi d'un tout petit nombre de personnes: la fille de Céline, née d'un premier mariage, Roger Nimier, Marcel Aymé, Claude Gallimard, Max Revol, Jean-Roger Caussimon et la comédienne Renée Cosima, qui était la femme de Gwenn-Aël Bolloré. J'ai reconnu aussi Lucien Rebatet. En novembre 1946, j'avais assisté au procès de Je suis partout et je l'avais vu condamner à mort.

« Céline n’a pas besoin de célébrations officielles, ce n’est tout simplement pas un écrivain d’académie », estime François Gibault. Sa tombe, à l’écart, en témoigne encore aujourd’hui. (Le Parisien juillet 2011) 
Suivi de quelques voitures, le corbillard entama la montée, à travers les rues de Meudon, vers le cimetière des Longs Réages. Il continuait à pleuvoir. Le convoi n'est pas passé par l'église, et il n'y a pas eu de discours. A peine au cimetière, le cercueil a été glissé dans la fosse. Quelques fleurs et c'en fut fini à jamais du docteur Destouches, alias Louis-Ferdinand Céline, dont la vie fut si longtemps pleine de bruit et de fureur. Il était à peine 9 heures du matin. Dans mon reportage de France-Soir, je m'étais permis d'écrire: «Il est toujours triste d'être obligé d'avoir honte d'un grand écrivain.»

Le lendemain… dans L'Est Républicain du 5 juillet 1961 

Tout le monde l’ignorait...
L’écrivain L.-F. Céline est mort... et enterré

Louis-Ferdinand Céline a été enterré discrètement hier matin à Meudon alors que presque tout le monde ignorait sa mort. Il avait succombé samedi à une embolie, mais ses amis avaient tenu, selon son propre souhait, sa mort secrète. L'écrivain était âgé de 67 ans.
C'est samedi à 18 heures que la mort a frappé Louis Destouches, dit Louis-Ferdinand Céline, dans son petit pavillon à deux étages de la route des Gardes à Meudon. C'est là qu'hier matin, à 8 heures, se sont réunis une cinquantaine d'amis venus le mettre en terre. On reconnaissait Marcel Aymé, Roger Nimier, Claude Gallimard, Lucien Rebatet, Max Revol, Renée Cosima, autour de Lucette Almansor, la compagne de Céline.
Devant le pavillon, quatorze gerbes de glaïeuls, de roses et de fleurs champêtres étaient alignées. Autour de sa veuve en manteau d'astrakan, un simple voile noir noué dans ses cheveux blonds, se pressaient ses élèves du cours de danse. Dans leur chenil, les huit chiens de Céline, habitués à s'ébattre librement dans le jardin dont ils interdisaient l'accès aux importuns, semblaient ne pas comprendre la soudaine raison de leur captivité.
À 8 h. 45, sous une pluie fine, le cercueil portant l'inscription "Louis-Ferdinand Destouches, 1894-1961", était placé dans un fourgon mortuaire qui était parvenu jusqu'à la ville du défunt avec difficultés, car le chemin qui y conduit est étroit. Cinq minutes plus tard, le convoi arrivait au cimetière où la bière était immédiatement descendue dans un caveau. Pâle, le regard fixe, les traits crispés, Mme Céline, que soutenait sa belle-fille bénissait alors le cercueil, puis s'éloignait aussitôt pour échapper aux paroles de consolation qu'elle semblait ne pas vouloir entendre.
À 9 heures, le cimetière avait retrouvé sa solitude, et seuls demeuraient trois journalistes et un photographe, témoins de ces obsèques que Céline avait souhaité discrètes.

dimanche 30 juin 2019

Louis-Ferdinand Céline et l'idée de la mort… (lundi 1er juillet 2019, cela fait 58 ans que Louis-Ferdinand Céline est mort)

18 heures à Meudon, point de suspension… 
«Dans l'histoire des temps la vie n'est qu'une ivresse, la Vérité, c'est la mort»
L.-F. Céline, Semmelweis

Louis-Ferdinand Céline et l'idée de la mort

L’idée de la mort est présente dans toute l’œuvre de Céline; elle en est sa principale source d’inspiration, le point de départ d’un cheminement littéraire hors du commun. Au cœur du mystère de la mort, il puise force et courage pour un voyage périlleux traversant la nature humaine; périlleux, mais nécessaire pour affronter la vérité du monde, vision de prophète qui transgresse sa pensée jusqu’au délire des mots et de leur magie. Céline récite de longues suites de formules incantatoires afin de conjuguer le mauvais sort.
Comprendre la mort et sa malédiction… entreprise hasardeuse pour un homme aussi seul, vulnérable et angoissé par le destin tragique de l’humanité, résigné par l’habitude de subir leur propre folie. Céline consacre la puissance de son mysticisme à percer le secret des ombres, responsable des malheurs de son siècle; il en prédit les d’horreurs, mais en il paiera amèrement la note pour trop de lucidité.
Pendant toute sa vie, il côtoie cette mort à la fois terrible et sublime, navigue entre ses récifs et en longe les rives insondables. Il cohabite avec le néant, force l’obscurité, subit le silence, assume seul les risques, dénonce, prévient et accumule les haines. La sorcellerie de l’écriture célinienne est le résultat de cette recherche intime, un foisonnement d’émotions, un grouillement de fantômes et d’êtres étranges, un tâtonnement dans la nuit éternelle, la rencontre de spectres au détour de sentiers tortueux et d’enchevêtrements où le délire mystique se mêle à l’absurdité de l’existence.
Très tôt, il affronte cette mort dans sa représentation la plus terrible, la rencontre est directe et sans nuances; il apprend que « la raison d’État » ne fait pas dans la dentelle… Le choc! La guerre! L’esprit du temps! L’image de la réalité est cruelle et d’une absurdité complète. Il apprend, contrairement à la propagande habituelle des élites, que la guerre n’est pas un jeu de salon, parades d’uniformes, femmes, bénédictions et revues à cheval sur la grande place; celui qui crève là-bas n’a rien d’autre à gagner que l’oubli.
Sur le terrain, c’est pire que dans les histoires, la terre est nue, labourée d’obus, les arbres, les villes; la campagne enlisée dans une boue de sang et de putréfaction; tout cela n’est que recommencement et justification aux temps figés dans la mort. Fort de sa sensibilité, Céline entre dans la danse macabre par la guerre et la certitude de ses mensonges et de ses fausses promesses : la der des ders, la liberté, la démocratie, les valeurs, la morale, Dieu avec nous, le drapeau, la République, le courage, la gloire… le mensonge et la guerre toujours… une n’attend pas l’autre, indéfiniment, des siècles et des millénaires ainsi à se taper dessus.
La guerre et seulement la guerre, suffisance des généraux, complicité du politique et des curés… cette grande marche des civilisations, cent fois chantées par ceux qui restent et avivent le besoin de chair.
Puis, médecin, Céline constate la guerre des jours ordinaires, sa triste banalité, bouffer, produire, procréer avorter, la maladie, la vieillesse, la souffrance… encore crever… La mort en tant que moteur des sociétés… l’économie, la séduction, l’apprentissage, la médecine et même l’écriture, une bataille constante entre l’encre et le papier « sa peau sur la table » et au bout de tout cela, la nuit célinienne, éternelle, celle de chacun d’entre nous.
L’homme n’est pas un être de vie, mais de guerre, c’est-à-dire de mort. Là est la seule vérité ; la finalité et nul n’y échappe.
Cette évidence est pourtant inacceptable aux yeux de l’ensemble et d’autant la refuse d’où une banalisation de l’acte de mourir et le refus de le considérer comme une normalité permanente. Comment réagirait Céline avec notre immortalité du moment présent où demain n’existe pas?
Le modèle Ford de Voyage est le pâle prélude à l’exclusivité de l’éphémère, la consommation ultra rapide et répétée à l’infinie, à la chaine, offrir l’illusion d’une vie trop bien remplie pour ne pas s’arrêter à songer à l’état de permanence de la mort. La nier, elle est devenue le taboue le plus importants de la vie, un non-sens absolu et un refus de la réalité.

Comment écrirait Céline, aujourd’hui sur la mort, la vie et ses mensonges?
L’humain ne meurt plus, il quitte le monde, part en voyage, traverse un long couloir attiré par une lumière, blanche et éclatante… une multitude d’élucubrations et de faux espoirs que Céline n’a jamais ressenti. Il a fréquenté la mort de trop près pour se farcir de rêveries religieuses sur l’éternité paradisiaque, la réincarnation ou l’intégration d’une énergie spirituelle liée à un grand tout féérique; sorte d’univers spectacle télévisé, big-bang, feux d’artifice et supernova en trois dimensions.
En fait, l’idée de la mort est devenue libérale et démocratique, la dernière étape du consommateur consciencieux de son importance et satisfait d’une vie passée à entretenir l’éphémère. À la fin, le moribond peut choisir parmi des dizaines d’options possibles, selon la mode du moment, le type d’éternité qui lui convient. Peu importe, il en a le droit et ne pourra revenir accuser les vendeurs de rêve de charlatanisme.
Plus que jamais, l’œuvre de Céline apparaît comme incontournable, elle replace la mort dans une juste perspective, c’est-à-dire au centre de la vie. Il en fait la seule vérité possible; la vie, l’existence, le bonheur, est le plus grand des mensonges, la plus grande supercherie. Dès la naissance, il n’y a pas d’autres options que la mort, toujours à venir, menaçante et Céline ne peut accepter que d’autres refusent de l’admettre, de voir la réalité… assurément par lâcheté, croit-il. Pour lui, la « grande faucheuse » n’est nullement un mythe, que l’Ankou, chaque nuit, remplit sa charrette de passagers et, la seule certitude est qu’il reviendra demain et encore après, jusqu’au moment où il s’arrêtera devant sa porte.

Pierre Lalanne DIMANCHE 12 JUILLET 2009
https://celinelfombre.blogspot.com