samedi 6 mars 2021

La Bretagne de Louis-Ferdinand Céline de Gaël Richard

«Depuis Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, dont les premiers travaux datent de 1975, aucun historien ne s'était sérieusement intéressé à cet auteur.»

Jean-Paul Louis à propos de La Bretagne de Céline de Gaël Richard    dans Le Télégramme du 4 août 2013

De ses origines familiales à la fin de sa vie, la Bretagne a joué un rôle affectif important pour l'écrivain Louis-Ferdinand Céline (1894-1961). L'éditeur Jean-Paul Louis, évoque l'enquête menée par l'historien Gaël Richard.

Comment Gaël Richard a-t-il abordé le destin breton de Céline ?

J'apprécie sa manière de raisonner, de chercher et de faire parler lettres, préfaces, textes médicaux, archives administratives ou familiales, toutes ces « broutilles » qui peuvent être significatives. Depuis Jean-Pierre Dauphin et Henri Godard, dont les premiers travaux datent de 1975, aucun historien ne s'était sérieusement intéressé à cet auteur. Nous avons fait le choix de la chronologie. Le début est consacré aux origines bretonnes de celui qui, dans une lettre de 1945, avait déclaré « Je ne suis qu'un Breton de Paris ». Il est né à Courbevoie, en 1894, mais son père s'était marié à une dénommée Guillou. Un autre ancêtre est passé par le Morbihan. Gaël Richard ausculte cette filiation bretonne. 

L'année 1918 est un de ces moments de vérité...

Oui, cette année-là, la mission Rockefeller, dont Céline fait partie, a conduit un groupe franco-américain, médecins et non médecins, en Bretagne pour informer sur la tuberculose. Le périple débute en Ille-et-Vilaine. Durant l'été, la mission arpente le Finistère et passe par Douarnenez, Concarneau, Quimper ou, encore, Pont-Croix. En août, elle reste deux semaines à Brest et on a retrouvé tous les lieux des conférences. Le détail de cette mission n'avait jamais été établi de manière aussi complète. 

Rennes est-elle à part ?

Rennes est un point de départ essentiel. Louis Destouches, futur Céline, y rencontre le professeur Athanase Follet, bourgeois rennais qui l'aide à passer ses examens de médecine et dont il épousera la fille, Edith. C'est à Rennes qu'il devient père et écrivain, puisqu'il écrit là ses premiers textes, dont sa thèse sur Semmelweiss. 

Céline à bord d'Enez Glaz de Mahé à Saint-Malo en 1936

Que représentait la Bretagne pour l'auteur ?

Elle symbolise ce que l'on ressent de plus fort au contact de la terre et de la mer. Elle n'a pas d'incidence sur son écriture, mais sur son état d'esprit, oui. À certains moments de la guerre, elle a été un refuge, Saint-Malo notamment. Elle fut aussi une terre d'amitié, avec l'artiste Henri Mahé, de Camaret. Céline est allé en Angleterre, aux États-Unis, en Russie mais, après Paris, il n'a jamais eu une relation aussi constante qu'avec la Bretagne. Un an avant sa mort, il rêvait encore d'y retourner. 

L'ouvrage distingue-t-il Bretagne réelle et Bretagne rêvée ?

Il y a, chez lui, une mythification de la Bretagne, mais la relation qu'il entretient avec la région et ses hommes ne le conduira pas, par exemple, à épouser la cause des mouvements séparatistes. Même si l'on sait que Céline a rencontré des dirigeants du Parti national breton, ce que Gaël Richard détaille, dont Olier Mordrel. Après guerre, il dit volontiers « Je suis Celte ». Sans qu'on sache ce que cela signifie pour lui, car il brouille les pistes. C'est le même qui, à un interlocuteur, déclarait : « Je vois que vous êtes Breton, comme moi, donc pas très malin. » 

Votre livre a-t-il tout dit ?

Non, évidemment. Il n'a pas été possible, par exemple, d'inventorier toutes les archives municipales. De même, du côté de la famille de sa fille Colette - décédée le 9 mai 2011, à Lannilis -, des documents restent inconnus. Mais nous publions beaucoup d'inédits, comme ces lettres à Georges Desse, proche d'Augustin Morvan, ou le fac-similé de son inscription en médecine. 

La Bretagne de Louis-Ferdinand Céline de Gaël Richard, 600 pages, éditions du Lérot (www.editionsdulerot.fr). (ÉPUISÉ)

dimanche 28 février 2021

Avis de grand frais sur la Sec (Société d'études céliniennes) Le Bulletin célinien de février 2021

La Société d’études céliniennes (Sec) 
à la croisée des chemins 

Le Bulletin célinien, n° 437, février 2021
Entretien avec Marc Laudelout 

La SEC existe depuis près d’un demi-siècle. Alors que son actuel président entame son dernier mandat, le moment est venu de tracer un historique et d’établir un bilan suite à l’assemblée générale qui s’est tenue en décembre dernier. Entretien avec l’éditeur du BC qui en a été membre pendant quarante ans et qui a été un peu mêlé aux derniers avatars de cette société d’études. 

François Gibault, président de la Sec devant la tombe de Céline
au cimetière des Longs-Réages à Meudon, le 1er juillet 2011

Quelle est l’origine de la Société d’Études céliniennes ? 

Marc Laudelout : Cela remonte à l’automne 1975 lorsque plusieurs céliniens, provenant d’une dizaine de pays différents, se réunissent au “New College” d’Oxford pour le premier colloque international consacré à Céline. Les communications sont réparties en six tables rondes dirigées par Henri Godard, Albert Chesneau, Philippe Alméras, Colin Nettelbeck, Danielle Racelle-Latin et Merlin Thomas. C’est à l’issue de ce colloque que sera créée la Société d'Études céliniennes sous la forme d’une association régie par la loi de 1901. Au cours de l’été 1976, les statuts seront déposés à la Préfecture de Police et l’objet de la société publié au Journal officiel ¹. 

Marc Laudelout, directeur et animateur du Bulletin célinien par Chard 

Quel était précisément l’objet de cette société d’études ? 

Marc Laudelout : Dans les statuts, il est indiqué que le but de la SEC consiste à «favoriser la diffusion et la connaissance de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline par la création d’échanges internationaux, d’un bulletin, d’un comité bibliographique et d’une bibliothèque.» 
On reconnaît la “patte” de Jean-Pierre Dauphin, féru de bibliographie et qui allait bientôt créer une bibliothèque Céline à l’Université Paris VII. Lors d’une assemblée générale qui eut lieu trois ans plus tard, la SEC décidera de modifier en partie ses statuts pour préciser qu’elle réunit «en dehors de toutes passions politiques ou partisanes tous ceux qui s’intéressent à l'œuvre de Céline». 

Qui sont les membres fondateurs et que sont-ils à cette époque ? 

Marc Laudelout : Outre Antoine Gallimard (qui n’est pas encore à cette époque le PDG de la maison d’édition), ils sont quatre. Philippe Alméras (46 ans) enseigne aux États-Unis ; après bien des vicissitudes, il a soutenu une thèse de doctorat sur “L’évolution du langage romanesque de Louis-Ferdinand Céline”, à défaut d’une thèse sur l’idéologie, sujet sur lequel il reviendra plus tard mais qu’il a déjà traité dans quelques revues françaises et américaines. Jean-Pierre Dauphin (36 ans), a consacré son mémoire de maîtrise et sa thèse de doctorat (d’université) à Céline. Il dirige une série à lui consacrée aux éditions Minard ; le premier numéro a paru en 1974 sous le titre « Pour une poétique célinienne ». Henri Godard (39 ans) est assistant à l’Université Paris VII et a procuré, cette même année 1974, l’édition de la trilogie allemande dans la Pléiade ; il est le seul à avoir rencontré brièvement Céline lorsqu’il était étudiant mais ça, il ne le révélera que bien plus tard. François Gibault (44 ans), avocat au barreau de Paris, est le conseil de Lucette depuis 1968 et a assuré l’édition de Rigodon l’année suivante. 

Comment se répartissent alors les fonctions au sein de la SEC ?

Marc Laudelout : Philippe Alméras est président, Jean-Pierre Dauphin secrétaire et Henri Godard trésorier. Ils constituent le Bureau. Outre ces trois membres, le Conseil d’administration est composé de François Gibault et d’Antoine Gallimard. 

Que se passe-t-il ensuite ? 

Marc Laudelout : Les actes du colloque d’Oxford (qui est, en fait, avant même la création de la SEC, le premier colloque de la société) sont publiés en janvier 1976, grâce à un célinien australien, Colin Nettelbeck, dans Australian Journal of French Studies ². En juillet, a lieu le deuxième colloque à l’École Normale Supérieure de Paris, sous la direction du tandem Dauphin-Godard. Plusieurs célinistes, qui se feront connaître par la suite, y présentent une communication : outre Godard et Alméras, citons Denise Aebersold, Marie-Christine Bellosta, Nicholas Hewitt et Christine Sautermeister. 

Sous la direction de Dauphin paraît un dossier spécial
dans le 
Magazine littéraire (n° 116, septembre 1976),
le numéro 26 de février 1969 était déjà consacré à Céline...
 

En dehors des colloques de la SEC, cette année 1976 sera-t-elle marquée par d’autres choses sur le plan célinien ? 

Marc Laudelout : Oui, ce sera une année foisonnante : sous la direction de Dauphin paraît un dossier spécial dans le Magazine littéraire (n° 116, septembre 1976, un numéro précédent de la même revue, le 26 de février 1969 était déjà consacré à Céline) et le premier numéro des Cahiers Céline chez Gallimard. Sur la deuxième chaîne de la télévision française, l’émission “Une légende, une vie” est consacrée à Céline. C’est aussi en 1976 que Dauphin publie une anthologie de critiques sur Céline et soutient sa thèse de doctorat (d’État) sur Voyage au bout de la nuit. Elle n’obtiendra pas la mention espérée ; l’auteur se mettra en retrait du monde universitaire en général et de la SEC en particulier, et entamera une carrière professionnelle aux éditions Gallimard. Marie-Christine Bellosta le remplacera comme secrétaire. 

Mais cela ne dissuadera toutefois pas Dauphin de créer, l’année suivante, une “Bibliothèque Céline” à l’Université Paris VII. Elle sera composée, non seulement de livres, mais aussi de dossiers de presse, manuscrits et lettres photocopiés, photographies, etc. 

De tous les célinistes pionniers, Jean-Pierre Dauphin (1940-2013) est aujourd’hui le moins connu... 

Marc Laudelout : Oui, et c’est regrettable car on lui doit beaucoup. Il est l’auteur, avec Pascal Fouché, d’une remarquable bibliographie des écrits de Céline et d’une bibliographie des articles de presse en langue française. Chez Gallimard, il dirigea le service historique et s’est notamment occupé des catalogues, de la presse, des expositions, etc. À ce titre, il était aussi conseiller de la direction. Il a aussi été l’éditeur de plusieurs Cahiers de la Nrf et d’Albums Pléiade, dont il a continué à s’occuper après sa retraite et ce jusqu’à son décès. En 1989, il a cédé le fonds de la Bibliothèque Céline (qu’il avait créée) à l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine). Lequel ne mentionne même pas son nom sur la page Céline de son site internet ³. 

Sur le plan célinien, l’année 1977 fut-elle aussi féconde ? 

Marc Laudelout : Assurément puisque c’est l’année où Gibault sort le premier volet de sa biographie et Dauphin le premier tome de sa bibliographie des articles sur Céline. Un Album Céline paraît dans le cadre de la “Quinzaine de la Pléiade” et Bernard Pivot consacre son émission “Apostrophes” à Céline. 




Dauphin organise, par ailleurs, une exposition à Lausanne avec la sortie d’un catalogue imprimé comportant un millier de numéros (En fait, 2000 exemplaires numérotés, il sera envoyé aux adhérents au titre des cotisations 1976-77 en attendant la sortie du premier Bulletin, ndlr). 

La SEC était dès lors sur les rails... 

Marc Laudelout : Son activité essentielle consistera à organiser un colloque bisannuel alternativement en France et à l’étranger. Il y en a eu plus d’une vingtaine à ce jour dans de grandes villes européennes (La Haye, Londres, Amsterdam, Prague, Budapest, Milan, Berlin,...). À partir du mitan des années 90, ces colloques ont permis échanges et discussions autour d’un thème préalablement décidé : «Pesanteur et féérie», «La démesure», «Médecine», «La guerre», «Traduction et transposition », «Céline et l’Allemagne», etc. Par ailleurs, Dauphin et Godard éditèrent, à la BLFC de l’Université Paris VII, une série intitulée Textes & documents qui publiera essentiellement des lettres de Céline. Il n’y aura que trois numéros. Une autre série, Tout Céline, verra le jour en 1981 : il s’agit d’un répertoire des livres, manuscrits et lettres de Céline passés en vente. Il aura cinq éditions mais les trois dernières seront publiées par Henri Thyssens. Plus tard ces initiatives éditoriales seront suppléées par la revue L’Année Céline, créée en 1990 par Henri Godard et Jean-Paul Louis. 

Tout se passe donc bien mais l’histoire de la SEC sera émaillée par quelques incidents... 

Marc Laudelout : En effet. Dès 1977, on demanda à Philippe Alméras de céder à André Lwoff sa place de président. François Gibault dira qu’à l’époque, s’intéresser à Céline était encore suspect. (Je crains que cela ne le soit encore davantage aujourd’hui). Le choix de ce président était justifié par le souci de « clouer quelques becs », selon l'expression de Gibault 4. De par ses origines et son prestige (Prix Nobel 1965), Lwoff s’avérait le candidat idéal. Le hic c’est qu’Alméras se fit prier. Suscitant l’agacement de Dauphin, il accepta à la condition d’avoir au préalable un entretien avec Lwoff pour savoir comment celui-ci concevait sa fonction. Lwoff lui assura qu’il était partisan d’encourager la recherche et la liberté d’expression. Mais, dès la première séance, il demanda l’expulsion de Robert Faurisson. Alméras s’insurgea : « Était-ce cela la liberté d’opinion ? Faurisson était Faurisson, avec ses thèses et ses curiosités à lui, il avait adhéré à la Société parmi les premiers, sa candidature avait été reçue et tant qu’il n’utilisait pas l’organisation pour faire avancer sa thèse, il n’y avait rien à lui reprocher, et donc aucun motif pour l’expulser 5. » Et de mettre sa démission dans la balance. En bon juriste, Gibault, estima que rien ne justifiait, en effet, cette radiation. Il est à noter qu’avant la présidence-Lwoff, la SEC avait accueilli dans les Actes de son deuxième colloque, publiés en 1978, des « notes constituant une version rédigée d’interventions orales faites [par Faurisson] en marge des communications du colloque » alors même que lui n’en avait présenté aucune. Cette concession surprit car cette année-là, cet agrégé de lettres s’était déjà fait connaître en publiant sur le scabreux sujet qui ne relevait pas de son domaine de compétence 6. 

Qui furent les présidents suivants ? 

Marc Laudelout : Quelques années plus tard, Lwoff passa la main et le choix se porta sur Gérald Antoine. Ce philologue, ancien recteur d’académie et conseiller de plusieurs ministres de l’Éducation, était un claudélien (auteur d’une biographie, Claudel ou l’enfer du génie) mais Céline l’intéressait également. Il avait été le directeur de thèse d’Albert Chesneau (“La langue sauvage de Louis-Ferdinand Céline”). En 1987, c’est François Gibault qui devint président. Au terme de son mandat actuel, il l’aura donc été pendant trente-six ans. 

Quelques-uns des 22 Actes des colloques de la Sec et des dix numéros d'Études céliniennes parus à ce jour

J’imagine que, lors de ces colloques, il y eut des moments mémorables ? 

Marc Laudelout : Il y eut plusieurs communications de grand intérêt mais celles qui frappèrent le plus l’imagination furent celle de Pierre Lainé qui révéla la correspondance de Céline à Joseph Garcin (précieux apport sur la genèse de l’œuvre célinienne), ainsi que celle d’Alphonse Juilland qui nous fit entendre la voix d’Elizabeth Craig dont il avait retrouvé la trace en Californie. Il y eut aussi les apports biographiques d’Éric Mazet relatifs aux années trente, notamment la galerie de personnages qui gravitaient autour de Henri Mahé. Il faudrait également évoquer les études ésotériques de Denise Aebersold ou celles de Michaël Donley sur les interférences entre écriture célinienne et musique. Je ne puis tout citer ici. D’une manière générale, chaque colloque est assez inégal mais c’est la loi du genre : sur dix communications, quatre ou cinq sont vraiment originales. Ce qui est répétitif, ce sont celles qui instruisent de manière récurrente le procès de Céline sans apporter aucun élément nouveau. 

Ces colloques se déroulèrent sans aucun accroc ? 

Marc Laudelout : Il y eut parfois quelques tensions, notamment lors du colloque de Budapest lorsqu’il fut demandé à un intervenant de modifier son texte jugé non conforme à la doxa 7. Trois membres du CA exigèrent, eux, le retrait pur et simple du texte. Comme l’intéressé refusa de le modifier, il fut tout simplement censuré et sa communication ne parut pas dans les actes du colloque. Ce n’était que le début d’une lente dérive. 

Pouvez-vous expliquer sur ce point ? 

Marc Laudelout : C’est, je crois, assez typique d’un milieu universitaire à la fois conformiste et frileux. Ainsi, lorsqu’un des membres suggéra aux sociétaires de s’atteler à un Dictionnaire Céline, son projet suscita une réaction hostile car l’un des auteurs pressentis pour rédiger une notice était Alain de Benoist. Dans un livre récent sur les nouvelles censures, celui-ci a décrit une situation qui s’applique à lui-même : « Pour discréditer les auteurs aux pensées jugées impures, on se fait désormais une spécialité d’enquêter sur leur biographie, comme si ce qu’ils avaient fait durant leur vie pouvait nous dire quoi que ce soit sur la valeur littéraire de leurs romans ou la valeur de vérité de leurs doctrines. On extrait de leurs ouvrages des citations distantes de trente ans, qu’on présente comme contemporaines et à partir desquelles on extrapole un jugement d’ensemble sur leur œuvre. On s’empare de leurs “péchés de jeunesse”, on fouille leur passé, comme si la vie d’un homme pouvait être ramenée à un épisode de son existence. 8» 

À l’égard de Céline lui-même, ne constate-t-on pas une circonspection excessive ? 

Marc Laudelout : Elle repose sur la hantise d’être suspecté de la moindre complaisance à son égard : « Travailler sur Céline, c’est s’exposer à se voir soupçonné et, souvent, qualifié pour ne pas dire accusé, d’antisémitisme ou de fascisme 9. » Un peu comme si l’on soupçonnait un spécialiste de Sade d’être sujet à des pulsions sadiques. En réalité, le souci de la carrière prudente domine et la moraline règne en maître. Il s’agit de demeurer vigilant et surtout se garder de «céder à la fascination que peuvent susciter Céline et son œuvre 10. » 

Votre bulletin est-il lu dans ce cénacle ? 

Marc Laudelout : Pas vraiment : seuls deux membres du Conseil d’administration de la SEC (qui en compte dix) sont abonnés. Cela me laisse parfaitement indifférent mais c’est révélateur. Nonobstant ses imperfections, le BC est tout de même voué depuis 40 ans à l’écrivain qui constitue leur sujet d’étude. La méconnaissance est avérée : lors d’un colloque organisé à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Céline, un spécialiste, établissant un bilan de la réception critique, mentionne le Bulletin célinien en parlant d’une « revue hebdomadaire » [sic] qui « a pris ce nom en 1988 » [resic] 11. Ailleurs, le BC est décrit comme un mensuel traitant uniquement de l’actualité célinienne alors qu’il publie régulièrement des études ou des textes documentaires. Dans le même ordre d’idées, un chercheur indépendant me disait son étonnement de constater que certains sociétaires ignorent les documents publiés par L’Année Céline. Manque de curiosité 12 ? Ou bien condescendance pour une publication non académique ? Le précédent secrétaire de la SEC avait pris l’habitude de la dénigrer ici et là. Au cours des années, cette revue s’est pourtant affirmée comme le premier outil de référence pour les chercheurs.

Une collection complète (à trois ou quatre numéros près)
de l'incontournable Bulletin célinien de Marc Laudelout

Avez-vous observé d’autres choses du même ordre ? 

Marc Laudelout : Un certain état d’esprit explique sans doute aussi l’absence remarquée des membres du CA lorsque François Gibault réunit, le 1er juillet 2011, quelques céliniens au cimetière de Meudon pour le 50e anniversaire de la mort de l’écrivain. Le président avait pourtant pris la peine d’envoyer une invitation aux sociétaires habitant la région parisienne. Incompatible pour certains avec la distance qu’il importe de maintenir à l’égard d’un aussi mauvais sujet. Henri Godard, peu suspect d’empathie envers Céline, a fait part de son souhait que l’on évacue enfin l’antienne simpliste “écrivain génial et parfait salaud”, « en passe de devenir une entrée de notre dictionnaire contemporain des idées reçues ».13 Cette exécration pousse parfois certains chercheurs à charger la barque. À propos du livre d’une historienne traitant de Céline dans la guerre, l’éditeur de L’Année Céline relève à juste titre son « hostilité constante » pour son sujet, « la volonté dépréciative (déclenchée par celle de se démarquer de l’antisémitisme, mais pas seulement) », «les jugements moraux qui foisonnent », et enfin l’affirmation selon laquelle «Céline n’aurait jamais vécu et écrit que pour “manipuler sa mémoire” » 14. Aversion systémique assez répandue dans ce milieu. À l’inverse, il ne s’agit nullement d’édulcorer la réalité. Céline était racialiste et souhaitait la victoire des forces de l’Axe. Mais, comme le note Émile Brami, « est-il nécessaire de vouloir à toute force le rendre plus noir qu’il ne l’a été ? ». Le président de la SEC, lui, précise opportunément que « Céline n’avait pas voulu l’holocauste et n’en avait pas même été l’involontaire instrument. »15 

Ensuite il y eut le livre obèse de Taguieff & Duraffour qui suscita quelques ondes de choc... 

Marc Laudelout : L’inquiétude gagna en effet plusieurs membres de la SEC car Taguieff anathématisait non seulement Céline mais aussi les céliniens 16. Pour lui, l’équation est simple : «Dans le célinologue perce le célinophile, voire le célinolâtre». Tout célinien est suspect. La paranoïa est telle qu’un sociétaire avouera son soulagement de ne pas être cité dans le livre. 
Y sont en revanche loués les “pieds nickelés de la célinophobie” – je cite un éminent célinien – qui passent des années à étudier l’œuvre d’un individu qu’ils abominent. Cela a été relevé avant moi : « Les célinistes ont mauvaise conscience 17 ». 


Avez-vous tenté de dialoguer avec les auteurs de ce livre ? 

Marc Laudelout : Oui, mais c’est compliqué dans la mesure où, pour eux, les céliniens sont irrécupérables. Annick Duraffour pense qu’ils expulsent instantanément les éléments du réel étrangers au “mythe Céline” qu’ils ont construit et que leur esprit écarte ce qui vient perturber l’organisation mentale préalable. Elle fait référence à ce que la psychologie sociale nomme la “réduction de la dissonance cognitive”. En réalité, des chercheurs comme J.-P. Louis ou Mazet se basent uniquement sur des éléments factuels, se méfient des déductions et amalgames hasardeux et réclament simplement des preuves de ce qui est allégué. « Myopes, infatigables soutiers de la masse documentaire, Taguieff et Duraffour se persuadent que l’accumulation culpabilisante fera figure de Preuve avec un P majuscule », écrira Michel Crépu sur le blog de La Nouvelle Revue Française. 

Quel est cet incident qui marqua le dernier colloque ? 

En fait, il ne se déroula pas pendant le colloque mais avant. Philippe Alméras avait émis l’intention de présenter une communication au colloque consacré au thème « Céline et le politique ». Celui qui fut le premier président de la SEC n’étant plus en règle de cotisation depuis quelques années, la secrétaire exigea « une demande motivée de nouvelle adhésion à la société » [sic], ce qui n’avait jamais été demandé à aucun membre ayant interrompu le paiement de ses cotisations. Mieux : elle réclama dans la foulée le versement rétroactif des cotisations non payées. Le président s’opposa naturellement à ces demandes injustifiées. 

Depuis 2005, la SEC édite sa propre revue, Études céliniennes

Marc Laudelout : C’est une revue de qualité qui constitue un utile complément à L’Année Céline. J’observe seulement qu’elle a publié en 2010 une critique outrageusement vétilleuse de la réédition des lettres à Paraz. Mais lorsqu’Éric Mazet proposa un compte rendu d’un livre consacré à la réception de Bagatelles avant-guerre, l’article fut refusé car jugé trop critique. Il se trouve que ce livre est dû à un membre alors influent de la SEC et directeur de la revue Études céliniennes. Quand cet article parut dans une autre revue 18, deux sociétaires influents incitèrent l’intéressé à intenter un procès à l’auteur alors que rien ne justifiait une telle procédure. Autre exemple d’antilibéralisme : certains membres du comité de lecture se sont récemment opposés à ce qu’une contribution bibliographique (par définition d’une neutralité parfaite) soit signée, son auteur n’étant pas dans leurs bonnes grâces. 

Y a-t-il une différence entre le président de la SEC 
et les membres qui l'entourent ? 

Marc Laudelout : Cela me paraît évident. Issu de l’alliance de plusieurs dynasties bourgeoises, François Gibault se dit anarchiste de droite. En réalité, c’est un libéral. Il n’a pas les œillères qu’ont certains universitaires formatés depuis des années par la bien-pensance. Ainsi a-t-il volontiers participé à plusieurs émissions de Radio-Courtoisie, satellite de la droite de conviction. Il s’est également rendu à des réunions organisées par le BC dont le dîner pour la parution du 400e numéro. Il est aussi venu en juin 2009 aux “Journées céliniennes” organisées dans le Var par mon ami Michels Mouls. Je pourrais multiplier les exemples. Son ouverture d’esprit tient certainement au fait qu’avocat, il a été appelé à fréquenter sans exclusive des confrères de toutes sensibilités. C’est ainsi qu’il fut à la fois l’ami du sulfureux Jacques Vergès et du monarchiste Jean-Marc Varaut. Mais je déplore qu’il soit aujourd’hui soumis à des contraintes auxquelles il ne peut se soustraire. 

Cela demande un mot d’explication... 

Marc Laudelout : En décembre, nonobstant la pandémie, l’assemblée générale de la SEC s’est tenue à Paris. Elle était importante car il s’agissait de reconduire (ou pas) le Conseil d’administration pour une durée de trois ans. Mes amis et moi ne souhaitions pas que la secrétaire soit reconduite dans ses fonctions. Non pas pour des raisons personnelles mais parce que ses multiples obligations professionnelles l’empêchaient d’assumer ce poste correctement. Notre récusation était d’ailleurs partagée par un membre du Bureau, ce qui n’était un secret pour personne et certainement pas pour l’intéressée. Le hic c’est qu’elle ne manifestait aucune velléité de se retirer. Au contraire : sa ferme intention était de demeurer en place avec l’aide d’un secrétaire-adjoint, Pierre-Marie Miroux, qui l’aurait suppléée. Rien de tel n’étant prévu dans les statuts, la situation était bloquée. Il fallait donc éviter qu’il n’y eût aucun candidat face à elle. Les deux sociétaires que j’avais sollicités s’étant défaussés, j’ai fait appel à un célinien de la nouvelle génération, dynamique et entreprenant, en la personne d’Émeric Cian-Grangé, éditeur de deux livres sur le lectorat célinien (préfacés chacun par deux fondateurs de la SEC), animateur d’un réseau célinien actif sur Internet, et directeur d’une nouvelle collection éditoriale consacrée à Céline. Cette maison d’édition étant proche d’Alain de Benoist, cela a suffi – toujours le même sectarisme – pour que des membres du CA menacent, au cas où Cian-Grangé deviendrait secrétaire, de boycotter le prochain colloque et même de démissionner. Comportement qui relève de l’intimidation pure et simple, voire du chantage. À cela s’ajoutait des raisons personnelles, d’autant plus inattendues que l’opposant le plus déterminé à cette éventuelle nomination entretenait jusque là des relations cordiales avec lui. D’autres firent preuve de condescendance pour ce qu’une sociétaire bardée de diplômes nomme les «céliniens d’en bas ». L’enjeu n’était pourtant pas d’avoir un secrétaire ayant beaucoup publié sur Céline mais plutôt quelqu’un d’imaginatif pour réformer une société d’études quelque peu stagnante. Le président, lui, m’assura qu’il n’avait rien contre Cian-Grangé. Mais lorsqu’un autre candidat, plus consensuel, s’est présenté, la donne a subitement changé. Celui-ci était assuré d’être nommé car c’est le conseil d’administration qui désigne le secrétaire et non l’assemblée générale. Au moins aurait-on pu tolérer que Cian-Grangé accédât au CA. Pour ces irréductibles, il n’en était pas question. 

Que s’était-il passé pour que ce nouveau candidat au poste de secrétaire 
se déclare ? 

Marc Laudelout : Quelques jours avant l’assemblée, la secrétaire a finalement décidé de ne pas se représenter en souhaitant que le candidat en question, P.-M. Miroux, lui succède. C’était précisément l’un de ceux que j’avais vainement sollicité à l’automne 2019. Mais dès lors que la secrétaire ne daignait s’effacer que quelques jours avant l’assemblée générale, mes amis et moi n’avons pas voulu demander à Cian-Grangé de retirer sa candidature car celle-ci avait suscité un rejet aussi injustifié que brutal. Nous avons même renchéri en présentant deux candidats complémentaires au CA. Par loyauté envers le président, nous avons tenu à l’informer de notre démarche alors qu’il nous aurait été loisible de garder la confidentialité et, comme c’eût été licite, d’attendre le jour de l’assemblée pour produire les délégations de vote des membres que nous avions gagnés à notre action. Raison pour laquelle assimiler celle-ci à un putsch ou un coup de force est grotesque. Goguenard, un sociétaire m’a dit qu’il me recommandait, pour la prochaine fois, la lecture de Technique du coup d’État de Malaparte. C’était ne rien comprendre notre démarche : il s’agissait pour nous de jouer le jeu normal des assemblées, c’est-à-dire d’obtenir en toute légitimité une majorité de voix afin de peser. Nous estimons, en effet, anormal que les membres du CA soient inamovibles : ils n’en sortent que s’ils décident eux-mêmes d’en sortir. Ce qui fait cruellement défaut, c’est une culture des règles du monde associatif. Aussi avons-nous demandé aux amis, qui partagent notre désir de vitaliser la SEC, de nous rejoindre pour faire bouger les choses. Il s’agissait d’engranger le plus de voix possibles afin d’avoir une influence, même réduite, au sein du conseil d’administration. Étant entendu que nous avons tenu à ne solliciter que des céliniens patentés. 

Est-ce un bouleversement que vous souhaitiez ? 

Marc Laudelout : Nullement. Nous étions pour le maintien du président et du trésorier à leur poste respectif, ainsi que pour le remplacement d’une administratrice démissionnaire par Véronique Robert, selon le souhait de François Gibault. Ce choix se justifie par le fait qu’elle est désormais, à parts égales avec lui, légataire universelle de Lucette et co-titulaire des droits sur l’œuvre de Céline. Je prédis d’ailleurs qu’elle succédera à Gibault en 2024. En fait, notre ambition était modeste : le remplacement d’au moins trois membres du CA, que nous estimons défaillants, par trois autres personnes animées par la seule volonté de dynamiser (et non dynamiter !) la SEC de l’intérieur. 

Une occasion a donc été ratée ? 

Marc Laudelout : Je le regrette... Si François Gibault avait attendu le jour de l’assemblée générale pour informer les sociétaires des “pouvoirs” que nous avions tenu à lui faire adresser directement, une majorité, qui ne lui était pas hostile, aurait à la fois permis d’écarter des éléments inertes (ou problématiques) et de les remplacer par d’autres résolus à améliorer les choses, notamment quant au fonctionnement interne de la SEC. Cela n’aurait posé aucun problème majeur car le nouveau secrétaire aurait, je le répète, de toute façon été celui souhaité par le CA puisque deux ou trois nouveaux administrateurs sur dix n’auraient pas changé la donne. Le risque est que désormais la SEC continue à vivoter. J’espère me tromper. 

Qu’est-ce qui ne fonctionne pas bien, selon vous, au sein de la SEC ? 

Marc Laudelout : Le paradoxe est que des membres du CA font exactement le même constat que nous : ce sont presque toujours les mêmes noms qui apparaissent, soit pour les publications, soit comme intervenants lors des colloques. L’un des fondateurs a même ironisé sur ce qu’il compare à un manège de petits chevaux de bois car ce sont les mêmes qui reviennent tout le temps. De l’aveu même de plusieurs sociétaires, certaines communications sont d’un faible niveau, ne correspondant pas à ce qu’on peut attendre d’une société d’études. Lors du dernier colloque, on a eu droit à un portrait croisé de Céline et de Coluche ! Un membre influent avertit que, si la SEC s’avère incapable de s’ouvrir à de nouveaux arrivants, elle risque la sclérose. Un autre confirme qu’elle pourrait mourir à petit feu à cause de son repli sur elle-même. En 45 ans, outre les actes des colloques, la SEC a publié six livres. C’est peu. Et la majorité d’entre eux sont signés de membres, passés ou présents, du CA. Il y aurait pourtant bien des études stimulantes de la nouvelle génération de célinistes à éditer. 

Vous pensez à qui, par exemple ? 

Marc Laudelout : Je songe à Bianca Romaniuc-Boularand, auteur de remarquables études sur la poésie stylistique de Voyage, mais il y en a d’autres. C’est regrettable car ces chercheurs doivent parfois financer eux-mêmes l’édition de leurs livres. Dans le passé, ce fut le cas d’Anne Henry (†), auteur d’un brillant essai sur Céline passé inaperçu. 

Quels sont les autres aspects négatifs que vous avez constatés ? 

Marc Laudelout : On ne compte plus les célinistes de renom qui ont quitté la SEC ou qui n’ont jamais souhaité l’intégrer. C’est significatif. Dans un article qui suscita quelques remous, David Alliot évoquait « un entre-soi d’individus “sûrs” qui se veulent idéologiquement irréprochables (...), une coterie de personnages – toujours les mêmes – qui s’auto-congratulent, s’auto-publient, s’auto-critiquent, s’auto-satisfassent, et s’auto-invitent dans les colloques... » 19 Jugement excessif ? Il recouvre en tout cas une part de la réalité. Pour ne citer qu’un exemple, un membre du CA reconnaît qu’à la SEC, le simple fait de se revendiquer de droite est suspect. Comment expliquer enfin qu’une société littéraire vouée à un écrivain aussi important n’ait qu’une quarantaine de membres en règle de cotisation ? (Ce chiffre a gonflé de manière artificielle en décembre dernier). 

Le moins que l’on puisse dire est que votre initiative n’a pas rencontré le succès espéré ? 

Marc Laudelout : En effet. On assista à une mobilisation sans précédent. Pour la justifier, certains esprits complotistes évoquèrent une entreprise subversive visant à infiltrer la SEC d’individus animés par un dessein politique ! Cette mobilisation se traduisit par un courriel diffamatoire d’un membre du CA à mon égard 20 et par des pressions visant à faire modifier les délégations de vote. On assista surtout à une campagne orchestrée pour récolter le maximum de “pouvoirs”, c’est-à-dire des délégations de votes émanant de personnes qui ne comptaient pas venir à l’assemblée générale. Alors que nous avions rassemblé en toute transparence une vingtaine de procurations, le groupe partisan du rejet de Cian-Grangé en apporta le jour de l’AG plus d’une soixantaine ! La situation sanitaire n’explique pas tout : certains, qui disposaient les années précédentes d’un ou deux “pouvoirs”, en apportèrent cette fois une dizaine, parfois même une vingtaine à eux seuls. Plusieurs de ces “pouvoirs” émanaient de personnes réputées dans leur milieu professionnel mais ne s’intéressant guère à Céline et n’ayant en tout cas jamais appartenu à la SEC. Étaient-elles toutes en règle de cotisation ? Le cas échéant, avaient-elles payé elles-mêmes leur cotisation ? Juste avant l’assemblée générale, le président convoqua quelques sociétaires pour compter avec lui les “pouvoirs” : les jeux étaient faits. Et la manière de procéder pour le moins cavalière, certains de ces nouveaux membres n’ayant adhéré que parce qu’on leur avait demandé de le faire. Il est douteux qu’ils renouvellent leur adhésion cette année. 

Quelle perspective pour l’avenir ? 

Marc Laudelout : Le président préside, prend les grandes décisions et représente la société à l’extérieur, mission dont il s’est acquitté pendant plus de trois décennies. Il avait, par ailleurs, réussi à observer jusqu’ici une parfaite neutralité, s’efforçant d’avoir de bonnes relations avec les uns et les autres 21. Mais la cheville ouvrière de la SEC, c’est le secrétaire. Le nouveau sera donc Miroux, céliniste incontesté et sourcilleux quant à l’observance du “politiquement correct”. Sera-t-il l’élément moteur que nous appelions de nos vœux ? Comme membre du CA depuis plusieurs années, il n’a pas fait preuve d’un grand esprit d’initiative. Mais pas plus, il faut le dire, que les autres administrateurs. En fait, il faudrait sortir les colloques du ronron habituel et, pour cela, connaître et prendre contact avec de jeunes universitaires travaillant sur Céline, solliciter des textes pour la revue Études céliniennes, créer une dynamique qui amènerait à la société ceux (scientifiques ou amateurs) qui devraient naturellement la rejoindre. Et que dire du site internet tombé en déshérence qui ne joue dès lors pas le rôle attractif qui devrait être le sien 22 ? Le comité de lecture de la revue fonctionne de manière aléatoire. Il serait également utile d’établir une liste des membres à jour de cotisation ; celle qu’ils ont récemment reçue par courrier électronique ne l’est pas. Une meilleure communication serait souhaitable d’autant qu’Internet la favoriserait. À titre d’exemple, certains (j’en fais partie) ont reçu seulement à la mi-février le procès-verbal de la dernière assemblée que d’autres ont reçu en décembre par voie postale. Il faudrait aussi diffuser les publications de la SEC qui trouveraient des amateurs si l’on s’en donnait la peine 23. Il faudrait surtout que les membres du Conseil d’administration jouent un rôle actif, conformément aux statuts. Mais qui se soucie des statuts ? Depuis plusieurs années, ce ne sont que des pions qui avalisent les décisions du Bureau et dont la fonction est purement honorifique. Un membre du CA admet qu’il s’agit d’un hochet ! Bref, bien des choses seraient à entreprendre afin que, selon notre vœu initial, le dernier mandat de François Gibault soit celui de la rénovation. Cela sera sans nous, mes amis et moi ayant été passablement échaudés, voire écœurés, par de peu orthodoxes manœuvres en coulisses. Certains ont d’ailleurs indiqué au président qu’ils se retiraient de la SEC. Dernier point : lors de cette assemblée générale, la secrétaire sortante (mais reconduite au CA alors même qu’elle y est contestée) a déclaré qu’elle occupera désormais « les fonctions officieuses [sic] de secrétaire-adjointe ». Or elle n’a reçu aucun mandat pour cela. Il appartient désormais au nouveau secrétaire d’engager les réformes nécessaires. Au moins notre initiative aura-t-elle peut-être servi d’aiguillon...

Propos recueillis par Sophie CHARLIER 
 



1. « Associations (75 — Paris) », ‭Journal officiel de la République française‬, n° 197, 23-24 
août 1976, p. 5087‭b‬. La modification partielle des statuts fut consignée en février 1981 mais 
ne fit pas l’objet d’une parution au ‭Journal officiel‬. 
2. ‭Australian Journal of French Studies‭ [Clayton (Victoria), vol. XIII, n° 1-2, 1976. 
‬‬
3. À sa mort, le ‭Bulletin célinien‬ lui a consacré un numéro spécial (n° 352, mai 2013), avec 
des ‭ ‬textes ‭ ‬de ‭ ‬Philippe ‭ ‬Alméras, ‭ ‬Henri ‭ ‬Godard, ‭ ‬Christine ‭ ‬Sautermeister, ‭ ‬Éric ‭ ‬Mazet, ‭ ‬Marc 
Laudelout et Jean-Paul Louis. Celui-ci rappelait que Dauphin « n’a jamais joint publiquement 
sa voix à celles qui, hier comme aujourd’hui, prétendent faire régner leur ordre moral dans 
les études céliniennes, ses travaux étant, comme il se doit impeccables de neutralité ». 

4. François Gibault, ‭Libera me‬, Gallimard, 2014, p. 231. 

5. Philippe Alméras, ‭Voyager avec Céline‭, Dualpha, 2003, pp. 166-167. 
‬‬
6. À noter qu’après sa mort, un recueil de ses textes sur le sujet, ‭Écrits céliniens‬, est paru 
aux éditions Akribeia (2019), avec, entre autres, les articles qu’il signa dans ‭Les Nouvelles ‬
littéraires‭, de 1973 à 1978. C’est cette année-là qu’il se fit connaître au grand public grâce au ‬
quotidien ‭Le Monde ‬qui publia, dans une tribune libre, un article de lui, « Le problème des 
chambres à gaz », ‭ ‬auquel répondirent,  dès l’édition ‭ ‬suivante, ‭ ‬Olga Wormser-Migot ‭ ‬et 
Georges Wellers. Pour l’anecdote, signalons que cette initiative inspira le BC qui, trois ans 
plus tard, publia, également dans le cadre d’une tribune libre, un article du même Faurisson, 
« Céline devant ‭ ‬le mensonge ‭ ‬du siècle », ‭ ‬ce qui est parfois rappelé ‭ ‬40 ans après. ‭ ‬Le fait 
qu’Annie Montaut (auteur d’une thèse de doctorat en sémio-stylistique littéraire sur Céline) 
lui apporta la réplique dans le numéro suivant est, en revanche, toujours passé sous silence. 

7. ‭ ‬Alain ‭ ‬Vergneault, ‭ ‬« ‭ Féerie‬ ‭ ‬sur ‭ ‬ordonnance ‭ ‬», ‭ ‬15 ‭ ‬pages ‭ ‬(inédit). ‭ ‬Le ‭ ‬passage ‭ ‬contesté 
concerne ‭ ‬les bombardements alliés sur ‭ ‬les populations ‭ ‬civiles ‭ ‬en Allemagne, ‭ ‬en ‭ ‬1944-45. 
Voir ‭ ‬le procès-verbal ‭ ‬du ‭ ‬Conseil ‭ ‬d’administration ‭ ‬qui se ‭ ‬tint ‭ ‬le 23 ‭ ‬novembre 2004 ‭ ‬et le 
procès-verbal de l’assemblée générale du 9 juillet 2005. À rapprocher de ce constat fait par 
le premier président de la SEC : « Aucun [lecteur de Céline, ‭ndlr‬] ne remet en question les 
fondements ‭ ‬et les ‭ ‬règles de ‭ ‬notre ‭ ‬histoire ‭ ‬depuis la ‭ ‬guerre ‭ ‬(…) ‭ ‬et quand ‭ ‬ils ‭ ‬se ‭ ‬sont 
constitués en société d’études, les céliniens s’étaient auto-disciplinés de la même manière 
pour intégrer l’esprit des temps nouveaux » (Philippe Alméras, préface à Émeric Cian-
Grangé ‭ ‬[éd.], ‭D’un lecteur l’autre. Louis-Ferdinand ‭ ‬Céline à ‭ ‬travers ses lectures‭, Krisis, ‬‬
2019). 

8. ‭ ‬Alain de ‭ ‬Benoist, ‭La ‭ ‬chape ‭ ‬de plomb ‭ ‬(Une ‭ ‬déconstruction ‭ ‬des nouvelles censures)‭, ‭ ‬La ‬‬
Nouvelle Librairie Éditions, coll. “Dans l’arène”, 2020. 
Rappelons qu’Alain de Benoist est l’auteur d’un livre sur ‭Céline et l’Allemagne, 1933-1945‬ 
(1996) ainsi que d’une ‭Bibliographie internationale de l’œuvre de Céline‭ (2015). L’honnêteté ‬‬
oblige à dire que tous les sociétaires ne font pas preuve du même sectarisme à son égard : 
en ‭ ‬juillet ‭ ‬2008, ‭ ‬François ‭ ‬Gibault ‭ ‬participa ‭ ‬à ‭ ‬une ‭ ‬émission ‭ ‬radiophonique ‭ ‬sur ‭ ‬Céline ‭ ‬avec 
entre autres Alain de Benoist, et, en mars 2006, Henri Godard et lui ont participé et dialogué 
au colloque ‭ ‬“L’actualité ‭ ‬de l’antimodernité. ‭ ‬De Céline ‬aux expressions ‭ ‬artistico-littéraires 
contemporaines” qui se tint à l’Université de Catane, en Sicile. 

9. ‭ ‬Isabelle ‭ ‬Blondiaux, ‭ ‬« ‭ ‬Pourquoi ‭ ‬lire ‭ ‬Céline ‭ ‬? ‭ ‬» ‭ ‬in ‭ Céline ‭ ‬et ‭ ‬l’Allemagne ‭ ‬(Actes ‭ ‬du ‭ ‬19e ‭ ‬colloque ‭ ‬international ‭ ‬Louis-Ferdinand ‭ ‬Céline)‭, ‭ ‬Société ‭ ‬d’études ‬céliniennes, ‬
2013, pp. 53-72. 

10.‭ Ibidem‬. On doute que tous les lecteurs de Céline se retrouvent dans cet épanchement : « 
Lire Céline m’impose un travail de deuil, qui est renoncement à l’adhésion totale au récit et à 
l’identification aux personnages par quoi se définit la lecture naïve, et qui vaut perte du culte 
de l’auteur, à comprendre comme l’obligation morale faite au lecteur d’analyser son transfert 
à celui qu’il lit ». 

11. Régis ‭ ‬Tettamanzi, « Bilans critiques » in ‭ ‬Philippe Roussin, ‬Alain Schaffner & Régis 
Tettamanzi, ‭Céline à l’épreuve (Réceptions, critiques, infuences)‭,‬ ‭Honoré Champion, 2016., ‬‬
pp. 13-25. 

12. Anecdote : au colloque de Toulouse, feu le professeur émérite Alphonse Juilland (Université de Stanford) avait apporté les quatre volumes de sa magistrale étude sur les verbes de Céline. À son grand dam, les sociétaires ne marquèrent aucun intérêt. 
13. Henri Godard, « Les enjeux d’une biographie » in Céline à l’épreuve, op. cit., pp. 35-39. 
14. Jean-Paul Louis, « Bibliographie critique [Odile Roynette, Un long tourment. Louis-Ferdinand Céline entre deux guerres (1914-1945)] in L’Année Céline 2015, Du Lérot, 2016, pp. 187-190. 
15. François Gibault, préface à Louis-Ferdinand Céline, Lettres de prison à Lucette Destouches et à Maître Mikkelsen, 1945-1947, Gallimard, 1998. 
16. Annick Duraffour & Pierre-André Taguieff, Céline, la race, le Juif : légende littéraire et vérité historique, Fayard, 2016. Émile Brami apporta à cet ouvrage une réplique magistrale dans la revue de la SEC (Études céliniennes, n° 10, hiver 2017). Voir aussi Éric Mazet, « Manipulations », L’Année Céline 2017, et Marc Laudelout, « Feu sur Céline et les céliniens », Le Bulletin célinien, n° 394, mars 2017. 
17. Christine Sautermeister, « Les études céliniennes », Études céliniennes, n° 8, printemps 1983, pp. 13-24. Cet auteur donne 1977 comme année de fondation de la SEC mais c’est bien en juillet 1976 qu’elle fut créée. 
18. Éric Mazet, « Haro sur Céline », Spécial Céline, n° 9, mai-juin-juillet 2013, pp. 18-42. Extrait de cet article très documenté : « Dans sa présentation de cette anthologie de soixante-deux articles (…), André Derval, ne tenant aucun compte de la complexité de l’époque, avance des jugements, non sous l’angle littéraire mais sur le plan historique ou politique, qui nous semblent aller du suspicieux au tendancieux, pratiquant souvent la paralogique, et s’appuyant sur des ouvrages dont la probité historique est discutée par des historiens qui font autorité. » 
19. David Alliot, « Foudres et flèches... », Spécial Céline, n° 9, op. cit., pp. 9-17. 
20. Courriel qui relevait tout autant du procès d’intention ne reposant sur rien de tangible : l’auteur entendait dénoncer un prétendu complot visant à infiltrer au sein de la SEC des propagandistes extrémistes. Affirmation en outre offensante pour les céliniens qui ont soutenu notre initiative. Il n’est pas impossible que d’autres sociétaires aient été abusés par des informations fautives et tendancieuses concernant le BC sur Internet. L’erreur étant de prendre pour argent comptant tout ce qu’on peut y lire.
 21. « Bien avec tout le monde, je tempère, je modère, je temporise, je mets de l’eau dans le vin, je rassure et je concilie, sans juger ni condamner personne, mais je n’en pense pas moins. » François Gibault, Libera me (Suite et fin), Gallimard, 2015.
22. Une bonne nouvelle : la refonte du site internet de la SEC a été confiée à Christian Mouquet qui a fait ses preuves en réalisant un site internet (“Archives Louis-Ferdinand Céline”) ainsi que des hors-série de qualité pour un quotidien de la droite nationale. 
23. Pendant des années, le Bulletin célinien a contribué de manière substantielle aux recettes de la SEC en diffusant ses publications, comme en témoigne, par exemple, le procès-verbal de l’assemblée générale du 7 septembre 2019.