dimanche 6 octobre 2024

Lucien Combelle parle de Mea Culpa et Bagatelles pour un massacre dans Arts & Idées en 1937

Lucien Combelle parle de Mea Culpa et Bagatelles pour un massacre                             dans Arts & Idées en 1937

En juin 2024, paraissait Intellectuels dans la tourmente, un opuscule à destination des adhérents de la Société des Lecteurs de Céline. C'était la seconde partie de La réception de Guignol’s Band dans Révolution nationale en 1944. La première, Merci bien, Monsieur Céline ! (juin 2023), publiait un brillant article inédit de Jean Fontenoy, précédé d'une présentation de Philippe Vilgier, son biographe.




Dans Intellectuels dans la tourmente, la réception de Guignol's Band et plus généralement de l'œuvre de Céline était contextualisé dans une période troublée, à trois mois du D-day en Normandie, la critique littéraire ayant du mal à s'imposer face à une actualité sous les bombardements alliés !


Lucien Combelle à Apostrophes
 Lucien Combelle à Apostrophes


Le sujet était si vaste que nous avons dû en survoler certains aspects…

C'est le cas du rôle important joué par Lucien Combelle, rédacteur en chef de Révolution nationale. J'écrivais ainsi, page 9, “ C’est sans doute grâce à Combelle, avec qui il s’était lié, que Céline est venu à ce périodique car il était bien plus proche du Parti Populaire Français de Jacques Doriot que des agités cagoulards de Deloncle ou de Déat. Quant à lui, le journaliste de 27 ans n’était pas un novice ni en matière de presse, ni en Célinie… Il avait déjà écrit le 13 mars 1941, un solide “Céline et notre temps” pour La Gerbe, d’où l’avait vite chassé son incompatibilité d’esprit avec le trop conservateur Alphonse de Châteaubriant. Il avait aussi donné au Fait, deux articles en défense de l’auteur de Voyage ; le 22 février, une dénonciation des avanies subies par lui et une critique élogieuse de son premier roman ; le 8 mars, une prise à partie de Desnos après son éreintement des Beaux Draps dans Aujourd’hui. Avant cela, en mai 1936, Lucien Combelle avait lancé sa revue littéraire et poétique avec la bénédiction d’André Gide dont il était secrétaire. Dans cet Arts et Idées *, il écrivait déjà son admiration. Le n°7 de février 1937 donne sa vision de Mea Culpa qui « dit à l’homme quelques dures vérités » ; le n°13, un an après, parle de Bagatelles et en vante l’antisémitisme (cela lui vaudra, en novembre, une lettre, Lettres, Pléiade, 38-34, en forme de leçon de racisme : «vos anti-juifs puent la naphtaline»)… ”

Faute de place, je n'avais pas cité les textes des critiques de Mea Culpa et Bagatelles pour un massacre, les voilà in extenso.

Ch. Mouquet 


* Arts & idées : revue mensuelle / rédacteurs en chef : Lucien Combelle & Alain Bernard

Rédaction-Administration : 7, Rue Lhomond, PARIS 

La revue n'a pas trouvé ses lecteurs en dépit du soutien de personnalités comme Gide ou Cocteau. Il n'y a eu que douze numéros, six par an en 1936 et 1937.

Arts & Idées n°7 février 1937

« MEA CULPA », par Louis-Ferdinand CÉLINE - Denoël et Steele. 


Il y a quelques années, L.-F. Céline nous donna la joie de lire un livre magnifique : « Voyage au bout de la nuit ». Le lecteur se souvient de Bardamu et de certaines belles pages qui, par leur accent, leur souffle, leur sincérité, leur brutalité le laissaient ahuri et troublé. De la même veine est le « Mea Culpa », petit pamphlet dans lequel le père de Bardamu crache sa colère et son mépris. Après le livre d'André Gide, celui de Céline ne laisse aucun doute. Une faillite est à enregistrer.

Le pamphlet de Céline est violent et dit à l'homme quelques dures vérités. Cependant, il ne me semble pas qu'on ait attaché assez d'importance à ce petite livre. On juge souvent Céline sur son style et on a tort. Je ne sais quel écrivain a parlé de Pascal pour le comparer à Céline. C'était hardi mais pertinent. La révolte, le trouble, le secret désir de remettre l'homme à sa place et de lui imposer férocement une responsabilité, voilà, ce me semble, des caractères pascaliens. Que l'expérience communiste ait révolté un tel homme, quoi d'étonnant ? Ce paradis « hic et nunc » qui permet au disciple marxiste de nier et combattre le christianisme sans trop se fatiguer, a enlevé et enlève à l'homme un soutien séculaire : le communisme isole l'homme et ce dernier obéit. Il est maintenant seul avec ses machines, ses nouveaux tyrans et ses illusions. L'escroquerie morale est incontestable dans cette farce tragique et même des poulets à tous les repas n'y changeront rien. Mais je cite avec joie cette page incomparable de Céline :  


« Le Communisme matérialiste, c'est la Matière avant tout et quand il s'agit de matière c'est jamais le meilleur qui triomphe… La supériorité pratique des grandes religions chrétiennes, c'est qu'elles doraient pas la pilule. Elles essayaient pas d'étourdir, elles cherchaient pas l'électeur, elles sentaient  pas le besoin de plaire, elles tortillaient pas du panier. Elles  saisissaient l'Homme au berceau et lui cassaient le morceau d'autor. Elles le rencardaient sans ambages : Toi petit putricule informe, tu seras jamais qu'une ordure. De naissance, tu n'es que merde... Est-ce que tu m'entends ? C'est l'évidence même, c'est le principe de tout ! Cependant, peut-être... peut-être... en y regardant de tout près... que t'as encore une petite chance de te faire un peu pardonner d'être comme ça tellement immonde, excrémentiel, incroyable, c'est de faire bonne mine à toutes les peines, épreuves, misères et tortures de ta brève ou longue existence. Dans la parfaite humilité… La vie, vache, n'est qu'une âpre épreuve ! T'essouffle pas ! Cherche pas midi à quatorze heures ! Sauve ton âme, c'est déjà joli… »

Et l'homme ne veut plus entendre : « Le moindre obstrué trou du cul se voit Jupiter dans la glace! ».  

Eh oui ! l'homme pèche par orgueil. Le matérialisme social  veut tout expliquer, tout juger, tout créer. La morale, processus social ! La psychologie, processus social ! Et l'homme, libéré du joug des classes possédantes et des disciplines religieuses, croyant vivre dans une société de saints et être saint lui-même, va offrir son échine à un autre fouet. Là, Céline rugit : « Pourtant qu'il soit debout, à quatre pattes, couché, à l'envers, l'homme n'a jamais eu, en l'air et sur terre, qu'un seul tyran : lui-même ! » Et impitoyable, il ajoute : « Pourtant, la vraie révolution ça serait bien celle des aveux, la grande purification ! »  

Dans toutes les sociétés modernes, il n'y a, je crois, qu'une différence de départs et de mots, mais les moyens et les résultats sont semblables. Tous les États totalitaires sont des fruits de l'orgueil humain. D'un côté, la masse est allée elle-même se mettre la corde au cou ; de l'autre, un homme ou des hommes se sont imposés aux autres. Mais cherchons bien et ne voyons-nous pas l'orgueil, l'incommensurable orgueil de ces disciples des idées, de ces philosophes en pantalons de velours ou en chemises noires qui, maîtres ou serfs, n'en sont pas moins tous inhumains. Les idées font les tyrannies et bientôt ce sera, comme le dit L.-F. Céline : « le nettoyage par l'idée ».  

Signalons, dans le même volume, le tragique et poignant récit de la vie du docteur Semmelweis, victime de la méchanceté des hommes. 

Lucien COMBELLE.

P.-S. — Le livre de L.-F. Céline n'a pas été donné par l'éditeur, car la Maison Denoël et Steele nous refuse tout service de presse. Cette maison a le sens des hiérarchies et ne veut connaître que les critiques littéraires autorisés. 


Arts & Idées n°12 décembre 1937


«BAGATELLES POUR UN MASSACRE», par Louis-Ferdinand  CELINE - Denoël. 


Le présent livre de Céline est à l'extrême limite de la littérature, mais son importance crée quelques obligations.  

En notre époque, se proclamer antisémite, c'est provoquer ou la moquerie ou la bagarre. L'antisémitisme est, en effet, très  mal jugé, surtout depuis Drumont et du Paty de Clam. On peut, sans danger, se dire antiallemand, anticatholique, antidémocrate, antisocial (là commencent les hurlements), mais il est désormais très dangereux de s'en prendre aux Juifs, même si le Talmud n'est pas de votre goût. C'est pourquoi le livre de Céline est un coup d'éclat, mieux, un pavé qui écrabouille. Ce violent pamphlet, vomi par Bardamu, ne se prête guère, il est vrai, aux travaux de la critique littéraire et quelles citations feraient admettre, par le plus exigeant des lecteurs, la carence du critique. Mais faute de place, nous n'essayerons pas de nous justifier. Et comme nous n'oublions pas la manie contemporaine de l'étiquetage, nous laisserons à d'autres le soin de fixer la nouvelle « position » de Céline.  

Notre vieille sympathie pour l'auteur du « Voyage au bout de la nuit » influence certainement notre présent jugement (si jugement il y a). Mais à la lumière de certains événements récents, nous comprenons pourquoi il a écrit ce livre. Chaque époque a « Les Châtiments » qu'elle mérite.  

Cette explosion, inattendue (Céline éventre non seulement les Juifs, mais aussi quelques littérateurs et grands de ce monde), embarrasse nombre de nos confrères qui ont horreur des complications ou des compromissions. Et Céline fait maintenant figure de galeux. Pensez donc ! il est antisémite.  

Diable d'homme ! sa grande gueule nous soulage et nous plaît. 

Lucien COMBELLE. 




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