mardi 5 mars 2024

Louis, Destouches, potard

Médicaments et publicités par Éric Mazet 

dans Le Bulletin célinien n° 2 du 2e trimestre 1982

« Plus que jamais Je colporte mes petites astuces de potards en potards",

écrlt Céline en 1933 alors qu’il devient un monstre sacré du monde littéraire. Recherche amusée ou âpreté mesquine ?

Au laboratoire de la Biothérapie, le docteur Destouches rédige en 1931 un rapport publicitaire sur le dentifrice Sanogyl, sautant de l’ironie à I'effusi.on. L’étude pharmaceutique étant peu rémunératrice, le médecin se lance dans la création de médicaments. Il invente pour Ie laboratoire Gallier, en 1933, la basedowine contre les règles douloureuses.



Henri Mahé fait Ie dessin publicitaire d'une poupée tricolore. Les troubles de l’équilibre ovarien ne doivent pas affecter le patriotisme de la natalité. Le produit s'est vendu jusqu’en 19?1 et fit l’objet d’autres réclames. La vignette de J. Duché exhalte Ia candeur. La notice est, elle, du docteur Destouches.

Dans La Brinquebale avec Céline, Henri Mahé reproduit une lettre de son ami qui mentionne la Kidoline comme un autre de ses remèdes. Nous en avons retrouvé la présentation du laboratoire Gallier : huile adréanilée contre le corsa du nourrisson et les accès de faux croup. 


Henri Mahé évoquait encore "les gouttes Nlcan, contre Ia toux” comme une création du docteur Destouches. De son exil danois, en 1949, Céline confiait au peintre : «Ah tu fais bien de me parler de Ia Delbiase, Si je connais ! […] cette farce a rapporté des fortunes à Mr Delbe de l’académie de Médecine […] À ce propos, entre cent autres histoires du genre, je suis inventeur moi aussi de 2 produits moins charlatanesques. La Basedowlne Gallier. Mr Gallier pharmacien, Place du Président Mithouard, et Ies comprimés Nican, Laboratoires Cantin à Palaiseau. Propriétaire, Mme Vve Arnold. Mr Gallier me doit blen à peu près un million à l'heure actuelle et Mme Vve Arnold itou.".

Aux céliniens de fouiller dans les prospectus des foires aux vieux papiers.".




Autres sources :



Moins connu est un autre travail du Dr Destouches-Céline : menant une carrière en « dents de scie » qui va de l'exercice médical privé aux dispensaires d'hygiène sociale, puis à la collaboration « alimentaire » aux industries pharmaceutiques, il met au point et présente au public une spécialité, la Basedowine, ainsi composée :

poudre d'ovaires : 0,075

extrait thyroïdien : 0,05

monobromo isovalerylurie : 0,15

extrait acéto-soluble d'hormone ovarienne : 0,01(pour un comprimé).

Le produit est enregistré au Laboratoire National de contrôle des médicaments en 1933 sous le n° 343-4 et commercialisé par les Laboratoires R. Gallier, 1 bis, place du Président-Mithouard, Paris VIIe. Il restera en vente jusqu'en 1971.

Selon son auteur, la Basedowine est efficace contre le Basedow fruste et léger, le nervosisme thyroïdo-ovarien, si fréquent dans la population féminine des villes et des campagnes, les règles douloureuses ou irrégulières, la ménopause naturelle ou artificielle. Un bel encart reproduit dans les Cahiers Céline traduit très fidèlement et très agréablement cette notion d'équilibre retrouvé.

En 1925, Céline-Destouche avait publié chez Doin un ouvrage sur La quinine en thérapeutique qui fut traduit en espagnol, en italien et en portugais.

De l'exercice classique de la profession à ses incursions dans la médecine sociale et à ses travaux cités ici, on devine que Céline, plus que médecin, se voulait chercheur. Deux communications de lui à l'Académie des Sciences sur Convoluta Roscoffensis (1920) et Galleria Mellonella (1921) ont été ainsi jugées par le Pr André Lwolff : « L'une et l'autre publications portent témoignage d'une certaine hâte et d'une naïveté non moins certaine dans la pensée et dans l'expression. L'ensemble correspond assez bien à cette image du chercheur que l'écrivain, sans ménagements, tracera dans le Voyage et qui, paradoxalement, est sa propre image... Nul ne regrettera qu'il ait sacrifié le métier de chercheur à celui d'écrivain. Sa contribution à la science eût difficilement pu égaler en valeur et en originalité son apport aux lettres, qui est considérable ». (Figaro littéraire, 7-13 avril 1969). 

J'ai eu le bonheur de rencontrer une dame très âgée, d'une mémoire et d'une intelligence remarquables, qui, femme du chirurgien-chef de l'hôpital de Saint-Denis, eut le privilège de rencontrer le Dr Destouche : elle garde de lui le souvenir d'un être courtois, doté d'une facilité d'élocution hors du commun et dégageant une « aura » extraordinaire.

Peut-être n'était-il pas inutile de rappeler l'incursion que ce littérateur de choc fit dans le domaine pharmaceutique.

Lucie COIGNERAI-DEVILLERS.

Dans Revue d’Histoire de la pharmacie


Louis-Ferdinand CÉLINE et la quinine par Colette Dehalle (2020)

https://youtu.be/dcZe3BpA2m4?si=wjFauiiYzBD0uywm


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